Des collégiens français de la Seine-Saint-Denis font leur voyage à Auschwitz

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Une centaine de collégiens de Seine-Saint-Denis se sont rendus à Auschwitz-Birkenau sur les traces du génocide juif. À l’heure où la France connaît un regain d’antisémitisme, ce type de voyage d’études est plus que jamais nécessaire.

La porte à peine franchie, les postures se figent et les visages se ferment. Dans la vaste chambre à gaz aux parois sombres et défraîchies de l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau (Pologne) bourdonne seulement la voix de la guide qui décrit les atroces souffrances des victimes juives de la barbarie nazie. Ces collégiens de la Seine-Saint-Denis entendent-ils seulement ces explications qui racontent méthodiquement l’innommable ? Supportent-ils la vue de ce four crématoire ?

Ils avaient bien demandé, un peu plus tôt, s’ils pourraient « voir une chambre à gaz », mais une fois dans les lieux, on les sent ébranlés. Kamber, 14 ans, croit même avoir aperçu des griffures d’époque sur les murs, quand bien même la chambre à gaz est une reconstitution de celles ayant existé. Quand le processus génocidaire de l’Allemagne hitlérienne s’incarne avec autant de noirceur, la charge émotionnelle est forte. Ce mercredi 28 février, alors que s’achève la visite de l’ancien camp de concentration, parmi les 97 élèves, impressionnés et concentrés, certains ressentent la nécessité de se libérer d’un poids.

Comme pour conjurer son malaise, Sana, 14 ans, bandeau sur la tête, s’exprime de manière décousue, convoquant pêle-mêle ces images qui l’ont marquée. « Ces cheveux qu’on rasait aux déportés et qui sont entreposés là en quantité gigantesque, toutes ces gamelles, ces vêtements de bébé… J’ai un petit frère de 1 an… C’est comme si on se mettait à leur place. Dans la chambre à gaz, j’avais l’impression de me renfermer sur moi-même », raconte cette élève de 3e du collège Romain-Rolland de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

« Avant de m’approcher de la vitrine, et de m’apercevoir qu’il y avait là des milliers de lunettes ayant appartenu aux victimes, je pensais qu’il s’agissait d’herbes sèches. Toutes ces affaires entreposées dans le musée d’Auschwitz, ce sont des choses réelles qui vous font percuter. Pour moi, la Seconde Guerre mondiale, c’était il y a longtemps mais là on prend la mesure de la stratégie mise en place pour la Solution finale », ajoute Mélyne, autre élève de 3e scolarisée au collège Honoré-de-Balzac de Neuilly-sur-Marne.

Une priorité éducative

Comme la centaine de collégiens invités par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Mélyne a participé à un voyage d’études de deux jours à Cracovie, puis à Auschwitz-Birkenau, mardi 27 et mercredi 28 février. Si ces déplacements de scolaires sur les lieux du plus grand camp d’extermination de la Seconde Guerre mondiale (environ 1,1 million de morts) ne sont pas nouveaux, celui-ci intervient dans un contexte particulier avec le regain d’antisémitisme en France depuis le début de la guerre à Gaza. En 2023, le nombre d’actes antisémites a été multiplié par quatre, passant à 1 676 incidents recensés, contre 436 en 2022, avec une explosion des faits après le 7 octobre, date des attaques du Hamas contre Israël suivies de la riposte israélienne.

« La montée des racismes et de l’antisémitisme en particulier, ainsi que le contexte politique avec la progression de l’extrême droite, tout cela nous incite à travailler avec les élèves de notre département sur ce sujet. Cette question sur le devoir de mémoire fait partie de nos priorités éducatives », nous explique Stéphane Troussel, le président PS du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, présent lors de ces deux jours de visite. Avec l’élu et les collégiens, ce sont au total 170 personnes, parmi lesquelles des médiateurs de rue, qui se sont envolées pour la Pologne. Facture pour le département : 135 500 euros.

