Dans le nord d’Israël, la vie sous les missiles du Hezbollah

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La milice chiite met Israël sous une pression croissante. La région a été évacuée mais des Israéliens vivent encore là, dans la peur. Juifs religieux ou Bédouins, agriculteurs, Druzes ou kibboutzim. Le Figaro est allé à leur rencontre.

À partir de Haïfa, les GPS s’affolent. Brouillés, ils vous localisent soudainement à Beyrouth, à Amman ou au Caire. Est-ce un pied de nez des services de sécurité israéliens à leurs voisins arabes ? Toujours est-il que le recours aux cartes de papier s’impose : pour les voyageurs qui souhaitent s’approcher de la frontière libanaise, c’est la première manifestation de la guerre.

Depuis le centre du pays, entre Jérusalem et Tel Aviv, là où vivent la plupart des Israéliens, les bombardements qui frappent le nord d’Israël paraissent lointains. À l’exception de quelques alarmes, la vie est normale. Les attaques du Hezbollah sont signalées sur l’application « Red Alert », que tous les Israéliens téléchargent sur leurs téléphones. « Attaque de roquette à Manara », à Safed, à Arab el Aramshe, à Kyriat Shmona, dans une zone non habitée, à Shamir, à Majdal Shams… L’application envoie continûment ses messages. Au cours des quinze premiers jours de septembre, 163 attaques du Hezbollah ont été comptabilisées. Au mois d’août, alors que la guerre paraissait imminente, il y en a eu 281. Roquettes, missiles antichars, drones : la milice chiite a recours à un large panel d’armes et de munitions. Mais, pour les habitants du centre d’Israël, cette menace reste abstraite. C’est seulement passé Haïfa qu’elle se concrétise.

Dans le nord du pays, la guerre est arrivée le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque terroriste du Hamas depuis la bande de Gaza. Ce jour-là, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, a annoncé se joindre au mouvement islamiste. C’est alors que les premières roquettes sont tombées. Le gouvernement israélien a aussitôt ordonné la mobilisation des réservistes et l’évacuation de 60.000 personnes vivant dans une bande de quatre kilomètres le long de la frontière, de la mer Méditerranée au plateau du Golan. Depuis, la situation se dégrade.

Une solution diplomatique paraît de plus en plus illusoire. Très prudent sur ce sujet, car il sait combien un conflit ouvert avec le Hezbollah pourrait être destructeur, Benjamin Netanyahou vient d’annoncer que le Cabinet de Sécurité – un organe restreint du gouvernement israélien – considérait désormais le retour des évacués du nord comme un objectif de la guerre. Jusqu’à présent, n’y figuraient que la destruction du Hamas et la libération des otages retenus dans la bande de Gaza. Pour les habitants du nord d’Israël, c’est le signe qu’un long calvaire va peut-être toucher à sa fin. C’est aussi un pas de plus vers une conflagration qui menace d’embraser tout le Proche-Orient.

Cité balnéaire avec vue sur la guerre

Sur la côte méditerranéenne, Naharya est la dernière ville importante avant le Liban. Dans cette cité balnéaire, la vie semble suivre son cours : les boutiques sont ouvertes et les maisons occupées, il y a des passants et des voitures dans les rues. De temps à autre, le Hezbollah vient se rappeler au bon souvenir des habitants. Au matin du deuxième lundi de septembre, un immeuble du « nouveau quartier » a été frappé par un drone. Les habitants de l’appartement 70, au quatorzième étage, n’ont pas été blessés par l’explosion qui a fait voler leur mur en éclat. Mais ils ont fait leurs valises. « Cet immeuble est trop haut, c’est dangereux de vivre ici », estime Neir Bushkela, porte 73. Il a de la chance : son appartement donne sur le sud et tourne le dos au Liban.

Son épouse et lui ont dû quitter leur maison du kibboutz Shlomi, évacué le 8 octobre. « Ça faisait quinze jours que nous nous y étions installés », raconte-t-il. La maison a été touchée à plusieurs reprises par des tirs du Hezbollah, elle est inhabitable, assure-t-il. Depuis le début de la guerre, ils ont déménagé six fois. Ils venaient d’arriver dans l’appartement 73 quand le drone est tombé de l’autre côté du couloir. « Ma femme et ma petite fille sont terrorisées, nous allons devoir partir, une fois de plus », constate Neir Bushkela. Le gouvernement israélien a prolongé les aides financières pour les évacués jusqu’à la fin septembre.

