Affaire Jeanne Calment : les trois arguments qui interrogent

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Des chercheurs russes ont conclu à un incroyable tour de passe-passe entre la Française, ex-doyenne de l’humanité, et sa fille, provoquant intérêt et controverse dans la communauté scientifique.

Destruction des archives familiales, intérêt financier, incohérences de récits… Dans une étude fleuve, Nikolai Zak, chercheur à l’université de mathématiques de Moscou, identifie dix-sept arguments capables de battre en brèche le record de l’ex-doyenne de l’humanité, Jeanne Calment, décédée à l’âge de 122 ans.

Soutenu par le gérontologue Valeri Novosselov, Nikolai Zak, a pendant des mois analysé biographies, interviews, photos, ainsi que les archives d’Arles, la ville du sud de la France où elle avait vécu, et des témoignages de ceux qui l’avaient connue pour arriver à une conclusion plutôt incroyable : en 1934 ce n’est pas l’unique fille de Jeanne Calment, Yvonne, qui est morte d’une pleurésie, comme le dit la version officielle, mais Jeanne Calment elle-même. Yvonne aurait alors emprunté l’identité de sa mère, ce qui aurait permis d’éviter de payer les droits de successions.

Si les chercheurs à l’origine du record ont déjà fait part au Parisien de leur colère après la parution de cette étude, une partie de la communauté scientifique salue ce travail d’enquête, qui est « un argument en faveur de l’exhumation des corps de Jeanne et Yvonne Calment », a estimé ce lundi Nicolas Brouard, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED). Retour sur trois arguments qui posent question.

Pas de trace de son centenaire dans la presse locale

En 1975, Jeanne Calment soufflait ses cent bougies, en ignorant encore qu’elle deviendrait la doyenne de l’humanité. La presse locale, pourtant souvent friande de ce genre de sujets, ne se fait alors pas l’écho de cet événement local. Selon l’ancien maire d’Arles, Jacques Perrot, Jeanne Calment ne souhaitait pas célébrer cet anniversaire. Mais deviendra pourtant la coqueluche des médias dès ses 110 ans, âge de son entrée en maison de retraite. Un changement d’attitude suspect selon, Nikolai Zak.

Dans son livre « Le mystère de la chambre Jeanne Calment » (Ed. Fayard, 300 p., sorti en 2013), cité par le chercheur russe, l’écrivain Jean-Claude Lamy relate un échange entre l’édile d’Arles et Jeanne Calment le jour de son anniversaire. « Quand j’apprenais qu’une personne d’Arles avait 100 ans, raconte Jacques Perrot, il était de tradition d’aller chez elle en invitant sa famille et on apportait un cadeau. Mme Calment, […] ne souhaitait pas de cérémonie. Inutile d’insister, c’était une fin de non-recevoir. Son centenaire passerait donc inaperçu », aurait confié l’élu.

« Le 21 février 1975, Mme Calment fête ses 100 ans en privé. Aucun document sur cet événement n’est disponible », confirment les scientifiques à l’origine de la validation du record de l’ex-doyenne.

Pour éviter que l’on démasque la vérité sur son âge ? Jean-Claude Lamy évoque surtout des dissensions politiques avec Jacques Perrot, maire communiste, qui aurait pu conduire la vieille dame à ne pas vouloir célébrer cet anniversaire en sa compagnie. Poussée par son « savoir-vivre », Jeanne Calment aurait finalement accepté de se rendre à la mairie pour rencontrer l’édile.

« J’ai attendu longtemps dans la salle de réception, jusqu’à ce que je me rende compte que la femme assise, qui ne semblait pas avoir plus de 80 ans, était l’invitée d’honneur », raconte le maire. Une observation qui prouverait une nouvelle fois que la vieille dame n’était pas centenaire pour le chercheur russe. Le maire était-il simplement étonné de la vitalité de la vieille dame ou mettait-il en doute la véracité de son âge ? Impossible de le déterminer aujourd’hui, d’autant que l’ancien édile est décédé en 2017.

Elle semble plus jeune qu’elle en a l’air

Dans son étude, Nikolai Zak s’appuie sur l’analyse d’un autre gérontologue reconnu, Valery Novoselov, pour étayer la thèse selon laquelle Jeanne Calment n’était pas réellement centenaire. Ce dernier n’aurait pas observé chez Jeanne Calment de signe du syndrome de « fragilité sénile », fréquent chez les personnes âgées.

Preuve supplémentaire selon ce scientifique, les photos de la vieille dame affichées dans la maison de retraite correspondraient à l’apparence d’une femme 20 à 25 ans plus jeune.

Pour prouver ses dires, l’homme a réalisé un montage photo avec plusieurs personnes âgées et fait voter des internautes Facebook. Les réponses des 224 commentaires attribueraient un âge inférieur à l’ex-doyenne.

Le gérontologue a fait demander à des internautes de trouver l’âge de Jeanne Calment (en haut à gauche) en comparant sa photo à d’autres personnes âgées. /Valery Novoselov

Des incohérences dans les données anthropométriques et physiologiques

Dans sa thèse réalisée en 1990 sur Jeanne Calment, le docteur Garoyan, étudie l’évolution de la taille de la vieille dame. Selon ses observations, citées par Nikolai Zak, à l’âge de 114 ans, la taille de Jeanne Calment était de 1,50 m, ce qui ne représente que deux cm de moins que sa taille déclarée à l’âge de 57 ans. Une évolution étrange, puisque selon lui, après 40 ans, notre taille commence à diminuer et qu’en moyenne, à 80 ans, les femmes subissent une diminution de 6 cm.

La couleur des yeux – noirs – mentionnée sur la carte d’identité, ne correspondrait pas non plus à celle de la doyenne française au cours de ces dernières années de vie. Tout comme la taille de son front et de son menton.

Des constatations qui suscitent des divisions dans la communauté scientifique, certains appelant désormais à l’exhumation des corps.