Lazare, 16 ans, compagnon de la Libération

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Lazare Pytkowicz fut le plus jeune récipiendaire de cet ordre prestigieux de la Résistance. Un livre ressuscite ce héros méconnu, as de l’évasion.

« Monsieur Pytkowicz, veuillez me suivre. » Le jeune Lazare, tout juste 17 ans, se demande ce qu’il a bien pu faire de mal. Car c’est le directeur de l’école de commerce de la rue des Bourdonnais, où il est élève, qui vient d’entrer dans sa classe pour le convoquer dans son bureau. Il n’en mène pas large. Quelle bêtise… ? Un militaire l’attend, médailles en sautoir. La « bêtise » prend la forme d’une décoration, une plaque en bronze à croix de Lorraine. « Lazare Pytkowicz, nous vous reconnaissons comme notre compagnon pour la libération de la France dans l’honneur et par la victoire. » Accolade. Félicitations. « Pas de petits-fours », racontera Lazare, qui retourne dans sa classe en prenant soin de fourrer dans sa poche la distinction, avant que ses camarades ne le mitraillent de questions indiscrètes. Et puis c’est tout. « Je dois vous dire que, quand on est un enfant, ça ne fait pas grand-chose. »

Ce jour-là, Lazare Pytkowicz, alias « Petit Louis », vient pourtant d’entrer dans l’Histoire. Celle aussi de l’ordre de la Libération, dont il devient le plus jeune récipiendaire. « Tu nous enterreras tous », plaisanteront les compagnons. Il aurait pu être en effet le dernier, à la place d’Hubert Germain, qui ferma le ban en 2021. Il s’en était allé en 2004. L’historien Jean-Christophe Notin, qui a déjà dédié plusieurs ouvrages à cette chevalerie, avait eu le temps de rencontrer en 1997 ce phénomène de précocité résistante. Il consacre un ouvrage à sa trajectoire fulgurante de jeune juif communiste contraint de s’engager pour échapper aux griffes des forces brunes et de leurs séides français.

Une trajectoire qui pourrait se résumer à ses trois évasions entre 1942 et 1944. Jamais mort, toujours en marche, Lazare fut étrangement fidèle à son prénom testamentaire. La première échappée a lieu le 16 juillet 1942, rue Nélaton, dans le 15 e arrondissement. On a reconnu l’adresse du Vel’d’Hiv, où il est parqué avec ses parents, fripiers aux puces, et sa petite sœur, Fanny. Le père, averti de la rafle, s’était caché à la cave, persuadé qu’on ne s’en prenait qu’aux hommes, mais, en entendant qu’on emmenait sa famille, il est sorti de sa cache. Son fils, lui, va bientôt commencer à se faire la belle. Il en demande l’autorisation à sa mère, comme pour une permission de minuit ; elle refuse. Il se tourne vers son père : « Il faut qu’il tente sa chance », répond cet ex-spartakiste à Berlin en 1919, qui a déjà vu ses deux aînés arrêtés en 1941 pour faits de résistance.

Sortir « Max » de Montluc

Dire non au nazisme est chez les Pytkowicz est une habitude familiale : dès l’âge de 13 ans, le jeune Lazare, rebaptisé Petit Louis, a aidé à plier des tracts. Profitant d’une brèche dans le cordon des policiers, le voilà seul dans Paris. Retourner dans l’appartement vide de la rue de Clignancourt ? Trop dangereux. Il file chez son grand copain, Jean Haut, dont les parents résident rue de Tournon, dans le quartier où les Pytkowicz ont jadis habité. On l’accueille à bras ouverts, d’autant plus que le frère de Mme Haut, Étienne Moulin, est un membre du réseau Thermopyles, qui le prend en main. Direction Lyon, une pension de famille, où Lazare Pytkowicz devient Louis Picot. La capitale des Gaules est censée n’être qu’une étape pour l’envoyer à l’abri en Algérie, mais le protecteur est vite arrêté et, à sa place, surgit un autre homme de l’ombre, Max Lamy : « Tout va bien, je vais t’emmener au vert. »

