La podcasteuse Julia Layani, jurée au sein de cet événement parisien, a révélé, sur Instagram, des pressions nauséabondes pour l’exclure du festival. Les organisateurs et l’intéressée se confient au « Point ».
C’est une bien triste affaire dont le festival Chéries-Chéris se serait bien passé pour son 30e anniversaire. Manifestation consacrée aux films « lesbiens, gays, trans et ++++ » qui s’est tenue, cette année, dans divers cinémas MK2 de Paris du 15 au 26 novembre, Chéries-Chéris a vu cette édition anniversaire entachée par une véritable cabale à caractère antisémite, visant l’un des membres du jury courts-métrages : Julia Layani.
Activiste LGBT, entrepreneuse et fondatrice du podcast Conversation avant la fin du monde, la jeune femme de 31 ans a révélé, dans une série de messages postés sur son compte Instagram au lendemain de la cérémonie de clôture, l’acharnement dont elle a été la cible de la part d’une poignée d’artistes et jurés du festival. Le récit de la podcasteuse est particulièrement glaçant.
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Une dizaine de jours avant la fin du festival, Julia Layani est informée par un contact qu’une « tribune » cosignée par onze personnes liées au festival 2024 circule, réclamant son exclusion du jury. Motif : selon l’informateur de Layani, elle est visiblement cataloguée « sioniste d’extrême droite » par ses procureurs.
La jeune femme, de confession juive, est abasourdie : « Pourquoi moi ? J’ai pris la décision, il y a un an, de ne plus parler de ce conflit qui m’attriste tous les jours vu les horreurs qui se passent des deux côtés. J’ai toujours dit mon empathie envers les deux peuples et je me suis toujours exprimée contre les agissements du gouvernement israélien. Mais la question qui me taraude est la suivante : que vient faire ce conflit dont je ne parle jamais dans un argument visant à me virer d’un festival LGBT ? Quel est l’indice de mon sionisme puisque je ne le mentionne jamais. Connaissent-ils même la définition du mot sionisme ? »
« Y a-t-il des sionistes dans les équipes de films ? »
Layani, qui ignore alors le contenu exact du texte qui l’incrimine ainsi que l’identité des signataires, décide de « se taire » pour ne pas faire de vagues et préfère continuer sa mission de jurée : visionner l’intégralité des 68 courts-métrages de la sélection, malgré une ambiance soudainement très pesante. Julia n’en discutera même pas avec les organisateurs du festival qui, eux, ont bien reçu la fameuse tribune, mais ont choisi de ne pas en révéler l’existence à l’intéressée, pour sa protection. De part et d’autre, on fait donc comme si tout allait bien…
Le 25 novembre, soir du dîner de délibération des prix, le climat s’alourdit encore un peu plus lorsqu’un autre incident se produit, a priori décorrélé de la tribune : à sa table, Julia Layani entend l’une des membres de son jury lancer à la cantonade qu’« il serait bon aussi de parcourir les fiches techniques des films pour voir s’il y a des sionistes problématiques dans les équipes ». La chasse aux sionistes, terme désormais frappé d’infamie dans certains cercles, est donc devenue un sujet d’agapes… Sidérée et rongée par la rage, Layani choisit pourtant de privilégier encore le silence. Une position de plus en plus intenable et qui va exploser le 26 novembre, jour de la cérémonie de clôture.
Sur un compte Instagram que Julia Layani refuse de nommer dans ses posts, il est expliqué que la pétition contre l’influenceuse-entrepreneuse a pour motif principal que, en juillet 2024, elle a reçu dans son podcast la journaliste essayiste Caroline Fourest, directrice de la rédaction du magazine Franc-Tireur. Une personnalité jugée « islamophobe » par les signataires, qui lui reprochent également ses positions abolitionnistes concernant la prostitution. Aux alentours de 16 heures, à quelques heures du début de la soirée, un autre mail signé par les membres de divers jurys de Chéries-Chéris demande au festival la possibilité d’un « moment politique » pendant la cérémonie de clôture, où un texte serait lu sur scène par un groupe de jurés.
Les otages du Hamas « hors sujet »
La déclaration, après les remerciements d’usage, martèle la nécessité pour les artistes, cinéastes, journalistes « et citoyens du monde » de « ne pas rester silencieux face aux atrocités qui secouent le monde ». Sont alors évoqués « le génocide à Gaza, l’invasion du Liban, la lutte courageuse des femmes iraniennes pour un régime oppressif »… sans oublier, « plus proche d’ici, la montée inquiétante de l’extrême droite ». Le texte appelle aussi à combattre « l’homophobie, la transphobie, la putophobie, le patriarcat » et affirme en conclusion que « la libération des personnes LGBT+ /TDS est intrinsèquement liée à la libération de tous les peuples opprimés ». Le mot antisémitisme n’est à aucun moment mentionné au fil des vingt lignes de l’appel, une cause manifestement donc pas prioritaire pour les auteurs.
