Une lettre d’Albert Einstein était mise aux enchères à New York ce mardi chez Christie’s. Dans cette lettre, celui qui a théorisé la relativité évoque sa conception de Dieu et de la religion. Des paroles rares et la lettre estimée à plus d’un million de dollars s’est finalement vendue à 2,89 millions de dollars !
« Le mot Dieu n’est pour moi rien d’autre que l’expression et le produit des faiblesses humaines, et la Bible un recueil de légendes vénérables mais malgré tout assez primitives. Aucune interprétation, aussi subtile soit-elle, n’y changera rien (pour moi). »
C’est par ces mots, définitifs, que le prix Nobel de physique (1921) Albert Einstein explique son rapport à la religion – et au judaïsme en particulier – dans une lettre écrite un an et demi avant sa mort, survenue en avril 1955.
« Une superstition primitive »
La lettre, rédigée en allemand, est adressée au philosophe Eric Gutkind, auteur de l’ouvrage Choisir la vie : l’appel biblique à la révolte, dans lequel ce dernier cite à de nombreuses reprises les travaux d’Einstein. Des références que le père de la théorie de la relativité goûte peu, au point d’écrire à Gutkind une mise au point, très polie mais directe, concernant son rapport au fait religieux.
« Pour moi la religion juive est, comme toutes les autres religions, l’incarnation d’une superstition primitive. Et le peuple juif auquel j’appartiens fièrement, et dont je me sens profondément ancré à la mentalité, n’a pas pour autant une forme de dignité différente des autres peuples. Au vu de mon expérience, ils ne sont pas meilleurs que les autres groupes humains, même s’ils sont protégés des pires excès par leur manque de pouvoir. » écrit-il.
Ce jugement est le résultat du long cheminement intellectuel du physicien. Enfant, Einstein était d’ailleurs très croyant. « Tellement qu’il s’en prenait parfois même à ses parents [peu pratiquants] parce qu’ils mangeaient du porc », raconte l’historien Simon Veille à France Culture. Une dévotion qui prend fin vers l’âge de 12 ans, lorsqu’il rencontre ce qui deviendra son obsession – la science – par le truchement d’un étudiant en médecine. « Il lui a fait découvrir des livres [de physique], de géométrie, des livres sur la nature et [le petit Albert] a abandonné toutes ses croyances », poursuit Simon Veille.
« Merveilleux Spinoza »
Malgré son rejet de la religion en tant qu’institution et dans sa représentation de Dieu comme puissance active dans la vie des individus, qui punit les méchants et récompense les bons, Einstein ne se définissait pas pour autant comme athée. Dans sa lettre, il fait d’ailleurs une rapide référence à « notre merveilleux Spinoza », philosophe néerlandais du XVIIe siècle pour qui Dieu, la nature et la nécessité absolue sont une et même chose.
Concrètement, « dire “je crois dans le Dieu de Spinoza”, comme Einstein, (…) cela signifie que vous croyez que les lois de la nature forment un tout et qu’elles contiennent toutes les réponses aux questions que vous vous posez », explique au New York Times Rebecca Newberger Goldstein, philosophe et auteure du livre Plato at the Googleplex : Why Philosophy Won’t Go Away (« Platon au Googleplex : pourquoi la philosophie ne disparaîtra pas », non traduit en français). Et de poursuivre :
« Beaucoup de physiciens utilisent le mot Dieu. Cela trompe les gens qui pensent qu’ils sont croyants, mais c’est en fait une manière métaphorique de parler de la vérité absolue. »
Recherchée par les collectionneurs
La lettre a été rendue publique en 2008 lors d’une enchère à Londres. Jusque-là, il semble qu’elle soit restée dans les mains des héritiers de Gutkind, mort en 1965, explique le New York Times. Sa vente avait alors atteint 404 000 dollars (soit près de 355 000 euros).
L’acquéreur avait souhaité rester anonyme. En 2012, il avait tenté de vendre cette lettre pour plus de 3 millions de dollars sur la plate-forme de vente en ligne eBay. Sans succès, selon la porte-parole de Christie’s, qui confirme que celui qui a acheté la lettre en 2008 est la même personne que celle qui la vend en 2018.
Cette missive n’est pas le premier écrit d’Einstein à faire tourner les têtes des commissaires-priseurs : en octobre 2017, une note manuscrite du physicien sur le secret du bonheur avait été adjugée à Jérusalem pour 1,56 million de dollars… alors qu’elle était initialement estimée entre 5 000 et 8 000 dollars.
« La plus belle chose que nous puissions éprouver c’est le côté mystérieux de la vie. C’est le sentiment profond qui se trouve au berceau de l’art et de la science véritables. Celui qui ne peut plus éprouver ni étonnement, ni surprise, est pour ainsi dire mort ; ses yeux sont éteints. L’impression du mystérieux, même mêlée de crainte, a créé aussi la religion. Savoir qu’il existe quelque chose qui nous est impénétrable, connaître les manifestations de l’entendement le plus profond et de la beauté la plus éclatante, qui ne sont accessibles à notre raison que dans leurs formes les plus primitives, cette connaissance et ce sentiment, voilà ce qui constitue la vraie dévotion : en ce sens et seulement en ce sens, je compte parmi les hommes les plus profondément religieux.
Je ne puis me faire l’illusion d’un Dieu qui récompense et punisse l’objet de sa réaction, qui surtout exerce sa volonté de la manière que nous l’exerçons nous-même. Je ne veux pas et ne puis pas non plus me figurer un individu qui survive à sa mort corporelle, que des âmes faibles par peur ou par égoïsme ridicule, se nourrissent de pareilles idées ! Il me suffit d’éprouver le sentiment du mystère de l’éternité de la vie, d’avoir la conscience et le pressentiment de la construction admirable de tout ce qui est, de lutter activement pour saisir une parcelle, si minime soit-elle, de la raison qui se manifeste dans la nature. »
– Einstein, Comment je vois le monde, Flammarion.
Sources lemonde et franceculuture