À portée de tir du Hezbollah

Tous les habitants de la région ne peuvent y prétendre. Le moshav Manot se situe juste au-delà de la zone des quatre kilomètres. Mais il est à portée de tir du Hezbollah. Une grande partie de ses 600 habitants l’ont quitté, une centaine y vit toujours. « Surtout des vieux », explique Momi Bar Khalifa, le chef de la communauté. Il y a aussi les membres de l’équipe de sécurité. Arme en bandoulière, ils surveillent les lieux et contrôlent les véhicules à l’entrée. Depuis leur colline, ils voient nettement des colonnes de fumée s’élever de l’autre côté de la frontière.

« C’est Tsahal », explique, laconique, une femme, la cinquantaine, fusil M-4 à la main. « On en a marre », poursuit-elle. Depuis le matin, l’armée israélienne bombarde des positions du Hezbollah et tous, dans le moshav, savent qu’une réponse du Hezbollah est imminente. Ils ont été alertés et doivent rester à proximité de leurs « mamads », les abris antibombes. Depuis le 8 octobre, ces cahutes de béton ont été disposées à travers les villages du nord. Tous savent que dès la sonnerie de l’alarme, il faut s’y précipiter.

Chez Momi Bar Khalifa, il y a de l’électricité dans l’air. Son épouse, Dikla, ne cesse de plonger la main dans un pot à bonbons. Elle a décidé de garder les enfants à la maison. « Ce matin, on a été réveillé vers 4 h par les premiers bombardements. Depuis, on sait que le Hezbollah va répondre, » dit-elle. Ils attendent que l’alerte passe. « C’est comme ça tous les jours depuis 11 mois. C’est une catastrophe économique, la communauté va disparaître, nos enfants sont à la traîne dans leurs études, ils sont traumatisés et tout le monde s’en fiche. Mais qu’on en finisse ! Faites-la cette guerre, une bonne fois pour toutes ! », lâche-t-elle. Son mari empoigne son fusil et part faire son tour de ronde. Le chien aboie et montre les dents, les enfants se réfugient devant les écrans de leurs téléphones portables. Dikla Bar Khalifa soupire.

Les réservistes de la «ligne bleue»

Sur la route 70, c’est un check-point tenu par des réservistes indolents qui marque l’entrée dans la zone évacuée. Les voitures se font rares, elles filent à vive allure. Depuis le kibboutz Shlomi, on voit la « ligne bleue », zigzaguer à travers les collines. Elle fait office de frontière avec le Liban. Dotan Ragili est lieutenant-colonel de réserve. Il a été mobilisé le 8 octobre. La famille de sa femme vit ici depuis la fondation du kibboutz, en 1950. Ils ont été évacués. Lui se prépare au combat.

« Israël a une armée de mouvement, faite pour manœuvrer, explique-t-il. En 11 mois, nous avons appris à devenir une armée statique, tenant ses lignes. » Mais il affirme qu’un simple ordre suffirait à lancer une invasion du sud Liban. « Les plans sont prêts », assure-t-il. Et si un accord diplomatique était trouvé ? « Ma famille reviendrait vivre ici, espère-t-il. Mais, un jour, mes enfants devront rejoindre l’armée pour nous défendre. Qui sera leur ennemi ? Probablement le Hezbollah. »

À 500 mètres du Liban, la route 70 bute sur la frontière. Désormais, ce ne sont que des villages déserts, à portée de missiles antichars : une à deux secondes entre le tir et l’explosion. Seuls les Bédouins du village d’Arab el Aramshe ont fait fi de l’ordre d’évacuation. Deux mois après le début de la guerre, ils ont décidé de revenir. Mais ils vivent dans la peur. Le Hezbollah les bombarde sans cesse. Dans les rues désertes jouent pourtant quelques enfants. Les tirs de l’artillerie israélienne passent comme des souffles chauds au-dessus de leurs têtes. « Y’a des Juifs ! » crient deux gamins à l’arrivée d’étrangers. Et ils filent se mettre à l’abri chez Ali et Yasmine*, leurs parents.

