Nick Cave défend ses concerts en Israël dans une lettre ouverte à Brian Eno

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Le légendaire Nick Cave, visé par « Boycott, désinvestissement et sanctions », qualifie l’initiative de « lâche et honteuse »

Nick Cave s’est à nouveau défendu d’être venu jouer deux fois à Tel Aviv l’an passé – c’est cette fois-ci à Brian Eno, à l’époque critique à l’égard de sa décision, qu’il répond au travers d’une lettre ouverte. L’artiste australien a partagé le document lors d’une de ses séances de question/réponse sur son site dédié The Red Hand Files.

Brian Eno figurait parmi de nombreux artistes, dont Roger Waters, à signer une lettre intitulée « Artists for Palestine » en novembre dernier, demandant à Nick Cave de ne pas jouer en Israël, « où l’apartheid est encore en vigueur. » Une lettre que le principal intéressé rejeta avec vigueur, doublant le nombre de dates prévu, et qualifiant la campagne « Boycott, désinvestissement et sanctions » de « lâche et honteuse.« 

La lettre ouverte de Nick Cave à Brian Eno

Cher Brian,

Il paraît clair que la décision des Bad Seeds de jouer en Israël n’est pas du goût de tout le monde. Pour être très clair : je ne soutiens pas le gouvernement en vigueur en Israël, pas plus que je n’accepte que l’on dise que ma décision d’y jouer représente une quelconque forme de soutien envers lui et sa politique. À ce titre je ne peux fermer les yeux sur les horreurs que vous avez décrites ; encore moins les ignorer. Je suis au courant des injustices dont souffre le peuple palestinien, et souhaite, avec l’aide de toutes les personnes impliquées, que leur souffrance cesse via une solution juste et équilibrée, ce qui implique une énorme volonté politique des deux côtés. Comme vous le savez, j’ai énormément œuvré pour la Palestine via la Hoping Foundation, levant à titre personnel quelque chose comme 150 000 livres pour les enfants de la Palestine – quelque part, je suis déjà passé de l’autre côté. »

Mais comme vous le savez, je ne soutiens pas non plus l’initiative Boycott, désinvestissement et sanctions. Je pense que le boycott culturel d’Israël est lâche et honteux. À vrai dire, il s’agit là de la raison principale pour laquelle je joue en Israël – non pas en soutien à une quelconque entité politique, mais plutôt contre toute volonté d’intimider, accabler et faire taire les musiciens. Je ne cherche pas particulièrement à débattre pour savoir si ce boycott peut être perçu comme étant profondément antisémite, et que par conséquent il n’apporte rien (il pourrait même aggraver la situation pour ceux que vous essayez de défendre) – mais même le très respecté Noam Chomsky considère que l’initiative manque de légitimité, tout en étant intrinsèquement hypocrite. Ce qui nous oppose de manière fondamentale, c’est une différence de point de vue sur la musique et le rôle qu’elle doit jouer.

Ce qui me frappe en vous écrivant tout ça, c’est à quel point votre message serait plus fort si vous alliez en Israël pour discuter de l’actuel régime en place auprès de la presse et de la population locales, si vous y donniez un concert en gardant à l’esprit que votre musique s’adresserait dès lors aux meilleurs individus du peuple israélien. L’effet serait significatif par rapport à un simple boycott. Imaginez seulement si les 1 200 artistes britanniques qui ont signé votre lettre faisaient la même chose. Peut-être que les Israéliens réagiraient d’une manière totalement inédite, plutôt que de s’enfoncer dans un rejet patent. Au final, quelles que soient les raisons et les torts invoqués par les représentants d’Israël concernant les actions menées sur les territoires disputés, il s’agit d’une vraie démocratie, concrète, vibrante et fonctionnelle – avec des membres du parlement arabes, oui – et s’engager auprès des Israéliens, qui votent, me semble plus efficace que d’effrayer les artistes ou de verrouiller toute forme d’engagement.

En vous souhaitant le meilleur,

Nick

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Jon Blistein
Traduit de l’anglais par Matthias Haghcheno

Source rollingstones