Rendez-vous avec les frères Karabatic, plus beau palmarès du sport français

Abonnez-vous à la newsletter

Au-delà du handball, Nikola et Luka Karabatic présentent le plus beau palmarès du sport français. Rencontre avec les deux frères, qui sortent un beau livre, en forme de témoin.

« On part dans cinq minutes, on arrive ! » Cinq minutes plus tard, Nikola et Luka Karabatic nous prouvent qu’au-delà d’être des légendes dans leur discipline, le handball, ils sont avant tout ponctuels. Nous voici donc attablés au Sapristi, café paisible mais cossu du centre-ville de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). En face de nous, sur la gauche, s’est assis l’aîné de la fratrie : Nikola, 40 ans 1,96 m et 103 kg. Son petit frère Luka, 36 ans, culmine à 2,02 m pour 110 kg.

Mais les chiffres à retenir concernent surtout leur palmarès. En vingt-quatre ans de carrière, Nikola Karabatic a soulevé 61 titres en clubs (de Montpellier à Kiel, en passant par Barcelone et Paris) et décroché 11 médailles d’or avec l’équipe de France de handball. Il a aussi été sacré meilleur joueur du monde à titre individuel pour les années 2007 et 2014. Vertigineux. Quant à Luka Karabatic, il collectionne 33 titres en clubs et 5 médailles internationales avec l’équipe de France…

Leur accessibilité, inversement proportionnelle à leur palmarès, a quelque chose de déconcertant. Il faut dire que l’on s’attendait à un entretien plutôt difficile à mener avec les deux frangins ; les handballeurs français ont déjà prouvé sur plusieurs plateaux télé nationaux – on se rappelle l’épisode du décor du plateau de L’Équipe TV démoli en 2012 – leur capacité à très vite installer une ambiance de troisième mi-temps.

Cette fois, il n’en est rien. Ouf ! Il faut dire qu’il n’y avait pas vraiment matière à faire la fête, après la désillusion survenue lors des Jeux olympiques de Paris 2024. En quart de finale contre l’Allemagne, l’équipe de France mène d’un point. Il ne reste qu’une poignée de secondes à jouer et la balle est entre les mains des Bleus. Mais au lieu de gagner du temps, les tricolores se débarrassent du ballon, l’Allemagne le récupère, égalise et finit par l’emporter en prolongation, éliminant les Français. Terrible.

Les virus du sport et de la compétition transmis par les parents

Revenons à un débat plus terre à terre. Depuis 2015, les deux frangins partageaient le même vestiaire, de l’équipe de France de hand à leur club du PSG, sis au stade Pierre-de-Coubertin (Paris 16e). Sauf que Nikola a décidé de raccrocher après les Jeux de Paris. « Je ne vais pas vous mentir, je ressens un vide, c’est clair, résume Luka en touillant son café crème. On est passé de huit heures par jour ensemble à zéro. Il m’a fallu digérer cette absence… Mais je sais qu’il est heureux d’avoir arrêté, de pouvoir entamer cette deuxième vie. Je suis content de le voir comme ça. »

Nikola l’écoute, décroche un sourire du coin des lèvres, mâtiné d’émotion. L’aîné des frères Karabatic, des airs de vieux sage devant son thé à la menthe, se délecte de ces jours nouveaux dans sa carrière : « Pour l’instant, la retraite se passe bien. Je dois juste apprendre à gérer mon nouvel agenda, les sollicitations nouvelles. Trier entre ce qui a du sens et ce qui n’en a pas. »

Ensemble, ils viennent de signer Nikola et Luka Karabatic, notre histoire d’amour avec le handball (éd. Flammarion), sorti le 23 octobre. Un beau livre sur leur histoire familiale autant que sportive. Car chez les Karabatic, le handball débute avec le père, Branko, originaire de Trogir, en Croatie, à qui le livre est dédié. Handballeur lui aussi, gardien de but de l’équipe nationale de Yougoslavie à 42 reprises. Il s’est installé en France, en Alsace, en 1984, avant de déménager dans le sud de la France, à Frontignan, au début des années 1990. Il est décédé le 11 mai 2011 à l’âge de 55 ans, des suites d’une longue maladie.

