Salon du livre : lectures pour antisémites….qu’ils ne liront sans doute pas…

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Livre Paris ouvre ses portes le 15 mars. Chaque jour, notre coup de cœur pour préparer votre visite au salon de la porte de Versailles et en librairie. Aujoud’hui, un choix d’ouvrages dénonçant l’antisémitisme.

Lire afin de savoir ce qu’il en fut, pour mémoire, et dans l’espérance que cela ne soit plus, il y a bien des voies pour parler de la Shoah, et celle de la littérature touche au cœur, comme dans ce conte magnifique de Jean-Claude Grumberg, et celle du témoignage direct aussi, dans le cas de celui laissé par Jacques Salmona pour ses petits-enfants. Et aux enfants, justement, comment en parler ? Notre rubrique jeunesse suggère quelques pistes, dont, bien sûr l’inoubliable ours Otto de Tomi Ungerer. En ces périodes de recrudescence des manifestations de l’antisémitisme, une lecture, si elle ne peut tout changer, est une chance à saisir, et de toute façon un bienfait. On n’oubliera pas d’ajouter à sa bibliothèque le grand Edgar Hilsenrath récemment disparu, et son dernier roman, Terminus Berlin, plus grinçant que jamais.

Jean-Claude Grumberg a, lui, choisi le mode du conte. Ses protagonistes sont un « pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne », saisis par la faim dans un grand bois, l’auteur ne réécrit pas Le Petit Poucet, comme le précise d’emblée le narrateur qui trouve d’ailleurs l’histoire de Charles Perrault « ridicule ». La sienne se déroule pendant la guerre mondiale, il ne dit pas seconde, car la guerre est toujours là, menaçante. La bûcheronne aimait regarder passer le train sur la voie ferrée, ce train de marchandises, si prometteur, qui sait ?

Un si beau conte

Or un jour, de l’un de ces trains, le convoi 49, est jeté au-dehors un paquet. Et cette pauvre femme qui désespérait d’avoir un enfant, y découvre alors un bébé qu’elle ramène à son mari : « les dieux du train m’en ont fait don ». Et celui-ci, furieux :« c’est un rejeton de la race maudite ! » Celle qui « a tué Dieu ». Celle dite des « sans cœur ». L’homme ne veut pas du paquet. « Les jours succédèrent aux jours, les trains aux trains. Dans leurs wagons plombés agonisait l’humanité. Et l’humanité faisait semblant de l’ignorer. » Mais la bûcheronne lutte et, aidée d’un homme avec lequel elle passe un marché pour obtenir le lait de sa chèvre, garde l’enfant en vie. Son mari à son tour apprend à devenir le père de la petite, qu’il sauvera. Tandis que ses parents…

On ne raconte pas la fin d’un si beau conte, universel, qui transporte vibrant ce pan odieux de l’Histoire, mais rend hommage aussi aux figures de justes. « Une histoire vraie ? Bien sûr que non, pas du tout. » Et pourtant pour les « amateurs d’histoires vraies », l’auteur referme son livre sur un appendice qui raconte, cette fois, la vérité du destin de son grand-père, et de son père, et de ceux qui ont inspiré son livre tirés du Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld. Jean-Claude Grumberg est un grand dramaturge qui, dans les dialogues de ce conte, donne la quintessence de son art, et toute la charge émotive de l’histoire de sa famille, et de tant d’autres. Ce livre est déjà un classique, à remettre d’une génération l’autre, de main en main.

La Plus Précieuse des marchandises, Jean-Claude Grumberg, éditions du Seuil, La librairie du XXIe siècle, 128 pages, 12 euros.

La voix du témoignage

« Je vois encore la vitrine de la librairie de Jean-Baptiste Say, rue d’Auteuil, présentant une dizaine d’exemplaires. Hitler y décrivait son programme de gouvernement, dont l’un des éléments essentiels concernait les Juifs. Il en expliquait la profonde nocivité et la nécessité de les supprimer. C’était l’annonce de la “solution finale”. La plupart des gens en France n’y crurent pas et parlèrent de bluff. »

Jacques Salmona (1923-2015) se souvient de ses années lycéennes à Paris, dans ce récit écrit pour les neuf petits-enfants du couple qu’il formait avec Lydia, lui issu d’une famille de Salonique, elle de Turcs apatrides, deux pays dont il rappelle qu’ils se sont illustrés par leur antisémitisme. Les époux étaient déjà nonagénaires lorsqu’ils décidèrent de rédiger ce témoignage à l’intention des leurs. Il est parvenu jusqu’aux éditions Allia, qui décident alors de le publier, et voici ce livre d’une grande émotion. L’écriture de Jacques Salmona est factuelle. Il retrace l’histoire de sa famille venue de Grèce, l’installation à Paris, les difficultés financières, son adolescence marquée par son appartenance, dans le cadre du scoutisme français, aux Éclaireurs israélites de France. On découvre alors quels rôles ils jouèrent, véritable terreau de résistance, avant que le jeune homme n’intègre le CDRL « Ceux de la Résistance ».

Sous cette bannière de jeunes gens comme lui, portant l’étoile jaune, frappèrent aux portes des appartements pour prévenir les persécutés des rafles à venir, et les enjoindre de prendre leurs dispositions sans tarder. Un des passages les plus poignants du livre. Plus tard, ce sont les enfants qui seront la priorité de son engagement. Ces pages d’histoire, précises, sans fioritures aucunes, et pourtant si éloquentes et bouleversantes sont illustrées de photos de familles, et complétées par le texte que rédigea Lydia Salmona, ainsi que de notices sur les sefardim (juifs espagnols), leur langue, et enfin, un ajout des plus intéressants à lire de nos jours… sur le sionisme.

Dans la tourmente de Jacques Salmona,, édition illustrée, Allia, 144 pages, 12 euros

Source lepoint