Israël s’inquiète du sort de l’épouse et des enfants de l’un d’entre eux

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La libération, samedi, de Yarden Bibas, capturé lors de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, laisse entière la question du sort de son épouse et de ses deux jeunes enfants, alors que le Hamas a affirmé, en 2023, qu’ils avaient été tués par une frappe israélienne, sans en apporter la preuve.

Yarden Bibas a retrouvé son pays. Et perdu, peut-être pour toujours, son épouse et ses enfants. Le Hamas a déclaré, peu après leur capture, qu’ils avaient été tués par une frappe aérienne israélienne. L’armée a longtemps nié détenir toute information confirmant leur capture, avant que son porte-parole, Daniel Hagari, ne déclare, le 26 janvier, avoir de « graves préoccupations » quant à leur sort.

Libéré samedi 1er février au matin, avec deux autres otages, le Franco-Israélien Ofer Kalderon, 54 ans, et l’Américain Keith Siegel, 65 ans, apparemment en bonne santé, Yarden Bibas, 35 ans, a d’abord rencontré sa sœur et son père à l’une des sorties de la bande de Gaza. Puis, dans l’hélicoptère qui l’emmenait à l’hôpital Sheba de Tel-Aviv, il a écrit ces mots sur une ardoise : « Je remercie tout le peuple israélien pour son soutien et son aide. J’ai entendu dire par ma famille que vous vous êtes battus pour moi, et je veux vous dire merci, je vous en sais gré, je ne le prends pas pour acquis. Joyeux anniversaire grand-père ! » Mais aucun mot au sujet de son épouse et ses deux enfants. Et tout Israël reste suspendu à cette question : « Sont-ils vivants ? »

La famille vivait dans le kibboutz de Nir Oz, la localité la plus touchée par le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, dans le sud d’Israël. Sur les 400 habitants, quarante-deux ont été tués, quatre-vingts pris en otage. Shiri, la mère, était âgée de 32 ans, et les deux fils, Ariel et Kfir, avaient respectivement 4 ans et 9 mois.

A 9 h 43, ce 7 octobre 2023, alors qu’Israël subit la pire attaque terroriste de son histoire, Yarden Bibas envoie ce message à sa sœur : « Ils arrivent. » Peu après, une vidéo apparaît sur les réseaux sociaux, montrant son épouse Shiri, le regard terrifié, serrant dans ses bras ses deux jeunes enfants aux cheveux roux flamboyants, entourée de combattants du Hamas.

« Guerre psychologique »

Bien que ceux-ci clament, en arabe, vouloir « la protéger et la maintenir en sécurité », et faire preuve d’« humanité », le chaos, le visage de Shiri Bibas, les vociférations lors de l’enlèvement font de cette vidéo le symbole, en Israël, d’un pays pris au dépourvu par la violence et la cruauté de l’attaque du Hamas, qui n’a épargné ni les combattants, ni les familles, ni les enfants : Kfir, âgé de seulement 9 mois, est le plus jeune otage parmi les 251 Israéliens kidnappés. D’autres images émergent, montrant Yarden Bibas, le visage ensanglanté, molesté par des assaillants. Quant aux parents de Shiri, qui vivent aussi dans le kibboutz, ils sont portés disparus. Leurs corps seront retrouvés une quinzaine de jours plus tard.

La famille Bibas disparaît dans Gaza. Arrive le premier échange de captifs entre Israël et le Hamas, en novembre 2023. Jour après jour, tout le pays espère voir sortir Shiri Bibas et ses enfants dans le cadre d’un accord qui donnait la priorité à la sortie des familles israéliennes. Mais le 29 novembre, les Brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du Hamas, publient un communiqué dans lequel elles affirment que les trois otages ont été tués par une frappe aérienne israélienne. Benny Gantz, alors membre du cabinet de guerre et figure de l’opposition au premier ministre Benyamin Nétanyahou, invite à la prudence, estimant que ce message pourrait faire partie d’une « guerre psychologique ».

Le lendemain, le Hamas diffuse une vidéo de propagande montrant Yarden Bibas accusant Benyamin Nétanyahou d’avoir bombardé sa famille et tué son épouse et ses enfants. Un peu plus d’un an plus tard, en janvier 2024, l’une des otages, Nili Margalit, elle aussi du kibboutz Nir Oz, enlevée le 7 octobre 2023 puis libérée en novembre 2023, explique qu’elle a vu, pendant sa captivité, un membre du Hamas annoncer au père la mort de sa famille. Elle n’a pas eu le temps de voir la réaction de Yarden Bibas : elle a tout de suite été emmenée pour être relâchée.

« Une réalité insupportable »

Preuve de vie pour lui, doutes sur la mort pour les autres : depuis cette date, les Israéliens veulent croire que le Hamas cherche ainsi à jouer avec leurs nerfs. Mais quand le mouvement islamiste palestinien détaille à Israël la liste des otages vivants à échanger dans la première phase du cessez-le-feu, il indique le nombre – vingt-cinq sur trente-trois – mais pas leurs identités.

Lors de la nouvelle vague d’échanges d’otages et de prisonniers qui a commencé le 19 janvier, dans le cadre du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, tout un pays espérait la sortie, enfin, de Shiri, Ariel et Kfir Bibas. La libération de leur mari et père, samedi, semble renforcer l’hypothèse de leur décès. Gal Hirsch, le principal responsable chargé des otages et des disparus, a informé les Israéliens que les affirmations du Hamas selon lesquelles les Bibas étaient morts correspondaient à l’évaluation des services de renseignement israéliens.

Les Israéliens vivent, depuis deux semaines, des journées remplies de joie et d’espoir, à mesure que les leurs rentrent de captivité. Ils sont attentifs à la moindre image, à la moindre déclaration. Mais ils appréhendent le jour où les premiers cadavres seront restitués, ressuscitant la tragédie du 7-Octobre.

Après avoir retrouvé M. Bibas, sa famille a publié un communiqué, en forme d’adieu inavoué : « Yarden a retrouvé son foyer, mais le foyer est incomplet. Yarden est un père qui a quitté sa chambre sécurisée pour protéger sa famille, a courageusement survécu à la captivité et est retourné à une réalité insupportable. Merci à notre beau peuple. Merci à nos soldats. Merci et nous sommes désolés pour tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour que ce jour puisse arriver. Il nous faudra quelques jours pour retrouver Yarden, mais nous continuons à espérer et à réclamer le retour de Shiri, des enfants et de tous les otages. Continuez à faire entendre leur voix et à souligner l’urgence de leur retour. »

Samuel Forey (Jérusalem, correspondance)

source lemonde