« C’est notre père qui nous a transmis le virus du sport », explique Luka. « Mais c’est notre maman [Radmila, originaire de Nis, en Serbie] qui nous a transmis l’esprit de compétition, reprend Nikola. Par sa manière d’aller toujours de l’avant, malgré les moments difficiles. » Dans leur ouvrage, il est donc souvent question de transition. « Nos parents ont émigré en France. L’école pour eux était le premier moyen de s’intégrer avant même le sport, rappelle Luka. Ils n’avaient pas comme seule idée en tête de faire de nous des champions. » « On a fait ce qu’on voulait, renchérit Nikola. Ils nous ont donné les clés mentales pour atteindre nos rêves. »

Les étés en Croatie et le goût de l’effort

Au fil des 224 pages de leur livre, on découvre ou redécouvre quelques-uns des plus beaux moments du handball français, sport qui a rapporté le plus de titres à l’Hexagone grâce aux Bronzés (1992-1995), aux Barjots (1995-2011), aux Costauds (2001-2008) et aux Experts (2008-2014)… Loin devant le football ou le basket. Les frères Karabatic parlent aussi des joueurs, des équipes et des entraîneurs qui les ont inspirés, de leurs rituels et de leurs fêtes entre coéquipiers, des ambiances qui les ont marqués mais aussi de leurs blessures physiques.

Il y en a pourtant une, mentale celle-là, qui manque à l’appel. Une affaire assez triste, pour laquelle les frères Karabatic ont été condamnés et ont donc payé devant la justice. Le 10 juillet 2015, ils ont été reconnus coupables d’escroquerie par le tribunal de Montpellier pour une histoire de paris sportifs liés à un match datant de mai 2012, qui opposait Cesson et Montpellier, leur club à l’époque. Ils ont été condamnés en appel en 2017 et ont écopé tous les deux de deux mois de prison avec sursis et de 10 000 euros d’amende.

Il y a fort à parier que ce sombre épisode, qu’ils ne souhaitent plus aborder, les a un peu plus soudés. Les frères Karabatic continuent ainsi de passer, chaque été, leurs vacances ensemble en Croatie, dans leur maison de vacances en bord de mer. Cette simple évocation déclenche chez eux la machine aux souvenirs. Nikola : « Il y avait cette montée hyper-raide entre notre maison et le village de notre grand-père, qui était paysan, dans les collines. Il devait y avoir trois ou quatre kilomètres. Notre père nous racontait toujours qu’il prenait le chemin tous les jours pour aller à l’école… On faisait ça en courant, on allait jusqu’en haut dire bonjour à papy. On s’arrêtait, on buvait un coup et on redescendait. Après, on allait nager. » Luka : « Il y avait une sorte de presqu’île en face et à chaque fois, on se disait : “Est-ce qu’on serait capable d’y aller ?” On n’a jamais osé, on pensait qu’il y avait peut-être des requins au milieu ! [rires] »

Nikola : « Ces moments ont fait naître chez nous le goût de l’effort. Notre père disait : “Vous avez l’ambition de devenir des champions ? Alors il faut vous entraîner, et pas seulement sur les terrains de hand, ce que vous faites en dehors compte aussi.” Une fois qu’on avait terminé de courir, on enchaînait sur des concours de corde à sauter dans le jardin, des abdos, des pompes… On a pris goût à ça. Ça ne nous a plus jamais quittés et c’est un moment clé dans notre développement. »

Avant de se quitter, on se hasarde à une question qui pique. Qu’est-ce qu’ils aimeraient eux, ces deux grands handballeurs internationaux, que l’on retienne de leur livre ? Sachant que leur carrière, leurs exploits et leur palmarès ont maintes et maintes fois été documentés ? Luka : « Moi, ce que j’aimerais, c’est qu’on puisse s’identifier à un élément de notre parcours. Ce serait super. Qu’un lecteur, au fil des pages, se serve de notre histoire à tous les deux pour se dire : “Ah, mais moi aussi !” Comme lorsque j’ai écrit un message pour mon frère sur Instagram, au moment de sa retraite. Beaucoup de personnes m’ont ensuite écrit pour me remercier car elles avaient, elles aussi, ressenti des choses similaires à un certain moment de leur vie. »

*Nikola et Luka Karabatic, Notre histoire d’amour avec le handball, avec la collaboration de Clément Commolet et Laura Maurice, Flammarion, 224 p., 24,95 €.
Les Frères Karabatic, tome 1, de Christopher et Néjib, Casterman, 64 p., 11,95 €.

Par Julien Rebucci

Source lepoint