«Ça nous rend fous»

Dans la maison, c’est la panique. Depuis leur salon, Ali et Yasmine peuvent voir la frontière, à quelques mètres. Soudain, l’alarme sonne, tout le monde crie. Les enfants se précipitent dans le «mamad», une petite fille pleure, sa grande sœur lui prend la main, Ali saisit ses deux chèvres par les cornes et les met à couvert. Des explosions, des nuages de fumée, un incendie dans les broussailles : les sirènes se taisent et les enfants sortent de l’abri. « Ça nous rend fous. Tous les jours nous prions pour rester en vie. Parfois, nous perdons espoir », confie Ali, qui est musulman. Son épouse et lui aimeraient louer un appartement à Naharya, mais ils n’en ont pas les moyens.

La route qui relie Safed à Naharya n’est pas exposée aux tirs directs du Hezbollah, mais elle se situe dans une zone régulièrement attaquée. Sur ce trajet d’une cinquantaine de kilomètres, la circulation est faible. Les stations-service, seuls lieux de vie, sont peu fréquentées. Safed est souvent ciblée par les roquettes du mouvement libanais. Construite sur une haute colline dominant le lac de Tibériade, elle est considérée par les Juifs religieux comme l’une des quatre villes saintes d’Israël. De nombreuses communautés d’ultraorthodoxes y ont élu domicile. Insensibles aux fracas du monde, ils poursuivent leur vie d’étude et de prière.

Le rabbin Zalmi Matusov est l’un des enseignants de la yeshiva Beit Levi Ytzhak, qui compte 450 étudiants. Agé de 29 ans, ce père de quatre enfants dit s’en remettre totalement à Dieu. « Oui, quand il y a une alerte, on va dans l’escalier avec les enfants, reconnaît-il. Mais avoir peur ? Nous avons confiance en Hachem (Dieu, NDLR). Nous savons que le vrai rempart d’Israël, c’est lui. Regardez tous les ennemis qui nous entourent et nous attaquent, toute cette pluie de roquettes ! Chaque blessé et chaque mort est une tragédie, mais il y a aussi beaucoup de miracles sur la terre d’Israël. » Depuis le début de la guerre, le Hezbollah a envoyé plus de 2800 projectiles sur Israël, tuant 47 personnes : 25 civils et 22 soldats.

«Tout est merdique»

Pareil discours est loin de convaincre Aveho et Maryam. Habitants de Kyriat Shmona, la plus grande ville du nord de la Galilée, ils ont été évacués après le 8 octobre. Depuis, ils s’ennuient. Ils ont été relogés dans l’hôtel Edmond, à Rosh Pina. Là, ils attendent que le temps passe et qu’arrive une solution. « Tout est merdique », lâche Aveho en lançant sur la table le « Israel Hayom » du jour, un journal très populaire en Israël. Environ une fois par semaine, Aveho file sur la route 90 jusqu’à Kyriat Shmona, pour voir si tout va bien chez lui. Il ne s’attarde pas : cette région, entre la frontière libanaise et le Golan annexé, à l’est, est la plus ciblée par le Hezbollah.

Là, on pénètre dans un paysage fantomatique. Volets clos, rues vides, magasins fermés. Seuls les services essentiels sont maintenus. Quelques obstinés refusent de partir. Igor Abramovitch est de ceux-là. Il occupe toujours sa maison du kibboutz Manara. Situé à une cinquantaine de mètres de la frontière du Liban, il compte 157 « unités d’habitation », dont 30 ont été détruites et 110 touchées par les tirs de roquette et de missile. Avant la guerre, Igor Abramovitch avait ouvert un magasin d’ustensiles de cuisine à Kyriat Shmona. Le 24 mai, une roquette est tombée dessus. Il ne sait comment il remboursera ses dettes.

Pour rejoindre Manara, il faut franchir un nouveau check-point. Puis, la route s’élève dans les collines. « Suivez-moi et ne vous arrêtez sous aucun prétexte », ordonne Igor Abramovitch. Il lance sa petite voiture à toute vitesse sur la route qui file en lacets à travers un paysage calciné par les incendies provoqués par les roquettes. Devant le kibboutz Margaliot, il s’arrête un instant : une grosse porte jaune s’ouvre lentement. Sa petite voiture s’engage dans un dédale de maisons, suivant un itinéraire abrité des guetteurs du Hezbollah. Le voici à Manara. Ils ne sont plus que deux civils à vivre ici.

