Prothèses mammaires : des femmes porteuses d’implants déposent une série de plaintes au pénal

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Au-delà de la question de la qualité des produits incriminés, les plaignantes estiment que la justice doit s’intéresser au rôle des « organismes certificateurs » qui autorisent leur commercialisation et aux autorités de santé.

Jusqu’à présent, elles échangeaient sur Internet sur ces coques qui se forment autour de leurs seins en silicone, ou sur ces autres dérèglements de leur corps qu’elles associent à leur nouvelle poitrine. Plus récemment, elles parlaient de ce lymphome rare lié aux implants mammaires (LAGC-AIM), dont les cas se multiplient – 673 déclarés dans le monde, 59 en France –et au sujet duquel l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a émis des recommandations, fin novembre 2018. Mais toutes en restaient là.

Une quinzaine de femmes porteuses de prothèses a décidé d’aller plus loin et de saisir la justice pour demander des comptes aux autorités et aux fabricants. Selon les informations du Monde et de Radio France, les pôles de santé publique des tribunaux de Paris et de Marseille devaient être saisis de deux séries de plainte pour « blessures involontaires »« tromperie », ou encore « mise en danger de la vie d’autrui », mercredi 6 et jeudi 7 février.

Ces actions interviennent au moment où l’ANSM organise deux journées d’auditions consacrées à l’utilisation des implants mammaires en chirurgie esthétique et reconstructrice. On estime à 500 000 le nombre de porteuses de prothèses en France. Ces 7 et 8 février, patientes et chirurgiens doivent témoigner de leur expérience heureuse ou malheureuse avec le silicone. Des agences de santé étrangères sont aussi annoncées.

Lors de ces débats retransmis sur YouTube, il sera également question de ce cancer dont l’origine pourrait être liée à des implants à la surface plus rugueuse que les autres. La Biocell d’Allergan, retirée du marché après le non-renouvellement de son marquage « CE » (conformité européenne), est directement montrée du doigt.

Le rôle des « organismes certificateurs »

La première série de ces plaintes, dont le cas le plus emblématique devait être présenté au parquet de Marseillele 7 février, vise les délits de « tromperie aggravée » et de « blessures involontaires ». L’avocat Emmanuel Molina a été saisi par onze femmes. Toutes ont entre 25 et 45 ans et ont eu recours à la chirurgie esthétique pour des seins jugés trop petits ou parce qu’elles rêvaient de retrouver leur poitrine d’avant grossesse. A la plupart, un lymphome a été diagnostiqué.

L’histoire de Laetitia, 42 ans, est la plus parlante. En 2007, la jeune femme s’offre une opération de chirurgie esthétique et se fait poser des prothèses Allergan. Neuf ans plus tard, alors qu’elle décharge un camion frigorifique, une caisse lui heurte le sein gauche. La douleur l’oblige à consulter. A l’imagerie, les médecins s’aperçoivent que la prothèse est rompue et que le silicone s’est répandu dans le corps. Les implants sont retirés en urgence. Mais quelques semaines plus tard, un LAGC est diagnostiqué.

Laetitia est aujourd’hui handicapée à 80 % et enchaîne les cures de chimiothérapie. Or jamais sa cliente n’a été informée d’un tel risque, assure MeMolina. Par ailleurs, ajoute-t-il dans sa plainte, « il est tout à fait anormal que survienne une rupture de prothèse mammaire à la suite d’un choc banal, non violent »« Et même dans l’hypothèse d’une rupture accidentelle, explique-t-il, le produit n’a pas vocation à provoquer quelque pathologie que ce soit. » C’est la raison pour laquelle la justice doit, selon lui, s’intéresser à la qualité des produits, mais aussi au rôle des « organismes certificateurs » qui donnent le feu vert avant leur commercialisation.

Un droit français peu adapté

Or, l’enquête internationale Implant Files menée par l’ICIJ, le consortium des journalistes d’investigation, et à laquelle Le Monde avait participé, avait révélé les défaillances du système de contrôle des implants médicaux avant leur mise sur le marché.

La deuxième série de plaintes, déposées le 6 février à Paris, vise le délit de « mise en danger de la vie d’autrui ». Deux femmes implantées en 2010 sont concernées. Si les plaintes sont contre « X », l’avocat Laurent Gaudon désigne dans ses écrits le laboratoire Allergan, mais aussi l’agence sanitaire, qui n’a, à ses yeux, pas pris suffisamment de mesures pour protéger les femmes. Contactée, la société Allergan, qui, n’a reçu « aucune notification », a déclaré ne pas pouvoir « s’exprimer sur un document dont [elle] n’a pas connaissance ».

La justice dira quelles suites donner à tout cela. Les avocats espèrent, eux, la désignation d’un juge d’instruction. Au pénal, les dossiers de santé publique ne sont toutefois jamais simples, en raison d’un droit français peu adapté. Dans le cas précis du délit de « blessure involontaire », la principale difficulté sera de démontrer qu’un lien de causalité existe entre la pose de l’implant et le lymphome. Or au pénal, la certitude scientifique absolue est exigée.


 Source lemonde