Pourtant, si la grande majorité des élèves sont en mesure de définir ce que sont l’antisémitisme et la Shoah, peu d’entre eux sont au courant d’une résurgence de ce fléau dans notre pays. « Je n’ai jamais croisé de personnes antisémites, et je ne sais pas si ça existe encore. Mais ma professeure d’histoire-géographie, Mme Delort, nous a prévenus que ça pouvait recommencer », constate Imène, 14 ans, de Neuilly-sur-Marne. « C’est un sujet à côté duquel ils passent. Mais on en parle en leur expliquant que l’antisémitisme ne se limite pas à la Seconde Guerre mondiale », décrypte Leo Carta, professeur d’histoire-géographie à Clichy-sous-Bois.

Savoir pour mieux transmettre

À l’heure où les réseaux sociaux constituent la principale source d’information de ces collégiens, l’éducation et ce type de visite in situ jouent plus que jamais un rôle fondamental face au complotisme et aux théories les plus belliqueuses. Grâce à ces cours et à une rencontre avec Ginette Kolinka, une des dernières survivantes françaises d’Auschwitz, Nazim, 14 ans, a pu déjouer le discours nauséabond d’un pseudo-influenceur. « Après le début de la guerre à Gaza, j’ai vu une vidéo sur TikTok où un homme disait qu’il faudrait que Hitler revienne vu ce qui se passe actuellement en Palestine. Tout ça avec en fond des images de mosquée. En fait il associait les musulmans à Hitler, dénonce le collégien de Neuilly-sur-Marne. Mais maintenant, encore plus après ce voyage, je sais ce qu’il s’est passé et je peux en parler. »

Savoir pour mieux transmettre, c’est le credo des neuf professeurs et du principal d’Honoré-Balzac qui accompagnaient ce court séjour teinté d’émotions fortes. Avant de confronter les élèves aux vestiges de l’horreur de Birkenau et ses sinistres baraquements, les enseignants ont réalisé un travail préparatoire au-delà du programme d’histoire de 3e sur la guerre et le régime nazi.

Visites au Mémorial de la Shoah de Paris, de Drancy, lecture du livre de Simone Veil, « Une vie », pour certains, rencontre avec Ginette Kolinka pour quatre d’entre eux, visionnage de films documentaires et de photos… les élèves des trois collèges concernés ont multiplié les portes d’entrée dans le génocide juif avec toujours le même but recherché. « Être des passeurs et des porteurs de mémoire, explique Carole Couderc, professeure d’histoire-géographie au collège Romain-Rolland. Nos élèves font l’effort de maîtriser les notions clés, de les digérer pour ensuite s’en servir comme matière pour agir. À chaque fois, je leur demande : Qu’est-ce qu’on peut faire pour transmettre la mémoire de ces millions de victimes ? »

Cet après dont parle cette enseignante, c’est la capacité de ces adolescents à porter la parole de l’Holocauste à l’heure où les survivants de la barbarie se font de plus en plus rares. Adam, 15 ans, a déposé une gerbe mercredi matin devant la stèle des déportés français à Auschwitz. Et le jeune homme à la moustache naissante et à la gueule d’acteur a bien compris la charge qui lui incombe pour les années à venir. « Ce voyage m’a permis de visualiser l’horreur et d’affiner mes connaissances sur le génocide, explique le collégien de Neuilly-sur-Marne. Avec la disparition des derniers survivants des camps de la mort, et si personne ne parle plus de la Shoah, les gens deviendront ignorants et certains pourront faire courir des rumeurs. Et je ne parle pas seulement des négationnistes. »

Certains de ses camarades pensent même partager leur expérience. « Quand je serai adulte, j’essaierai d’emmener ma famille à Auschwitz, se promet Kamber. C’est quelque chose d’important, et comme le résume une phrase que j’ai lue sur un des bâtiments du camp et que je cite de tête : Nous sommes condamnés à revivre le passé si on l’ignore*. »

* La citation exacte, « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter », est du philosophe américain George Santayana et se trouve sur une plaque vissée sur un block du camp.