Après plus de soixante ans de carrière passés sans qu’elle ne s’en rende compte, la chanteuse fait ses adieux à la scène avec une série de concerts.
Elle n’en revient pas. Tout est passé si vite. Une vie, flambée comme une cigarette, comme une allumette. Lorsqu’elle jette un coup d’œil dans le rétroviseur en chassant d’une main la fumée, à l’âge de 80 ans, Sylvie Vartan se rend compte de cette chance inouïe qu’elle a eue : plus de soixante ans de carrière à sillonner le monde avec des tournées et chansons connues jusqu’au Japon (la Plus Belle pour aller danser, Qu’est-ce qui fait pleurer les blondes ?, Comme un garçon…) Elle se rend bien compte, oui, de ce destin de Française chic et modeste, garçonne de la pop en smoking Yves-Saint-Laurent ou amazone extravagante en robe fendue à la Bob Mackie. Elle qui, jeune, quasi jumelle de Bardot avec dents du bonheur en commun, va paver la route en pionnière féminine des années yé-yé, circa 1960, pop rock et variétés, éclectique à souhait pouvant flirter avec la bossa, le tango, le jazz. Elle qui va peupler les couv de Paris Match à chaque étape de sa vie sentimentale, mariages et divorces, jusqu’à rendre dingues les hordes de fans aux côtés de son rockeur de Johnny, premier grand amour qui donnera naissance sur près de quinze années d’union au duo J’ai un problème, je crois bien que je t’aime, en plus du fils David, qui a aujourd’hui 58 ans. Elle qui aussi, surtout, sera l’une des premières à investir plusieurs fois, avec une pointe d’avant-gardisme, le Palais des congrès à Paris dans les années 70, donnant des shows tonitruants aux effluves rythmn and blues, ambiance music-hall de Broadway, avec kilos de décors et ballets contemporains mis en scène par le chorégraphe noir-américain Jojo Smith. Et encore, ceci n’est qu’une toute petite partie de l’histoire.
«Oui, tout ça s’est passé tellement vite que j’ai l’impression que c’était un rêve.» Un rêve mais de bosseuse invétérée tout de même, discipline d’acier, la passion pour moteur ne doit pas le faire oublier. «Mais c’est pas travailler ça !» nous oppose-t-elle pourtant, début octobre, dans une chambre de l’hôtel Raphaël près de l’Arc de Triomphe. Dehors il pleut des cordes, on écarquille un peu les yeux face à cette stature d’élégance figée, assise sur le canapé bleu canard. Elle étoffe : «Enfin, bien sûr que c’est du travail mais j’ai la chance d’avoir un métier qui me fasse oublier la réalité pendant un moment. Travailler, c’est quand on est obligé de gagner sa vie avec dureté et qu’on ne peut pas boucler ses fins de mois.» Elle sait ce dont elle parle : l’enfant de l’exil a vu ses parents galérer à leur arrivée en France en 1952, après avoir fui la Bulgarie sous le joug de Staline. Sylvie a 8 ans, son frère, Eddie Vartan – l’homme-trompettiste qui l’introduira dans le monde de la musique –, huit de plus. Les parents retrouvent du travail dans une triperie aux Halles : la famille vit dans une chambre d’hôtel du IIe arrondissement parisien, s’émeut de l’entraide des voisins et commerçants alentour. «La rue Mandar, oui ! sourit Sylvie Vartan avec nostalgie, qui allait prier petite non loin à Saint-Eustache. Je n’oublierai jamais. On a vécu quatre ans dans une seule et même pièce qui était comme celle-ci [la chambre où nous sommes avoisine les 25m2, ndlr], un peu plus petite, avec deux grands lits, une table, deux débarras comme ça dans un coin.»
