Six mois après le 7 Octobre, un dimanche entre tristesse et espoir d’un accord

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De Jérusalem à Réim, lieu du festival Tribe of Nova qui a viré au massacre, les Israéliens ont commémoré l’attaque du Hamas. Alors que Tsahal retire le gros de ses troupes de Gaza, une deuxième trêve semble plus proche que jamais.

L’armée israélienne a annoncé ce dimanche 7 avril le retrait de Gaza de ses commandos de la 98e division, signalant l’arrêt de ses manœuvres dans le sud de la bande. Il ne restera désormais que moins de 4 000 soldats dans la bande de Gaza, chargé de contrôler la route 749, le corridor qui sépare Gaza City du reste de l’enclave. On a déjà ordonné à plusieurs bataillons de réservistes démobilisés de se préparer à retourner au combat dans les semaines qui viennent : ce n’est pas la fin de la guerre. Mais le symbole est fort, alors que les Israéliens commémoraient dimanche les six mois de l’attaque sanglante mené par le Hamas sur les localités à la frontière avec l’enclave palestinienne.

Chacun s’est recueilli à sa façon. A Tel-Aviv, personnes endeuillées et proches d’otages se sont figés en un énorme sablier sur la place du théâtre national, tous habillés de noir, allongés par terre. Une poignée d’entre eux, accroupis au bout du goulot, ont imité des grains de sable, les mains levées, les paumes badigeonnées rouge sang. A Réïm, dans la forêt poussiéreuse où 360 festivaliers de la rave Nova sont morts, et 40 ont été kidnappés, les familles se sont rassemblées dès le matin, loin de la presse et des curieux.

«Dis merci pour chaque obus. Ils font un travail béni.»

Des rangées de pics portent les photos des victimes, entretenus par les familles et amis en attendant son inévitable transformation en mémorial national. Le lieu n’a pas désempli de la journée : des groupes de soldats, de policiers, de délégations étrangères, des couples, des familles aussi. Daniella, 27 ans, porte un sweat à capuche estampillé Nova. Elle a une mèche violette, et des yeux fatigués. «A 6h57, j’étais là-bas, en train d’écrire à ma mère, dit-elle en pointant du doigt un arbre comme les autres. A 7 heures, ils étaient là où vous vous tenez.»

Elle raconte la prise de conscience, le chaos, puis la fuite avec un groupe d’amis. La séparation, certains courant vers le village de Patish, les autres vers le kibboutz de Be’eri. Elle ici, vivante. «Je me demande tous les jours pourquoi je ne suis pas avec eux, là-bas», dit-elle, les larmes dans la voix. Une pervenche l’étreint. «Il y a six mois, j’étais en couple, je pensais avoir des gosses, insiste Daniella. Aujourd’hui, je suis ici. Par terre. On a tous recommencé de zéro.»

Les visiteurs s’agrippent à elle. Chacun veut replacer sur la carte ses mouvements de ce matin funeste, replacer les noms des villages que leurs télévisions passent en boucle depuis le 7 Octobre. Au-dessus des têtes, un hélicoptère passe. L’histoire de Daniella reflète celle des milliers de destins brisés par la guerre, une majorité écrasante dans Gaza, à moins de 5 kilomètres, d’où on peut voir monter une colonne de fumée. Il y a, une fois de temps en temps, des tirs d’artillerie qui résonnent entre les arbres. «Maman !» crie une jeune blonde en pantalon de yoga, visiblement pas habituée. «Ne t’inquiète pas, la rassure Daniella. Dis merci pour chaque obus. Ils font un travail béni.»

«Si ce n’est pas maintenant, alors quand ?»

Le soir, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées à l’appel du Forum des familles d’otages devant la Knesset à Jérusalem. A 19h30, plusieurs femmes portant les vêtements de leurs mères, sœurs, amies encore en captivité montent sur scène. Leur bouche est barrée d’un scotch, qu’elles arrachent. Elles crient. Puis Lior Ashkenazi, sorte de George Clooney israélien, lit les mots de l’otage libérée Amit Soussana. Son viol. La tristesse est palpable dans l’audience qui est silencieuse, tendue ; certains fondent en larmes.

«Pour les otages, il n’y a pas de parti, et pas de répit», dit l’acteur. «Un accord», crie quelqu’un dans un mégaphone, «achshav» («maintenant»), répond la foule. «Députés, gouvernement, est-ce que vous nous entendez ?» crie Ashkenazi. Cette manifestation marque aussi le déménagement symbolique du quartier général du forum à quelques centaines de mètres de la Knesset. Quatre conteneurs et une grande tente, pour organiser la logistique et les communications, pour accueillir les familles qui voudront continuer à exprimer leur mécontentement, alors même que le Parlement israélien s’endort pour sa trêve printanière. Pourtant, jamais une résolution n’a semblé si proche.

«Je sens que quelque chose va venir, dans les deux semaines qui viennent. Les conditions sont réunies», dit Hen Avigdori. La femme et la fille de ce scénariste de comédies télévisuelles, otages à Gaza, ont été libérées en novembre. Mais il se battra jusqu’à ce que tout le monde revienne, y compris le cousin de sa femme. Comme tout le monde, il attend des nouvelles du Caire, où la délégation du Hamas a rejoint dimanche soir celles d’Israël, des Etats-Unis et du Qatar pour une énième session de négociations. «Les troupes qui se retirent, l’aide humanitaire qui rentre, le fait qu’on rapporte que le gouvernement de Nétanyahou a lâché la bride à l’équipe de négociations israélienne… Si ce n’est pas maintenant, alors quand ?» s’interroge Hen Avigdori.

«Le souvenir, ce n’est pas la vengeance»

C’est le grand rabbin de France, à la tête d’une délégation «venue constater l’élan de solidarité incroyable et la résilience» de la société israélienne, qui a clos la cérémonie avec un discours et une prière. «Le souvenir, ce n’est pas la vengeance», a dit Haïm Korsia sur scène, en hébreu. «La mémoire de ceux qui sont partis, c’est d’apprendre et construire, jamais de détruire», précise le rabbin.

Il est 21h30. Dans l’audience, qui peu à peu s’effiloche, une femme porte une pancarte sur son dos : «Les horreurs de Gaza ne sont pas commises en mon nom.» Un groupe de forains poussent une colombe en carton-pâte sur un chariot, une vraie branche d’olivier dans la bouche. L’un d’entre eux bat ses ailes entre deux gorgées de bière. Ce sont de simples bourgeons, mais l’espoir de paix, fragile, incertain, jusqu’ici bâillonné, existe.

par Nicolas Rouger, correspondant à Tel-Aviv