Au Royaume-Uni, l’ombre de l’antisémitisme plane à nouveau sur le Parti travailliste

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Les habitants de Rochdale, ville du nord de l’Angleterre, participaient jeudi à une élection partielle après une campagne qui a ravivé la controverse sur l’antisémitisme au sein du Parti travailliste. Donné favori jusqu’à récemment, le candidat du principal parti d’opposition a été désavoué pour avoir relayé des théories conspirationnistes visant Israël. Cette nouvelle affaire rappelle la crise traversée par le parti sous la direction de Jeremy Corbyn, et ce alors que l’actuel leader, Keir Starmer, s’efforce de démontrer l’évolution du parti travailliste sur la question.

Le Labour au cœur des polémiques. Le Parti travailliste britannique est dans la tourmente depuis quelques semaines, en raison de propos jugés anti-Israël – voire antisémites – tenus par deux candidats aux législatives. Des événements qui ne sont pas sans rappeler un chapitre que le Labour s’efforce d’effacer.

L’un des candidats, Azhar Ali, s’est vu retirer l’investiture du Labour à la législative partielle de Rochdale, dans le nord de l’Angleterre, qui s’est tenue jeudi 29 février. Dans des enregistrements obtenus par The Mail, ce candidat a affirmé, lors d’une réunion à l’automne dernier, qu’Israël avait délibérément laissé le Hamas mener l’attaque du 7 octobre afin de justifier, par la suite, une intervention dans la bande de Gaza.

Pendant 48 heures, le Parti travailliste a soutenu son candidat, qui a présenté des excuses « sans réserve ». Mais après la révélation de nouvelles remarques antisémites de sa part, le parti l’a suspendu le 12 février et lui a retiré son soutien. La date limite pour présenter un autre candidat travailliste étant déjà dépassée, Azhar Ali a fait campagne sans étiquette politique et a terminé à la quatrième place avec 7,7 % des voix. C’est le candidat du Parti des travailleurs britanniques, George Galloway, qui a remporté le scrutin, ayant profité de ce coup de théâtre pour gagner des points localement.

Un autre candidat parlementaire travailliste, Graham Jones, a été suspendu en attendant l’issue d’une enquête sur des propos hostiles à Israël tenus lors de la même réunion. Il lui est principalement reproché d’avoir affirmé que les Britanniques qui rejoignent l’armée israélienne devraient être « enfermés ».

Ces affaires mettent Keir Starmer, chef du Labour, dans une situation embarrassante. En tête des sondages pour devenir le prochain Premier ministre, il cherche à mettre un terme aux accusations portées contre son prédécesseur, Jeremy Corbyn, incriminé pour avoir laissé prospérer l’antisémitisme dans ses rangs.

S’attaquer à l’antisémitisme

Depuis son arrivée à la tête du Parti travailliste en avril 2020, Keir Starmer, 61 ans, a fait de la lutte contre l’antisémitisme au sein du parti une priorité. Il a notamment pris des mesures fermes contre les députés travaillistes impliqués dans des controverses, comme en témoigne la suspension de la députée de gauche Diane Abbott l’année dernière, pour avoir minimisé l’antisémitisme dans une lettre adressée au journal The Observer.

La suspension, ce mois-ci, des deux candidats suggère que le Parti travailliste « prend la question très, très au sérieux », analyse Steven Fielding, professeur émérite d’histoire politique à l’université de Nottingham. « Cependant, il y a toujours des gens au sein du parti qui, au minimum, emploient des stéréotypes potentiellement antisémites, comme l’a clairement montré le discours complotiste [d’Azhar Ali]. »

Il ajoute : « Il y a encore des gens à gauche du Parti travailliste qui confondent Israël avec les Juifs et mélangent les deux. Ce n’est pas tant qu’ils soient traditionnellement antisémites, mais ils voient Israël comme faisant partie de l’ordre impérialiste soutenu par les États-Unis. »

L’ombre de Jeremy Corbyn

Sous la direction de Jeremy Corbyn, de septembre 2015 à avril 2020, le Parti travailliste est en proie à des accusations d’antisémitisme à tous les niveaux. Malgré les démentis du leader travailliste, les controverses ne cessent de se succéder. En 2018, un message posté sur Facebook six ans plus tôt refait surface, dans lequel il défend une fresque antisémite. La crise est alors alimentée par la réticence du parti à adopter la définition complète de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA)

La réputation de Jeremy Corbyn avait déjà été entachée par le passé, notamment du fait de son invitation de représentants du Hamas et du Hezbollah au Parlement en 2009, où il les avait présenté comme des « amis » – un terme qu’il n’a renié qu’en 2016.

En octobre 2020, le Labour fait l’objet d’une enquête menée par le Comité pour l’égalité et les droits humains (EHRC), un organisme indépendant du parti. Le rapport est accablant et accuse le parti de négligence dans la lutte contre l’antisémitisme. Son nouveau chef, Keir Starmer, reconnaît un « jour de honte » et suspend son prédécesseur Jeremy Corbyn. Quelques semaines plus tard, l’instance dirigeante du Labour décide de réintégrer Jeremy Corbyn au sein du parti.