Les autres habitants sont des soldats. Dans une rue, sur une planche, une main a tracé en hébreu : « attention, pas de passage, missiles antichars ». Les sirènes d’alarme n’ont pas le temps de sonner à Manara. « Celles qu’on entend sont pour Kyriat Shmona », explique Igor Abramovitch. À tout moment, il faut être prêt à s’allonger au sol. Impossible de vivre là. Le kibboutz est à l’abandon. Igor Abramovitch le parcourt, aux aguets, faisant une fois de plus l’inventaire des destructions : « le gaz, les routes, les écoles, l’évacuation des eaux usées, sans compter toutes les maisons ». Il espère que les habitants pourront revenir à l’été 2026, à condition que la paix arrive en 2025.

«Vous entendez un boum, puis vous mourez»

Le dôme de fer, le système antimissile israélien, n’est déployé qu’autour des communautés, ou le long de certaines routes. Là sonnent les alarmes, et les explosions caractéristiques des intercepteurs résonnent dans l’air. Ailleurs, on n’est pas protégé. « Vous entendez un boum, puis vous mourez », lâche Aviv Eshel. Son exploitation se situe juste à côté du kibboutz Shamir, dans la plaine agricole située à l’est de la frontière libanaise, au pied du mont Méron et du plateau du Golan. Quand il est à la ferme, il a le temps de se réfugier au «mamad» si les alarmes du kibboutz sonnent. C’est lorsqu’il part travailler dans les prés qu’il a peur. Plusieurs de ses vaches ont été tuées par des roquettes. Son troupeau de 700 bêtes est éparpillé sur une superficie de 18.000 dunams, soit 1800 hectares. D’après lui, 14.300 dunams ont brûlé à cause des tirs de roquette. Dans le fatras de ferraille qui entoure un bâtiment, il entasse des éclats, ramassés quand il est aux champs.

La sirène d’alarme a tout juste eu le temps de sonner à Majdal Shams, le 27 juillet. En cette fin de journée, les enfants jouaient au foot. Eux aussi ont couru vers le «mamad». Mais tous ne sont pas arrivés à temps. Quand une puissante roquette s’est abattue sur le terrain, elle a tué douze enfants. Infirmier au Maged David Adom, la Croix Rouge israélienne, Adam Safadi était de repos, chez lui. Lorsqu’il a entendu sonner l’alarme, il a appelé sa femme et sa fille aînée. « J’ai dit: venez, on va chercher Venice. » Il était sur la route quand la roquette a explosé. Il a vu monter la fumée depuis le stade. Il a été l’un des premiers sur les lieux. « J’ai tout de suite reconnu Venice, grâce à son maillot de l’équipe d’Arsenal », raconte-t-il. Mais le corps de petite fille de 11 ans avait été pulvérisé par l’explosion. « Elle n’avait plus rien d’humain », lâche son père.

Comme mécaniquement, il se met alors à faire son métier. « J’ai regardé chaque enfant : je pensais: lui, c’est fini, lui, c’est fini. » Il voit Julian Abou Saleh, 15 ans, gésir sur le gazon synthétique. Sa jambe saigne. Il lui sauve la vie. Quand arrivent les secours, il se rend enfin auprès des restes de sa fille, pour la pleurer. Il la pleure encore. Après 40 jours, la communauté de ce village druze a décidé de quitter le deuil. Mais Adam Safadi, comme beaucoup d’habitants, porte encore le noir.

Le stade est toujours orné par les photos des douze petites victimes, des rubans noirs flottent au vent, les couronnes de fleurs ont séché mais personne n’y touche. L’impact de la roquette est toujours visible, des vélos d’enfants, carbonisés, gisent sur le sol. Ceux qui sont vivants sont revenus jouer au foot, incités par leurs parents. « Nous, les Druzes, aimons la vie. Nous voulons la paix », affirme Adam Safadi. Quelques jours plus tard, une nouvelle pluie de roquette s’est abattue sur Majdal Shams. Cette fois, les écoles et le stade de foot ont été fermés.

Source lefigaro

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