Sous le signe de l’autobiographie, Pauline Horovitz explore avec humour et finesse l' »avant » et l' »après » du chef-d’oeuvre de la bande dessinée d’Art Spiegelman, qui a révolutionné la transmission de la Shoah.
Avec son récit graphique « Maus » (« souris » en allemand), en deux tomes parus respectivement en 1986 (aux États-Unis, l’année suivante en France) et 1991, Art Spiegelman a accompli une double révolution : il a fait entrer la Shoah dans la bande dessinée et, de ce fait, dans la culture « mainstream », sans jamais trahir la rigueur historique et narrative requise pour en transmettre l’expérience. En restituant à la fois le témoignage de son père Vladek, juif polonais rescapé d’Auschwitz, émigré à New York après la guerre, et son dialogue souvent difficile avec celui-ci, il a aussi consacré la BD comme un art du réel, tout en donnant droit de cité à la « deuxième génération » des enfants de déportés, ployant sous le poids d’une tragédie qu’elle n’a pas vécue directement. Pourtant, en 1980, quand ses premières planches apparaissent dans Raw, la revue de bande dessinée alternative qu’il dirige avec sa femme française, son entreprise est alors non seulement inédite, mais aussi impensable : une BD sur les camps d’extermination, mettant en scène les juifs sous forme de souris, les nazis en chats et les Polonais « goy » en cochons ? Parce qu’il sait que Steven Spielberg, inspiré par son travail inachevé, produit un film d’animation qui le dénature complètement (« Fievel et le Nouveau Monde », sorti en 1986 aussi), Art Spiegelman, anxieux de le prendre de vitesse, trouve à grand-peine un petit éditeur disposé à publier le premier tome. D’abord phénomène de librairie au parfum de scandale, puis best-seller international consacré en 1992 par le prix Pulitzer (le premier et dernier à ce jour décerné à un comic book), Maus acquiert pourtant rapidement la stature d’un classique. La réalisatrice Pauline Horovitz, qui a découvert à 13 ans dans cette œuvre fondatrice la vérité que sa propre famille lui taisait avec obstination, en explore l' »avant » et l' »après » à la lumière de son itinéraire de petite-fille de rescapés devenue mère.
Humour à froid
« C’est une idée que j’ai empruntée à mon collaborateur Adolf Hitler… » En écho à l’humour à froid, toujours à juste distance, d’Art Spiegelman, qui retrace au fil de délectables entretiens d’archives la genèse de son chef-d’œuvre, Pauline Horovitz (« Ma guerre des mondes »), entre gravité et autodérision, se met discrètement en scène avec les siens (son père, son fils) pour mieux souligner les multiples enjeux de transmission et de représentation résolus avec éclat par « Maus ». Guidée par d’autres fervents admirateurs – les historiens Annette Wieviorka et Tal Bruttmann, les bédéistes Emmanuel Guibert et Joann Sfar… –, cette relecture tout sauf didactique, empreinte à la fois de drôlerie et d’émotion, montre combien le temps a confirmé la puissance du livre et la nécessité de le lire.
Documentaire de Pauline Horovitz (France, 2024, 53mn)
Disponible jusqu’au 25/10/2024