Mise dans la boucle, Julia Layani – malgré un stress intense depuis qu’elle a pris connaissance de la conjuration qui la vise – répond dans la foulée au groupe qu’elle serait ravie de s’associer à ce texte – « en dépit même de l’utilisation du mot génocide pour Gaza, qui [la] mettait extrêmement mal à l’aise », confie-t-elle au Point – à condition que le sort des 120 otages civils israéliens toujours détenus par le Hamas soit aussi mentionné. Non seulement sa requête restera lettre morte, mais, le soir de la cérémonie, dans la grande salle de 600 places bondée du MK2 Bibliothèque, l’un des membres du jury « Libertés chéris », signataire de cette tribune « pour la paix », prend à part la podcasteuse pour lui interdire de monter sur scène avec les six autres jurés désignés pour lire le pamphlet.
Un plaidoyer pro domo improvisé
Les signataires jugent que sa demande concernant les otages du Hamas est « hors sujet » et qu’ils ne seront donc pas évoqués – pas plus qu’on ne la laissera s’associer sur scène à la démarche : « C’est bien ce que je pensais, je suis censurée, silenciée, exclue, excommuniée. Je suis victime d’antisémitisme », écrit dans son récit Instagram Julia Layani.
Avec l’accord du directeur artistique du festival Grégory Tilhac et du président fondateur Laurent Bocahut, Julia Layani saisit alors à l’improviste un micro pour laisser éclater devant le public, extrêmement émue, sa colère, tout en rappelant le sort des otages israéliens et l’ostracisation dont elle a été la cible. Au milieu des applaudissements nourris, quelques huées… et un énorme malaise, même si Layani a bel et bien, quelques minutes plus tard, participé à la remise du palmarès de son propre jury en compagnie de ses trois co-jurés.
La vidéo de son intervention, filmée par une proche et vue près de 25 000 fois sur son compte depuis mercredi, a suscité près de 4 000 commentaires et de nombreuses réactions de soutien de diverses personnalités médiatiques et politiques – dont ceux de Marlène Schiappa et de l’actuelle ministre de la Culture, Rachida Dati. Dans la foulée du scandale, la Région Île-de-France, comme l’a confirmé sur X la vice-présidente des Républicains, Florence Portelli, vient d’annoncer la suspension (et non la suppression) de la subvention annuelle de 20 000 euros accordée au festival.
Les pressions dont a fait l’objet Julia Layani, jury de Chéries-Chéris, en raison de sa confession religieuse sont une atteinte grave aux valeurs de notre République. Je salue la position de @mk2 qui rappelle l’importance de défendre la pluralité et le respect. L’antisémitisme… https://t.co/lwSzEflnlG
— Rachida Dati ن (@datirachida) November 28, 2024
Le groupe MK2 a, de son côté, publié, hier, un communiqué soutenant Julia Layani et condamnant « sans ambiguïté celles et ceux qui se serviraient de sa confession juive ou de la programmation de son podcast pour l’ostraciser ». Pas en reste, l’association Rainbow Submarine (dont Laurent Bocahut est trésorier), productrice de Chéries-Chéris, a aussi exprimé ce matin sa solidarité avec la jeune femme et son indignation.
Contactée par Le Point, Julia Layani persiste dans ses accusations : « Je le scande haut et fort, j’ai été victime d’antisémitisme. Moi qui ne me suis jamais exprimée sur le sujet, je constate qu’en raison de mon nom juif, j’ai été assimilée par ces gens à une “sioniste d’extrême droite” qui soutient automatiquement Netanyahou. On a tenté de m’exclure par rapport à cela ainsi que par rapport aux positions d’une invitée de mon podcast sur le conflit israélo-palestinien. Comme l’a dit Delphine Horvilleur, à chaque siècle, il y a un alibi pour l’antisémitisme. Au XXIe siècle, cet alibi est l’antisionisme. » Julia Layani, qui tient à préciser que toute l’équipe de Chéries-Chéris a toujours été pour elle d’un soutien exemplaire, affirme au Point qu’elle examine en ce moment même avec ses avocats l’éventualité de suites judiciaires à cet épisode, tout en se donnant le temps de la réflexion.
Cabale orchestrée par une influenceuse
Dans son collimateur, une personne a clairement orchestré la campagne de dénigrement la visant : la dénommée Habibitch (son pseudonyme sur Instagram), « artiste-activiste queer féministe décoloniale » (décrite ainsi sur le site du festival) et membre du jury Libertés Chéries de cette édition 2024. Sur son compte Instagram, frappé du slogan « Free Palestine » écrit en lettres capitales, la performeuse multiplie, depuis le 7 octobre 2023, de virulents post-propalestiniens relayant l’association du terme « génocide » à la guerre meurtrière en cours à Gaza.