Si la question du déracinement brûle toujours en elle comme un feu qui ne s’éteindra jamais vraiment – «il n’y avait pas de voitures en Bulgarie, j’ai un souvenir si vif des calèches et de la neige, tout ça est ancré en moi» –, elle déplore évidemment que le monde n’ait «jamais cessé d’être violent», en témoignent les multiples guerres en cours. Ce qui la frappe aussi aujourd’hui, c’est le flux d’images sans fin, la surexposition de l’horreur dans les médias, sur les réseaux. Même pour dénoncer, faut-il en montrer autant ? «Les enfants sont exposés, ils ne le ressentent pas toujours d’une manière claire car ils n’ont pas encore tout le bagage intellectuel pour s’expliquer pourquoi… c’est très inquiétant.» L’enfance est aussi une cause au cœur des préoccupations de la chanteuse. En 1990, alors qu’elle revient dans son pays natal pour donner un concert – peu de temps après la chute du mur de Berlin – elle crée dans un même mouvement l’association «Sylvie Vartan pour la Bulgarie», toujours en activité et soutenue par la Croix-Rouge bulgare, pour venir en aide aux enfants démunis et aux hôpitaux. C’est également en Bulgarie qu’elle et son mari, le producteur américain Tony Scotti – quarante ans de mariage aujourd’hui –, vont adopter une fille en 1998 : Darina, qui signifie «cadeau de Dieu». La jeune femme vit en Californie, étudie le graphisme et vient d’avoir 27 ans.
L’heure du bilan, c’est encore Sylvie Vartan qui s’en charge le mieux, même si elle «déteste regarder en arrière». Elle présente un ultime grand show baptisé «Je tire ma révérence». Rien à voir avec Véronique Sanson. C’est décidé, la chanteuse fait ses adieux à la scène, avec une série de concerts. De quoi partager encore un peu de magie, et revenir sur sa vie en deux heures trente et bien des acrobaties de danseurs, avec six grands tableaux prévus : «Ce sera quand même à taille humaine. Le théâtral explosif, ça me plaît, mais ça se fait parfois au détriment du sentiment.» C’est sûrement d’un point de vue plus intimiste qu’elle évoquera ses tout débuts, son passage à l’Olympia avec les Beatles en 1964, la France avec Johnny lorsqu’ils ont enflammé la place de la Nation jusqu’à créer l’émeute en 1963. Elle reviendra aussi sur les années Las Vegas, d’un premier concert donné en 1982 au complexe hôtelier de MGM Grand où elle rencontra son Scotti et se fera nommer par les Américains «The Best Gift From France Since the Statue of Liberty» («le meilleur cadeau que la France nous ait donné depuis la statue de la Liberté»). Puis il y aura une partie sur son retour en Bulgarie. En parallèle des concerts donnés, paraît l’ouvrage Ma vie de scène en scène, où la chanteuse commente à l’écrit, période par période, ses tournées, garnies d’anecdotes et de ressentis. Sylvie Vartan l’a maintes fois répété, elle aurait aimé être actrice, elle le fut parfois, notamment pour Jean-Claude Brisseau en femme fatale dans l’Ange noir (1994), mais pas assez encore. A la place, elle a ramené le chantier du cinéma sous les feux de la rampe, avec des mises en scène spectaculaires : «C’est vrai mais quand on joue un rôle de cinéma, on a un alibi énorme pour être méchante, gentille, drôle, triste. Quand on chante, certes on peut être différente, mais quelque part, on est quand même très à nu malgré les costumes. Sans compter le public qu’on rencontre sans écran interposé. Le mien a toujours été effervescent. C’est là d’ailleurs qu’une chanson prend véritablement vie, une fois devant son public.»
15 août 1944 Naissance à Iskretz (Bulgarie).
Octobre 1990 Association «Sylvie Vartan pour la Bulgarie».
Jeudi 7 novembre 2024 Ma vie de scène en scène : rétrospective 1961 – 2024 (avec Benoît Cachan, éditions Gründ).
Du vendredi 8 au dimanche 10 novembre 2024 «Je tire ma révérence» au Dôme de Paris-Palais des Sports.
Janvier 2025 Au Palais des Congrès.
par Jérémy Piette