L’exemption militaire des ultraorthodoxes déchire la société israélienne

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Cette dérogation historique, sur laquelle le gouvernement était censé se prononcer juridiquement avant le 1er avril, ulcère une majorité d’Israéliens. Et fragilise la coalition gouvernementale.

La fragile coalition de Benyamin Netanyahou va-t-elle imploser sur la question de l’exemption militaire des hommes ultraorthodoxes, dont ils bénéficient depuis 1948 ? S’il est encore trop tôt pour le savoir, nul doute que le pays, engagé dans le conflit armé le plus long et le plus douloureux de son existence, vient de connaître dans la soirée du jeudi 29 mars, un mini-séisme. Alors que le gouvernement avait jusqu’au 1er avril pour présenter son projet de loi destiné à trouver un compromis autour du statut dérogatoire accordé aux jeunes « hommes en noir » des écoles talmudiques (yeshivot), la Haute Cour de Justice a tranché.

Faisant fi de la requête de Bibi Netanyahou visant à obtenir in extremis un délai de grâce d’un mois, les juges ont en effet rendu un arrêt provisoire selon lequel faute de cadre légal, il ne sera plus possible, au 1er avril, de transférer les budgets accordés aux yeshivot pour les étudiants qui ne s’enrôlent pas. Concrètement, ce gel financier représentera un manque à gagner de l’ordre de 600 millions de shekels (150 millions d’euros) pour ces écoles, dont des dizaines de milliers d’étudiants âgés de 18 à 26 ans sont exemptés des trois ans de service militaire obligatoire et vivent de subsides publics quand ils fréquentent à plein temps des séminaires religieux.

« Signe de Caïn »

Une décision qui n’a pas manqué de provoquer l’ire des partis ultraorthodoxes, piliers, aux côtés de la formation du chef de file de l’extrême droite Itamar Ben Gvir, de la coalition du chef du Likoud, Netanyahou. Le président du parti Shass, Aryeh Deri, a qualifié cet arrêt de « signe de Caïn et de cruauté sans précédent vis-à-vis des érudits de la Torah dans l’État juif », et a même déclaré qu’il « compren [ait] ceux qui ne veulent pas servir dans l’armée d’un pays qui combat le monde des yeshivot« .

Sur le papier, il s’agit d’un énième rebondissement du feuilleton autour du statut militaire des haredim – ces ultraorthodoxes, qui représentent 13,5 % de la société israélienne, et ont fait de ce dossier un vieux serpent de mer de la politique israélienne. Il y a sept ans, la Haute Cour de Justice avait déjà estimé que cette exemption controversée les concernant s’apparentait à dispositif discriminatoire en raison de l’atteinte portée au principe de l’égalité entre les citoyens.

Mais dans la foulée de l’attaque terroriste du Hamas et de la guerre menée à Gaza par 287 000 réservistes, et alors que l’armée demande un allongement de la durée du service militaire obligatoire et des périodes de réserve, ce régime d’exception ne passe plus. « La coupe est pleine, à l’heure où chaque jour, des soldats tombent au combat ou sont gravement blessés. Une immense majorité d’Israéliens estime irrecevable l’exemption militaire des haredim », pointe Shuki Friedman, vice-président du Jewish People Policy Institute. Au lendemain du 7 octobre, seuls 540 ultraorthodoxes se sont engagés dans l’armée et en février, 66 000 hommes de cette communauté ont été exemptés. « Or d’ici 2030, un quart des jeunes Israéliens seront des haredim, poursuit l’expert. C’est à l’Etat de changer la donne ».

Des ânes amenés devant la Knesset

Ces derniers jours, l’organisation Frères d’armes, pivot de la protestation sociale dirigée l’an passé contre la réforme judiciaire prônée par la coalition Netanyahou, a organisé des manifestations, au pied d’une yeshiva de la localité ultraorthodoxe de Bnei Brak (près de Tel-Aviv), comme devant la Knesset, en amenant… des ânes, symboles du « fardeau » militaire voire économique, que certaines franges de la population nationale ne veulent plus être les seules à porter.

Au sein du cabinet de guerre, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a qualifié le projet de loi autour de l’exemption des ultraorthodoxes « d’échec moral », et menacé de quitter le gouvernement, tout comme le centriste et rival de « Bibi », Benny Gantz, pour des raisons opposées : si ce fardeau devait s’accroître. Sachant que le texte étudié par la coalition gouvernementale prévoirait de relever l’âge-limite de la dispense militaire définitive des jeunes juifs ultraorthodoxes de 26 à 35 ans.

La justice israélienne peut-elle contraindre cette communauté à modifier son mode de vie ? « Si vous nous obligez à rentrer dans l’armée, nous partirons tous à l’étranger », a prévenu début mars Yitzhak Yosef, le grand rabbin sépharade de l’Etat d’Israël. Un avertissement qui lui a valu une volée de bois vert de toute la classe politique…. Le journal Yediot Aharonoth rapporte de son côté qu’un plan a été élaboré au sein du service du personnel de l’armée pour absorber les recrues ultraorthodoxes. Avec des solutions créatives, telles que la création d’une base d’entraînement pour les ultraorthodoxes adaptée à leur mode de vie. Reste que pour l’heure, il est peu probable que Tsahal envoie des unités de police militaire pour contraindre les haredim à endosser l’uniforme.

Par Nathalie Hamou, à Tel Aviv

Source lexpress