En février 2023, le Labour interdit à Jeremy Corbyn de se présenter comme candidat travailliste aux prochaines élections.

Selon Steven Fielding, l’antisémitisme « a été l’une des raisons pour lesquelles le Parti travailliste a perdu la dernière élection », en référence aux résultats catastrophiques aux élections générales de 2019, les pires enregistrés par les travaillistes en 80 ans. Keir Starmer « ne veut donner à personne de motif de prétendre que lui ou son parti est antisémite », poursuit le professeur. « Comme le prouve l’élection partielle de Rochdale, [le Labour] est prêt à sacrifier un siège afin de prendre position sur cette question ».

Cela dit, le calcul électoral n’est pas le seul élément qui compte. Keir Starmer est mariée à Victoria Starmer, une femme juive, et le couple emmène parfois ses deux enfants à la synagogue. « Les gens que j’avais appris à connaître un peu à la synagogue venaient me voir et me demandaient : ‘Qu’est-il arrivé à votre parti ? Pourquoi ne pouvez-vous pas faire quelque chose ? Êtes-vous gêné d’être un député travailliste ?’ Je rentrais chez moi en colère », raconte le chef du Labour auprès du journaliste Tom Baldwin, auteur de « Keir Starmer : The Biography ».

Malaise et division sur le soutien à Israël

Mais Keir Starmer semble si désireux d’éradiquer l’antisémitisme au sein du parti qu’il a suscité un malaise profond en soutenant Israël dans son offensive meurtrière à Gaza. Interrogé à la radio sur le bien-fondé du siège total de Gaza par Israël, quatre jours après les attaques du Hamas, il répond qu’Israël « a le droit » de couper l’eau et l’électricité – ce qui est interdit par le droit international. Il a par la suite clarifié ses propos, affirmant qu’il voulait dire qu’Israël avait « le droit à l’autodéfense ».

C’est sa position sur le cessez-le-feu à Gaza qui a suscité le plus de colère. Au début du conflit, en octobre 2023, le leader travailliste explique dans un discours prononcé à la Chatham House qu’il n’est pas favorable à un cessez-le-feu, appelant plutôt à des « pauses immédiates dans les combats à des fins humanitaires claires et spécifiques ».

Une position en contradiction non seulement avec l’opinion publique, mais aussi avec un certain nombre de législateurs au sein de son propre parti. Ce fossé atteint son apogée en novembre 2023, lorsque le Parti travailliste demande à ses députés de s’abstenir lors d’une motion à la Chambre des communes appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Quelque 56 des 198 députés travaillistes se rebellent et votent en faveur de la motion présentée par le Parti national écossais (SNP), entraînant la démission de dix membres de l’équipe dirigeante de Keir Starmer.

Finalement, en décembre 2023, Keir Starmer s’aligne sur la position du gouvernement britannique en appelant à un « cessez-le-feu durable » à Gaza. S’exprimant lors de la conférence du Parti travailliste écossais à Glasgow le 18 février, il déclare qu’un cessez-le-feu durable « doit avoir lieu maintenant ».

Le 20 février, le Parti travailliste adopte officiellement une position appelant à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat ». Le lendemain, des scènes de chaos ont lieu à la Chambre des communes, Keir Starmer étant accusé d’avoir fait pression sur le speaker pour qu’il donne la priorité à une motion travailliste sur le cessez-le-feu plutôt qu’à une motion du SNP, afin d’éviter une nouvelle rébellion.

La crise du coût de la vie, priorité des électeurs

En pleine campagne électorale pour les prochaines élections générales, qui auront probablement lieu à l’automne, Keir Starmer mise gros. Mais pour Steven Fielding, « les élections générales ne se joueront pas sur la question israélo-palestinienne ».

La crise du coût de la vie devrait être le principal sujet de préoccupation des électeurs : « Les électeurs musulmans, qui sont pauvres de manière disproportionnée [et] occupent des emplois précaires, bénéficieront nettement plus d’un gouvernement travailliste. Et il est clair que la question israélo-palestinienne se pose. Mais je pense que si le choix est entre les travaillistes et les conservateurs, ils voteront pour les travaillistes. »

Selon le professeur, certains électeurs pourraient encore choisir un « candidat indépendant propalestinien » en guise de vote de protestation, si la victoire des travaillistes semble inévitable.

Malgré le changement de position tardif de Keir Starmer sur Gaza, le Parti travailliste semble bien conscient du calcul électoral. « Les électeurs musulmans n’apprécieront peut-être pas, mais l’hypothèse est qu’ils finiront peut-être par voter pour le Parti travailliste lors des élections [générales] », analyse Steven Fielding. Mais le Parti conservateur étant lui aussi éclaboussé par une controverse liée au conflit, une certitude s’impose : l’impact de la guerre à Gaza sur la politique britannique ne s’estompera pas de sitôt.

Cet article a été adapté de l’anglais. Retrouvez l’article original ici.