« Coupable » d’une blague sur le viol, l’humoriste Jean-Marie Bigard a vu se dresser tous les boucliers féministes de France contre lui et sa tournée dans le Var annulée. Par décret de la Convention du bon goût, l’humour qui tâche est désormais interdit.
Si vous avez des mauvaises blagues en stock, dépêchez-vous de vous en débarrasser. La consommation, la production et l’exploitation de l’humour lourdingue seront bientôt strictement interdits. D’ailleurs, entraînez-vous dès aujourd’hui à n’apprécier que des plaisanteries distinguées car, dans un avenir proche, si on vous prend à sourire d’une blague interdite vous serez accusé de recel voire de complicité d’humour à la con.
Bigard, le coupable idéal
L’avènement du bon goût pourrait être particulièrement fâcheux pour Jean-Marie Bigard, l’un des meilleurs experts que nous possédions en matière de gros rire qui tâche. Pas franchement le rire qui élève mais parfois celui qui libère, que celui qui n’a jamais pouffé devant un sketch débile prétende le contraire. Bigard, c’est le roi de la blague de fin de banquet qui vous arrache un éclat de rire dont vous vous repentez au moment même. Quand l’humour bien-pensant aime se payer la tête du beauf, lui joue le beauf qui fait rire les beaufs. Il n’est pas exclu du reste qu’il le soit un peu pour de vrai. Ajoutez à ça qu’il doit être un peu catholique sur les bords – on l’avait vu, solennel et endimanché, trottinant derrière un Sarko survolté qui traversait à grandes enjambées le palais du Vatican – et qu’il ferait mieux d’éviter au public ses opinions politiques, sur le 11 septembre par exemple, mais enfin il s’est excusé. Il peut bien rêver d’une révolution des gilets jaunes si ça lui chante. Son métier, c’est de raconter des âneries, et aussi d’en écrire pour les autres. Et il le fait très bien à en juger par sa longue carrière.
Bigard, donc, a commis le 11 février, sur le plateau de Cyril Hanouna, une blague douteuse que je vous épargnerai (mais vous pouvez la trouver là) où il est question d’un médecin qui viole sa patiente en la sodomisant. Un plat réchauffé puisqu’il l’avait déjà servi en 2013 dans une émission, et tout à fait contraire au bon goût, ce qui est en quelque sorte sa fonction. Sur le plateau, on observe ce mélange de gêne et d’hilarité que suscite l’évocation de choses sales devant des enfants. On pouffe en se disant qu’on devrait pas. Hanouna, qui devine l’orage à venir, précise que la blague n’est « pas cautionnée ». La séquence est supprimée du replay de « Touche pas à mon poste » diffusé le lendemain, lequel disparaît à son tour. Non sans avoir suscité une salve de tweets et, trois semaines plus tard, 1500 protestations auprès du CSA.
La blague de Bigard ne vise pas plus à dénoncer le viol qu’à l’excuser
Le 5 mars, il annonce, en larmes, dans une vidéo, qu’une tournée dans le Var prévue cet été a été déprogrammée, le privant de près de 50 spectacles. Et s’en prend dans un langage pas du tout fleuri au patron du groupe Nice Matin, auteur présumé de cette forfaiture. Lequel réplique sobrement qu’aucun contrat n’avait été signé.
Les amis.
Vous y croyez ou pas???
Votre ami Bigard vient de se faire censurer pour une blague.
Donc ça veut dire que je dois fermer ma gueule?
C’est mal connaître l’animal. pic.twitter.com/jLh2Q79Ge2— Jean-Marie Bigard (@JM_Bigard) 4 mars 2019
Peu importe ici cette querelle d’ordre privé – un responsable de festival est libre de choisir les artistes qu’il invite. Ce qui est intéressant et pour tout dire inquiétant, c’est l’argument invoqué par qui demandent le bannissement ou la sanction de l’humoriste.
Je suis ému ouais.
Mais c’est votre soutien qui me fait chaud au coeur.
Est-ce qu’on peut rire de tout? Oui, on ne peut rire QUE de tout. https://t.co/1P5aEn17Ro— Jean-Marie Bigard (@JM_Bigard) 5 mars 2019
Quelques jours après la blague, on pouvait ainsi lire, sur le site de RTL, que celui-ci s’était essayé « à une “blague”… faisant l’apologie d’un viol ». On remarquera les guillemets dont le mot blague a été affublé. Cela signifie tout simplement que le second degré est interdit. Peut-être faut-il rappeler qu’une plaisanterie, ce n’est pas pour de vrai. Raison pour laquelle elle permet d’introduire un aspect (plus ou moins) comique dans une situation qui, dans la réalité, serait une tragédie ou un crime. Quelques gardiennes du temple féministe ont pour leur part parlé de « banalisation ». En réalité, la blague de Bigard ne vise pas plus à dénoncer le viol qu’à l’excuser, elle cherche à faire rire en convoquant nos affects les moins raffinés. Surtout, elle n’a pas la moindre influence sur les statistiques du viol. Personne ne peut croire sérieusement qu’un violeur se sente autorisé à commettre son crime parce qu’il a vu Bigard à la télévision. Au demeurant, si ça se jouait ainsi, les pieuses dénonciations de la prétendue « culture du viol », beaucoup plus bruyantes que les mauvaises plaisanteries, auraient fait disparaître ce fléau.
Nous allons mourir d’ennui
On me dira que la culture française peut se passer du mauvais goût et de la vulgarité de Bigard. Sans doute, encore qu’il faudrait poser la question à ceux qui aiment ça. Reste que cette incessante extension du domaine de la bienséance finira par nous faire périr d’ennui. La dénonciation des injustices, c’est très bien, mais ça ne fait rire personne alors que la transgression des interdits est l’un des meilleurs ressorts comiques qui soient. N’importe qui sait bien que, dans la vie, on peut raconter ou écouter des plaisanteries sur les arabes, les juifs, les noirs ou les femmes sans avoir l’ombre d’un grief envers ces estimables populations. D’ailleurs, on ne parle pas de plaisanteries antisémites mais d’histoires juives.
En somme, pour respecter le bon goût, on est désormais priés de rire sans déconner. Et sans se moquer de personne – sinon des conservateurs, réacs et autres esprits étroits, contre lesquels la vulgarité est autorisée et même encouragée. Quant aux femmes, il ne faudra plus seulement les défendre contre les violeurs, mais aussi les protéger des blagueurs.