Pourquoi Abramovitch est l’oligarque chouchou de Poutine

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L’oligarque Roman Abramovitch profite de sa relation privilégiée avec Poutine pour s’imposer comme le médiateur incontournable dans les échanges de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie.

Il est celui qui murmure à l’oreille de Vladimir Poutine. De tous les oligarques russes, Roman Abramovitch, 57 ans, figure encore parmi les rares visiteurs du chef du Kremlin. Pour une raison simple : l’homme à la barbe de trois jours, doté d’une fortune de plus de 8 milliards d’euros, joue un rôle décisif dans les multiples échanges de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie. Il s’implique aussi dans les dossiers sensibles.

L’équipe de l’opposant Alexeï Navalny, décédé en prison le 16 février, mentionne la participation de l’homme d’affaires dans un échange qui avait été envisagé pour extraire le prisonnier de son centre de détention. « Navalny devait être libéré dans les jours suivants, affirme Maria Pevtchikh, l’une des proches de l’opposant, nous étions parvenus à une décision sur cet échange. » On connaît la suite : la mort soudaine et inexpliquée de l’ennemi numéro un de Poutine dans les murs de son pénitencier, situé près du cercle arctique.

Si Abramovitch a servi d’intermédiaire, il s’agit d’un échec cuisant pour l’ancien magnat du pétrole, jadis propriétaire du club britannique de football de Chelsea. Car l’oligarque dispose d’une liaison directe avec Poutine. « Il s’accroche et va le voir dès qu’il a besoin de débloquer une situation », confie un familier du Kremlin. Ce fut le cas l’été dernier. En juillet, l’Ukraine célèbre alors le retour de cinq commandants du bataillon Azov, emprisonnés en Turquie. Une libération qui intervient en dépit de la promesse d’Ankara faite à Moscou de les maintenir en détention. Poutine est fou de rage.

Au même moment, il apprend que la plupart des anciens détenus d’Azov combattent à nouveau sur le front. En représailles, il décide d’annuler toutes les procédures d’échange en cours. Abramovitch voit ses plans s’effondrer. « Il faut trouver un moyen de convaincre Poutine de revenir sur sa décision », dit-il. Auprès de son entourage, il admet qu’il peine à « trouver les mots qui pourraient peser » auprès de Poutine. Il consulte. Un connaisseur du chef du Kremlin lui suggère d’insister sur la nécessaire réunification des familles russes privées d’un fils ou d’un père. Abramovitch rencontre à nouveau Poutine qui finalement accepte. Les échanges de prisonniers reprennent.

Parfois avec difficulté lorsque les deux parties ne parviennent pas à s’entendre sur des cas individuels. Il arrive ainsi que Kiev réclame un officier de haut rang caché sous l’identité d’un simple soldat ou une femme considérée comme une snipeuse par les services de renseignement russes. L’échange impliquant plusieurs dizaines de militaires se trouve alors menacé. Seule solution : obtenir un feu vert présidentiel. Ses dossiers sous le bras, Abramovitch sollicite une nouvelle entrevue et soumet les litiges individuels à Poutine. Le 3 janvier, il signe son plus beau résultat : 230 Ukrainiens rapatriés contre 248 Russes, le plus vaste échange depuis le début du conflit.

Le zèle d’Abramovitch n’est pas récent. Il date du début de l’invasion russe. En février 2022, c’est lui qui participe aux premières discussions sur la recherche d’un accord de paix. L’homme, dont les grands-parents maternels sont d’origine ukrainienne, devient l’émissaire officieux de Poutine lors d’échanges russo-ukrainiens en Biélorussie ou en Turquie. Sa motivation ? Sans doute humanitaire et plus sûrement financière. En agissant ainsi, l’oligarque se met partiellement à l’abri des sanctions visant les fortunes russes. À la différence de l’Europe, les États-Unis se gardent de le sanctionner. Quant à l’Ukraine, elle apprécie son statut de médiateur et préserve l’un des derniers canaux de communication avec le chef du Kremlin.

Abramovitch a su, il est vrai, établir une relation privilégiée avec Poutine grâce à deux traits de caractère : la discrétion et l’obéissance. Celui qui refuse toute interview depuis le début des années 2000 se montre d’une loyauté infaillible. Il n’a jamais critiqué Poutine, ni son clan, à la différence d’autres oligarques comme Mikhaïl Khodorkovski emprisonné durant dix ans ou Boris Berezovski, retrouvé pendu en Grande-Bretagne dans des circonstances suspectes.

À la demande de Poutine, Abramovitch a accepté d’occuper jusqu’en 2008 le poste de gouverneur de la Tchoukotka, un territoire de l’Extrême-Orient russe, plus étendu que la France. Un fardeau pour ce représentant de l’élite habitué aux quartiers huppés de Londres ou de Moscou. Mais Abramovitch s’acquitte de sa mission en modernisant les infrastructures de la région. Dans les affaires, il a su aussi courber l’échine en revendant en 2005 sa compagnie pétrolière Sibneft au géant Gazprom.

Alors, nul doute qu’il œuvre aujourd’hui sur une affaire suivie de près par Poutine : le retour du tueur à gages Vadim Krasikov, 58 ans, par ailleurs officier du FSB, condamné à la perpétuité en 2021 en Allemagne pour avoir assassiné à Berlin un Géorgien d’origine tchétchène. Les proches de Navalny estiment que Krasikov devait être échangé contre l’opposant mais aussi le journaliste américain du Wall Street Journal Evan Gershkovich, 32 ans, et l’ancien marine américain Paul Whelan, 54 ans. Navalny disparu, il reste à Abramovitch à imaginer un nouveau scénario.

Par Marc Nexon

Source lepoint