En Israël, les séries orthodoxes sont ultra tendance et excellentes

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Dystopie caustique, cousine moyen-orientale de “Friends” ou comédie trash en milieu étudiant, les séries racontant la vie des communautés religieuses en Israël fleurissent. Un genre à part entière, qui contribue à montrer un aspect plus humain des ultra-orthodoxes.

D’un côté, il y a Shulem, un rabbin veuf qui désespère de voir son fils cadet se marier et trouver un métier honorable. De l’autre, Akiva, le rejeton en question, jeune homme rêveur doué pour la peinture et tiraillé entre deux mondes : le quartier juif ultra-orthodoxe où il a grandi, marqué par les rituels séculaires et les interdits moraux, et la société moderne, libérale, en marge de laquelle il a toujours vécu, et qui l’intrigue autant qu’elle l’effraie. L’histoire de ce tandem père-fils est au cœur des deux saisons de Les Shtisel, une famille à Jérusalem, merveilleuse saga aux accents proustiens que les abonnés américains de Netflix peuvent suivre depuis début 2019 – en France, elle est disponible en DVD chez Pretty Pictures. (Et ça vaut le coup de l’acheter et de se régaler…./Line)

Diffusée entre 2013 et 2016 dans son pays d’origine, la série a été l’une des premières représentantes (et l’une des plus réussies) d’une tendance devenue un genre à part entière à la télévision israélienne : les drames et comédies racontant la vie des communautés religieuses traditionnelles. « C’était la toute première fois que les laïcs pouvaient observer de près le quotidien des haredim, et à travers un autre prisme que celui des reportages télévisés, dans lesquels on les voit par exemple jeter des pierres contre les voitures qui roulent pendant le shabat, raconte Dganit Atias-Gigi, directrice de l’unité fiction de la chaîne Yes (diffuseur de la série) (1). 

« En Israël, les ultra-orthodoxes ne suscitent guère d’empathie dans le reste de la population : ils obéissent à leurs propres lois, se tiennent en retrait du reste de la société, ne servent pas dans l’armée, leurs enfants reçoivent de l’argent public pour étudier la Torah tandis que d’autres jeunes gens du même âge sont contraints d’effectuer leur service militaire… Les Shtisel a contribué à montrer un autre visage, plus humain, plus quotidien de ces communautés, et c’est à porter au crédit des deux créateurs, Ori Elon et Yehonatan Indursky, qui tous deux sont issus de familles religieuses. »


Longtemps peu représentés à l’écran, parfois caricaturés, les ultra-orthodoxes n’en constituent pas moins une communauté en pleine expansion au sein de la société israélienne, de même qu’un vivier de voix particulièrement courtisé en période électorale – la campagne pour les législatives du 9 avril l’a une nouvelle fois prouvé. Le 20 octobre, au Mucem, à l’occasion d’une conférence intitulée « Un autre Dieu que la télévision ? », l’anthropologue du CNRS Florence Heymann, chercheuse associée au Centre de recherche français à Jérusalem, estimait cette part de la population à « environ un million d’individus, portés par une importante croissance démographique : le taux de natalité est tel que les ultra-orthodoxes doublent leur population tous les quinze ans. A Jérusalem, ils constituent plus d’un tiers de la population de la ville ». Un univers émaillé d’interdits qui intrigue, un poids socio-politique qui inquiète : la richesse dramaturgique est évidente, l’intérêt des téléspectateurs, manifeste. Et les scénaristes israéliens – dont certains issus de l’école de cinéma et de télévision religieuse Ma’aleh, à Jérusalem – l’ont bien compris, déclinant la thématique dans plusieurs registres…


Au printemps 2018, après l’évocation mélancolique et douce-amère du monde de leurs pères que constituait Les Shtisel, Ori Elon et Yehonatan Indursky sont venus, lors de la première édition lilloise de Séries Mania, présenter Autonomies, leur nouvelle création, dystopie caustique sur les frictions entre laïcs et religieux – la série imagine carrément la scission d’Israël en deux pays distincts : une théocratie ayant Jérusalem pour capitale, et un Etat séculier centralisé à Tel Aviv (les Parisiens pourront découvrir les deux premiers épisodes le 12 mai prochain au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme).

“Les Shtisel”, “Shababnikim”, “Srugim”…


Avant de programmer Les Shtisel, la chaîne Yes a diffusé plusieurs saisons de Srugimsorte de cousine moyen-orientale de Friends, autour d’un groupe d’amis, religieux modérés partageant le port de la sruga (une kippa en tricot) et, surtout, beaucoup de considérations existentielles et sentimentales. Fin mars, c’est Shababnikimcomédie trash multiprimée de la chaîne Hot, sur les tribulations d’une chambrée d’étudiants rebelles issus d’une yeshiva, qui a été présentée à Paris, dans le cadre du Festival du cinéma israélien.


Ces fictions, qui commencent à être visibles à l’international, sont-elles vues par ceux-là mêmes dont elles dépeignent l’existence ? Question délicate qu’aucune statistique ne pourra trancher : dans le monde haredim, la télévision est proscrite… Enfin, en théorie. La journaliste Anna Burd, spécialiste du traitement des séries pour le quotidien Yediot Aharonot, rapporte une anecdote éloquente. « Pour se préparer à son rôle dans Shababnikim, l’acteur Israel Atias m’a raconté être allé passer quelque temps dans une communauté ultra-orthodoxe. Incognito – enfin, croyait-il : des hommes sont venus le trouver en lui disant : “On est fans, on vous a vu dans la série Zagouri Empire !” » Même réception positive et amusée pour Les Shtisel, à en croire Dganit Atias-Gigi, qui s’amuse que la série ait inspiré à certains spectateurs ultra-orthodoxes des vidéos parodiques, visibles sur YouTube, et manifestement réalisées avec des téléphones portables… casher.

Source telerama