Les natures vivantes d’Ayala Serfaty

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Faites de feutres ou de dentelle de verre, les créations de la designer israélienne insufflent poésie et humanité aux objets du quotidien. Des œuvres à voir au PAD, dans le jardin des Tuileries à Paris, jusqu’au 7 avril.

Parmi les pièces intrigantes que les collectionneurs de design contemporain pourront voir au PAD 2019, sous une tente dressée du 4 au 7 avril au jardin des Tuileries, à Paris, se trouvent trois créations organiques d’Ayala Serfaty. Une applique façon constellation, un tabouret au relief d’écorce d’arbre et un large fauteuil moucheté, baptisé Kuramura Pollock, en hommage au peintre américain, inventeur du dripping. Ils sont présentés sur le stand de Béatrice Saint-Laurent, fondatrice en 2010 de la Galerie BSL, qui représente la créatrice israélienne à Paris, quand Maison Gerard la promeut à New York.

Ayala Serfaty, 57 ans, entretient un rapport particulier, presque intime, avec ses créations. « C’est la dernière fois que je te vois », s’excuse-t-elle en caressant un fauteuil sculptural, doux au toucher comme la toison d’un mouton mais visuellement brut comme de la terre craquelée, qui venait d’être vendu à une cliente américaine. Cette pièce, composée de 4 kg de fibres agglomérées sur une structure en acier, lui avait demandé quelque deux mois de travail.

Cette frêle artiste aux yeux bleu délavé a inventé un procédé unique pour fabriquer des meubles hautement originaux. Elle utilise la technique du feutre, « la première étoffe jamais inventée, primitive, qui ne nécessite aucune machine »,souligne-t-elle. Dans son atelier de Tel-Aviv, elle mélange les fils de laine, de soie et de lin, ainsi que les couleurs à la manière d’un peintre. Ensuite, elle humidifie, frotte, presse la matière jusqu’à l’agglutiner et obtenir l’effet recherché.

Evocation d’une peau animale, de la croûte terrestre ou d’une surface rocheuse, chaque pièce est différente. L’idée du feutre s’est imposée alors que la diplômée de l’Académie des beaux-arts de Bezalel, à Jérusalem, devenue étudiante à l’Institut polytechnique du Middlesex de Londres, découvre dans une exposition une installation de l’artiste allemand Joseph Beuys (1921-1986) : « Je me souviens d’énormes rouleaux de feutre tapissant les murs jusqu’au plafond, et d’un grand piano. J’ai ressenti la présence protectrice et la qualité acoustique du feutre, alors même que le piano ne jouait pas… » La jeune femme apprend à confectionner cette matière qu’elle applique à du mobilier.

Des cristaux et des coraux

En 1994, la Galerie Artifact de Tel-Aviv expose un fauteuil de la série « Sama » et le succès est au rendez-vous. « Je me suis rendu compte, au travers de ce meuble, que les gens percevaient mon message. Le temps que je passe sur chaque pièce, l’empreinte de ma main… tout ce qui me permet de fabriquer des objets que j’espère humanisés. »

A côté de ses fauteuils totems, Ayala Serfaty crée des luminaires tout aussi époustouflants. Elle chauffe de fines tiges de verre soufflées en Italie, jusqu’à ce qu’elles fondent partiellement et s’agglutinent. Petit à petit se dessinent une dentelle ou une toile d’araignée, qu’elle enrobe d’un polymère, qui vient filtrer aussi la lumière. « La dentelle de verre ? Je l’ai découverte grâce à un travail de fin d’études d’Eytan Hall, dans le département céramique de l’Académie des beaux-arts de Bezalel. J’ai eu l’idée du spray de polymère en pensant à des œuvres que j’avais admirées au MoMA, à New York : les lampes Bubble de George Nelson dans les années 1950, et les luminaires des frères Castiglioni dans les années 1960. »

Le résultat ? Des éclairages comme des cristaux de neige étincelants, des nuages, des coraux ou des lichens qu’elle met au point avec l’aide d’Eytan Hall, qui fait désormais partie de son atelier où travaillent quatre personnes. Ayala Serfaty ne regrette pas son parcours de la peinture, à ses débuts, jusqu’à ce champ inexploré où fusionnent art, design et artisanat. « Il y a une telle liberté à travailler les textiles et les couleurs des fils ou celles des tiges de verre. On peut montrer ses sentiments ou ses émotions, comme dans un tableau en 3D. Dans les temps anciens, on peignait sur les murs des grottes, sur les vases de cérémonie ; il n’y avait pas l’art pour l’art. L’art était une chose domestique, il s’exprimait sur les objets du quotidien, amenant confort et réconfort. En ce sens, je fais de l’art domestique. »

Ses créations habitées – dont nombre sont entrées dans les collections permanentes du London Design Museum, du Metropolitan Museum of Art ou du Cooper-Hewitt Museum, aux Etats-Unis… – portent des noms évocateurs. La série de fauteuils en feutre, sensuels et tutélaires, s’appelle « Rapa » (« le docteur », en hébreu). On y retrouve l’idée de protection chère à Joseph Beuys, qui disait avoir été soigné et sauvé, pendant la seconde guerre mondiale, par ce matériau. Les sculptures lumineuses – avec le verre visible tels des os, des cartilages ou des veines sous sa peau de polymère – se nomment Soma (« le corps », en grec). Elles incarnent la puissance en même temps que la fragilité des êtres humains.

Loin de copier la nature, l’inspirée Ayala Serfaty insuffle poésie et spiritualité aux objets du quotidien. « Je mets de la vie dans des natures mortes », précise-t-elle, en espérant que « les gens passeront sur terre un bien meilleur moment en leur compagnie ».

Source lemonde