Guy Charmot, doyen des compagnons de la Libération, est mort à 104 ans

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Après sa mort, lundi, il ne reste plus que quatre de ces résistants de la première heure de la deuxième guerre mondiale encore vivants.

Guy Charmot, mort lundi 7 janvier à l’âge de 104 ans, ne se sentait pas une âme de soldat, encore moins de héros des champs de bataille. Des dispositions insoupçonnées au courage et l’immixtion de la guerre décidèrent du contraire. Né le 9 octobre 1914 à Toulon, élevé dans une famille de fonctionnaire des impôts, l’enfant voulait soigner les gens, vaincre les maladies, rêvait de lointains horizons, d’aventures, à l’époque synonymes des colonies. Devenu médecin militaire, passé par l’école d’application des troupes coloniales du Pharo, à Marseille, le jeune lieutenant croyait accomplir son destin quand, en mars 1940, à 25 ans, il fut expédié dans un poste de brousse à Batié, au Burkina Faso, pour chasser le trypanosome, un parasite transmis par la mouche tsé-tsé. Au fin fond du pays lobi, le lieu n’était relié au reste du monde que par un simple émetteur radio.

C’est par son entremise qu’il apprend l’armistice demandé par Pétain, le 17 juin 1940. Comme dans toutes les colonies françaises au même moment, les quelques militaires qui étaient là doivent se décider : accepter la défaite ou poursuivre le combat. Après un bref conciliabule, ceux de Batié choisissent presque tous de ne pas se résigner. Ils traversent la Volta noire et passent en Gold Coast (actuel Ghana), sous domination anglaise. De là, Guy Charmot rejoint le Cameroun où un inconnu du nom de Leclerc vient d’imposer le drapeau gaulliste. Il mène ses premiers combats contre d’autres Français, à Libreville, afin de rallier le Gabon par la force. Il soigne les blessés des deux camps.

« Vous irez là où on vous dira d’aller »

De retour au Cameroun, lors d’une parade organisée en l’honneur de de Gaulle, Charmot ose interpeller le chef de la France libre :
– Mon général, je veux être dans une unité combattante, dit-il.
– Vous irez là où on vous dira d’aller, répond de Gaulle.

Il intègre finalement le bataillon de marche numéro quatre (BM4) dont il restera le médecin de terrain jusqu’à la fin de la guerre. Fin 1940, il traverse l’Afrique, pour rejoindre la Palestine. Mais les combats semblent le fuir. Il est terrassé par une jaunisse pendant la campagne de Syrie, menée contre des troupes vichystes. Il est envoyé en Ethiopie où sont installés les Italiens mais n’arrive qu’après la bataille. Au même moment, d’autres signent une page glorieuse à Bir-Hakeim… Il fortifie le Liban tandis qu’on ferraille à El-Alamein. Il est cantonné à l’arrière pendant le reste de la campagne égyptienne puis libyenne contre Rommel. Il ronge son frein. « Vous irez là où on vous dira d’aller »

La guerre, la vraie, il la découvre en Tunisie, en mai 1943. Alors qu’il accompagne des blessés et des prisonniers vers l’arrière, il est ainsi pris sous un déluge à découvert. Il s’expose pour aider les hommes pris au piège, gagne une citation de l’armée, ce jour-là, évoquant avec grandiloquence « son calme souriant sous le feu »… Durant la campagne d’Italie, il soigne les hommes sous la mitraille, au plus près du front, accompagné d’infirmiers « indigènes ». Un capitaine se vante un jour : « Vous savez, toubib, il en faut de la mitraille pour tuer un homme. »Quelques minutes après, le médecin le retrouve agonisant après avoir reçu une balle, une seule, dans la poitrine. Les troupes sont largement composées de tirailleurs dont la bravoure fera toujours l’admiration et, un peu, l’étonnement du médecin. « Ce n’était pas leur guerre au fond. C’était une histoire d’Européens. »

Médecine tropicale

Son courage sous la mitraille pendant cette remontée de la péninsule lui vaut d’être fait compagnon de la Libération, à Naples, en juin 1944. Puis il débarque en Provence, à Cavalaire, le 16 août. Il est blessé à la tête lors des combats pour libérer Toulon, sa ville natale. Il retrouve ses parents, exténués par les privations. Puis il fait route vers le nord, porté par l’enthousiasme des Français libérés et la mocheté des règlements de compte.

Avec l’hiver, les troupes coloniales qui s’étaient battues depuis le début de la guerre sont relevées par des engagés venus du maquis, dont beaucoup se font tailler en pièce par manque d’expérience. A Ronchamp, en Haute-Saône, la troupe prend d’assaut un cimetière où les Allemands se sont établis. Guy Charmot soigne les blessés au milieu des tombes retournées, dans une vision surréaliste. C’est ensuite la campagne d’Alsace. Les combats s’achèvent. Les pertes du BM4 s’élèvent à 850 tués et blessés, ce chiffre correspondant peu ou prou à l’effectif de départ. Le commandant Guy Charmot aura passé l’essentiel des combats en première ligne sans avoir jamais tiré un coup de feu.

Le jour de la capitulation allemande, il signe sa demande pour repartir comme médecin en Afrique. Il est finalement envoyé au Tchad, à Abéché, là où il était passé en 1941 et où il retrouve des hommes qui se sont battus avec lui pendant cinq ans. Il renoue avec son autre guerre, contre le trypanosome, reprend ses travaux de recherche sur les maladies tropicales. Après son mariage, il renonce à regret à la vie de broussard, est muté en 1949 à Dakar. Là, les anciens vichystes tiennent toujours les postes d’influence et, revanchards, lui font payer son engagement gaulliste.

Guy Charmot est en poste à Brazzaville quand le général revient au pouvoir, en 1958. Il refuse les postes prestigieux qui lui sont alors confiés, leur préfère un poste obscur à Madagascar. Revenu en France à la fin des années 1960, il continue de s’occuper de médecine tropicale à l’hôpital Bichat, à l’Institut Pasteur puis pour les laboratoires Rhône-Poulenc. Il devient membre de l’Académie des sciences d’outre-mer. Cette vie de médecin, de chercheur, sa lutte contre les maladies tropicales, il en parlait plus volontiers et bien plus fièrement que de sa guerre.

Source lemonde