Intervient le moment de bascule. Une « réaction animale », résume Notin. Il n’a plus rien ni personne, il veut se venger, faire partie du combat, servir la Résistance. Le vert attendra. Il vient de fêter ses 15 ans, il a la flamme de son âge et de sa rage. Confié à un « parrain » du 5 e bureau de l’Armée secrète, Pierre Wellhoff, il est formé à la clandestinité pour devenir agent de liaison. Quand la patronne de sa pension le croit collégien, il sillonne Lyon, dont il mémorise chaque recoin et chaque traboule. Après l’arrestation, le 21 juin 1943, du grand patron, qu’on appelle Max – Jean Moulin –, il planque près de la prison de Montluc pour aider à son éventuelle libération.

En présence de Klaus Barbie

Un jour, il échappe à une souricière tendue chez Wellhoff. Et puis, le 24 octobre, il est, comme tant d’autres, trahi par un agent retourné, Angèle Perrin : deux nervis de la Gestapo le serrent après un rendez-vous avec elle. « Content, hein, content ? » lui hurlent les gestapistes. Pendant quarante-huit heures, il dérouille, roué de coups comme un adulte, pour qu’il lâche des noms. Devant son peu de coopération, un chef vient leur faire un cours accéléré de torture. C’est Klaus Barbie. Lors d’un dernier rendez-vous qu’il était censé avoir et où il a emmené ses geôliers, il leur fausse enfin compagnie, court comme un dératé, se planque sous le siège d’une voiture restée ouverte. Deuxième évasion.

Mis à l’abri à Gaillac, dans la famille de son parrain, Pierre Wellhoff, il retourne à Lyon quand celui-ci ne donne plus de nouvelles. Il apprend son arrestation. Le voilà seul à nouveau. C’est le patron des Mouvements unis de la Résistance (MUR), Ravanel (Serge Asher), qui le prend désormais sous son aile. Il est expédié à Paris, où il reprend son travail de liaison, sous son véritable nom, Lazare Pytkowicz. Jusqu’au 28 janvier 1944, où il est arrêté avec une camarade sur le lieu d’une boîte aux lettres, porte Dorée. Cette fois, la Milice lui a mis le grappin dessus. « Ainsi Louis aura-t-il le privilège rare, et flatteur, d’être passé entre les mains de toutes les forces de répression » : l’État, la Gestapo, la Milice. Qui ne fait pas le lien avec Louis Picot et échoue à démasquer sa couverture. Débute alors une errance dans ses prisons : dépôt de la Préfecture, Lyon, Vichy, le redoutable donjon de la Mal-Coiffée, à Moulins, puis Paris à nouveau. On ne sait plus quoi faire de ce jeune agent. Lui sait ce qu’il lui reste à faire. À l’arrivée sur le quai de la gare de Lyon, il franchit une barrière et se fond dans la foule. Dernière évasion.

Les morts et les survivants

En mai 1945, son frère Bernard et sa sœur Rosine reviennent des camps de concentration. Lazare se rend quotidiennement à l’hôtel Lutetia pour obtenir des nouvelles de ses parents et de sa sœur Fanny. En vain. La famille des Haut – à qui Lazare fera obtenir la médaille de Juste parmi les nations – prend en charge la fratrie. Âgé de 16 ans, « Petit Louis », qui a déjà eu trois vies, reprend des études comme si de rien n’était. Un jour, il reçoit donc le plus grand diplôme qui soit de la Résistance. Sans en parler. Bientôt, il entre chez Monoprix, dirigé par le gendre du fondateur, Max Heilbronn, un certain Étienne Moulin, son premier protecteur, rescapé des camps. Une autre fraternité…

« Petit Louis », de Jean-Christophe Notin (Grasset, 224 p,. 20 €).

Par François-Guillaume Lorrain

Source lepoint