C’est bien elle qui, dans un premier mail envoyé aux organisateurs le 5 novembre – et intitulé « Contre la présence de Julia Layani à Chéries-Chéris » –, réclame au nom des onze signataires l’exclusion de cette dernière.
L’invitation de Caroline Fourest dans le podcast de Layani est bel et bien la raison essentielle invoquée, dans ce mail qui affirme : « Fourest est notoirement connue pour promouvoir une vision de la laïcité qui masque une islamophobie persistante, ainsi que pour ses prises de position polémiques sur le génocide palestinien, où elle hiérarchise explicitement les pertes humaines palestiniennes et israéliennes. » Et le réquisitoire, qui exige le remplacement de Julia Layani par une personne aux valeurs « davantage en phase avec celles du festival », de se clore sur une menace : « Nous souhaitons agir urgemment, les personnes qui ont signé ici ont été les premières à répondre, mais nous sommes prêts à contacter tous les autres invités et jurys si cette demande n’est pas prise en considération. »
Le chaos semblait pourtant évité
Stupéfaits, « révulsés » selon leurs propres mots, par cet ultimatum, Grégory Tilhac et Laurent Bocahut tenteront une médiation d’apaisement avec les censeurs, lors d’une discussion en visioconférence à laquelle participent notamment Habibitch et deux membres du jury de Layani, le réalisateur Antonius Ghosn et sa consœur Elsa Aloisio. Face au refus catégorique par Tilhac et Bocahut d’exclure Layani, l’appel se termine dans le calme au nom de la préservation de l’esprit inclusif, tolérant, ouvert et cinématographique du festival, qu’il n’est pas question de « fusiller » en important les tensions du conflit israélo-palestinien.
Le chaos semble évité, Julia Layani est maintenue au jury… Mais le 26 novembre, en milieu d’après-midi et alors que les tensions ne sont pas retombées en coulisses autour de la personne de Layani, le même groupe envoie aux organisateurs le fameux texte d’« appel à la paix », qu’il souhaite pouvoir lire sur scène le soir même, entre deux remises de prix. La prose est reçue trop tardivement pour que les responsables du festival n’aient le temps de l’examiner en détail.
Et afin de déjouer une nouvelle crise, ainsi que pour conserver la maîtrise des prises de parole, ils obtempèrent. Le speech aura donc bien lieu, trente minutes environ après le début de la cérémonie, mentionné dans le conducteur sous le titre Appel des signataires du discours contre la guerre et relatif au conflit israélo-palestinien.
Obsession
Laurent Bocahut reconnaît n’avoir lu le texte que très rapidement, trop occupé aux ultimes préparatifs de la soirée. Lorsque six intervenants montent sur scène pour lire l’appel, ni lui ni Grégory Tilhac n’ont alors connaissance de la tentative d’intimidation et d’exclusion de ce discours dont Julia Layani vient d’être victime… Grégory Tilhac lui laissera bien volontiers l’accès au micro pour qu’elle puisse donc improviser, ce soir-là, son plaidoyer pro domo. « On s’est laissé déborder dans toute cette histoire », reconnaît cependant aujourd’hui Laurent Bocahut, qui ne désespère pas de convaincre la Région Île-de-France de l’exemplarité de Chéries-Chéris dans la tempête. De nouvelles procédures sont étudiées pour l’édition 2025 – l’annulation pure et simple des jurys est envisagée.
Au lendemain matin du coup d’éclat de Julia Layani sur la scène du MK2 Bibliothèque, Habibitch, qui n’a pas assisté à la soirée, s’est quant à elle fendue d’un autre mail aux organisateurs : « Maintenant que Julia Layani s’est clairement positionnée comme sioniste, ce qui est la raison pour laquelle je ne suis pas venue hier soir, j’aimerais savoir quel va être le positionnement public du festival svp ? Encore une fois, il me semble fondamental qu’un espace-temps comme le Chéries-Chéris se positionne clairement face au fascisme. Merci de votre réponse (rapide je l’espère). » On peut parler d’obsession.
Chape de plomb
Consternée par la contagion contre nature d’une partie du milieu LGBT par la violente propagande islamiste au nom de la défense légitime du peuple palestinien, Julia Layani explique le phénomène par l’ostracisation même de cette communauté, sa mise à l’écart, voire sa précarité et son manque d’éducation, qui font d’elle une cible de choix pour le prosélytisme religieux.
La grande chape de plomb qui semble s’abattre depuis le 7 octobre 2023 sur toute voix – artistique ou journalistique – qui tente de commémorer la mémoire des victimes de l’attaque du Hamas s’étend, hélas, aussi dans de nombreux autres cercles culturels : le 23 septembre dernier, le chorégraphe israélien Dor Eldar apprenait que, à la suite de diverses pressions, son clip RAVE, hommage aux victimes du Festival Nova, était retiré de la programmation du Festival international du film de danse à Exeter, en Grande-Bretagne.
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