C’est l’idée de Langage de femmes, dont les adhérentes sont musulmanes, juives, chrétiennes ou athées. Rencontre avec la cofondatrice de l’association.
Elles sont de cultures, de religions et d’horizons très divers et parviennent à lutter, ensemble, contre toutes les formes de discrimination… Lorsque nous les rencontrons, Suzanne Nakache, cofondatrice de l’association Langage de femmes, et Louise Hall, l’une de ses plus jeunes membres, ont conscience de porter le dialogue interculturel à bout de bras, dans une France parfois déchirée de tensions.
Créée en 2017 par Suzanne Nakache, de confession juive, et Samia Essabaa, de confession musulmane, l’association compte aujourd’hui un peu plus de 800 adhérentes, déterminées à « dépasser les fractures actuelles de la société française ». Avec des visites annuelles dans des lieux de mémoire, comme le camp d’Auschwitz ou le Mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes, l’association se réunit également autour de dîners qui célèbrent aussi bien le shabbat et la rupture du jeûne du ramadan que la galette des Rois.
« Accepter que l’autre pense différemment »
Alors qu’elles évoquent l’organisation à venir d’un « shabbat-ramadan » qui permettrait à leurs membres de se réunir lors d’un prochain dîner, on interroge Suzanne Nakache, vice-présidente de l’association, sur d’éventuelles tensions internes depuis le 7 octobre 2023. « Nous essayons d’aller au-delà de l’actualité et de garder le contact. Notre association propose de se rencontrer, de réfléchir toutes ensemble, et nous avons en commun de vouloir la paix. Donc nous savons arrêter à temps certaines discussions et accepter que l’autre pense différemment », répond Suzanne Nakache, engagée de longue date dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Louise Hall, 21 ans, a rejoint l’association dès l’adolescence, durant laquelle elle a participé au voyage annuel à Auschwitz proposé aux adhérentes. « J’avais 15 ans, ma mère m’a emmenée avec ma petite sœur pour participer au voyage. Ça m’a marquée à vie, surtout que j’étais en seconde et qu’on balayait rapidement l’histoire de la Shoah… Aller sur place, entourée de femmes de toutes cultures et religions, m’a fait réaliser à quel point la transmission est importante », se remémore la jeune femme, dorénavant chargée des questions liées à la jeunesse au sein de l’association. À ses côtés, au conseil d’administration, siège par exemple Isabelle Rome, ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Qu’il s’agisse de la cause des femmes iraniennes, afghanes, du génocide arménien ou encore de l’excision, Langage de femmes se mobilise sur tous les sujets de violences faites aux femmes à travers le monde. « Nous nous sommes aussi mobilisées pour les femmes kidnappées, violées et tuées lors du pogrom du 7 Octobre en Israël. Il s’agit de violences faites aux femmes, et nous sommes toutes pareilles face à la barbarie, que l’on soit chrétiennes, juives ou musulmanes », précise Suzanne Nakache.
Le conflit israélo-palestinien mis à l’écart
La vice-présidente est d’ailleurs transparente : lorsqu’elle a fondé Langage de femmes avec Samia Essabaa, toutes deux se sont mises d’accord pour ne pas aborder la question du conflit israélo-palestinien. Les membres respectent cette décision. « Cela n’empêche pas d’être mobilisées contre l’antisémitisme, bien au contraire ! Par exemple, lors de notre dernier voyage à Auschwitz, Fadila Mehal [conseillère de la ville de Paris et fondatrice des Mariannes de la diversité, NDLR] a tenu un discours magnifique où elle a notamment abordé l’explosion des actes antisémites en France et la crainte que tout puisse recommencer », souligne Suzanne Nakache.
Sa méthode ? Créer les conditions d’un dialogue, sans tabous, en multipliant les interventions – présentation de la fête de Souccot par une femme rabbin, choisir Iftar pour évoquer la place de la femme dans la religion musulmane, galette des Rois traditionnelle… Les conférences varient, et les adhérentes s’y pressent. Le projet de shabbat-ramadan serait organisé en 2025 « lors de la rupture du ramadan, un vendredi soir, explique Suzanne Nakache. On y tient beaucoup… Surtout en ce moment. »
Une jeunesse qui peut « manquer de tolérance »
Étudiante, Louise Hall constate une forme de radicalité nouvelle, propre à la jeune génération. « Notre jeunesse est très engagée, heureusement, mais j’observe qu’une partie de ma génération, très militante, peut manquer de tolérance, surtout dans le contexte actuel, regrette-t-elle. Sur les réseaux sociaux, on est très manichéens et j’ai l’impression que notre association ouvre les esprits. Lorsque je parle à des amies du fait que nous voulons organiser un shabbat-ramadan et que les communautés juive et musulmane coexistent dans la paix et la bienveillance, ça les impressionne et les intrigue. »
Si elles assument le fait de ne pas se présenter comme « féministes », l’association Langage de femmes réserve ses dîners-débats aux femmes uniquement. Elle s’ouvre cependant aux hommes lors de certaines activités. Un engagement à l’image de leur charte, qui affirme refuser « tous les communautarismes » et prône la connaissance de l’autre et les « valeurs de la République ».
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