De porte-parole à Premier ministre : la voie loyale de Gabriel Attal

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Le désormais ex-ministre de l’Education a été nommé par Emmanuel Macron Premier ministre ce lundi 8 janvier, après la démission d’Elisabeth Borne. A 34 ans, il devient le plus jeune chef de gouvernement de la Ve République.

Bruno Le Maire n’est pas près d’oublier ce déjeuner, quelques mois avant l’élection présidentielle de 2022. Son jeune collègue Gabriel Attal, simple porte-parole du gouvernement Castex, confie au puissant ministre de l’Economie et des Finances sa modeste ambition en cas de réélection d’Emmanuel Macron : «J’aimerais être au Budget auprès de toi si tu restes à Bercy.» Macron a été réélu, Le Maire est resté à Bercy, et Attal est bien devenu son ministre délégué aux Comptes publics. Ce que Le Maire n’avait pas anticipé, c’est qu’Attal pourrait devenir son patron un an et demi plus tard, après la démission d’Elisabeth Borne ce lundi 8 janvier. Ainsi va l’ascension éclair du plus jeune Premier ministre de la Ve République, âgé de 34 ans. Simple conseiller parlementaire de Marisol Touraine en 2012 à sa sortie de Sciences-Po, le voilà grimpé en moins de douze ans au rang de second personnage de l’Etat, battant un à un les records : député des Hauts-de-Seine en 2017, plus jeune membre d’un gouvernement de la Ve en 2018, plus jeune ministre de l’Education nationale en 2023, depuis Jean Zay, premier chef du gouvernement ouvertement homosexuel…

Plaire au patron

D’habitude avare en compliments publics sur ses ministres, Emmanuel Macron chantait ses louanges sur France 5 le 20 décembre, rappelant pourquoi il avait bombardé Attal rue de Grenelle, alors «qu’il n’était pas forcément candidat» à la succession de Pap Ndiaye : «Je l’ai fait en sachant là que j’avais un responsable politique qui partageait mes combats depuis le début, avait l’énergie, le courage de mener les combats nécessaires.» Depuis 2017, le jeune loup ne ménage pas ses efforts pour plaire au patron. A l’été 2018, il est l’un des rares députés macronistes à se risquer sur les plateaux des chaînes d’info en pleine affaire Benalla. Quelques mois plus tard, il est le seul membre du gouvernement à oser participer à une grande émission de France 2 sur les gilets jaunes. Un moyen de se faire connaître, alors qu’il peinait à exister avec son strapontin de secrétaire d’Etat à la Jeunesse, sous la férule de Jean-Michel Blanquer.

«Natascha Kampusch», son surnom – emprunté à une Autrichienne séquestrée huit ans – de jeune ministre malmené rue de Grenelle par son patron, finit par s’échapper. Il devient en juillet 2020 le porte-parole du gouvernement de Jean Castex, où il parvient à éviter les bévues de communication inhérentes au poste. A peine nommé à l’Education nationale, il repousse ses vacances d’été pour enchaîner des déplacements médiatisés. Une école incendiée dans les Yvelines pendant les émeutes, où il chante ce «respect de l’autorité» si doux aux oreilles présidentielles. Une «colo apprenante» du Val-de-Marne à la rencontre de jeunes défavorisés… et surtout une rentrée tonitruante avec une note de service bannissant l’abaya et le qamis des écoles, pour le plus grand plaisir d’élus de droite, comme Laurent Wauquiez. Les procès permanents en manque d’incarnation ou en «wokisme» instruits avec plus ou moins de relents racistes contre Pap Ndiaye appartiennent à l’histoire ancienne.

On l’oublierait presque : Attal est un transfuge du PS, manquant de peu une élection au Conseil régional d’Ile-de-France en 2015 sur la liste de Claude Bartolone. PS tendance Strauss-Kahn, qu’il intègre grâce à Marisol Touraine, mère d’une de ses camarades d’études. A son cabinet au ministère de la Santé et des Affaires sociales, il a pour collègues de futurs acteurs de la Macronie : Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement d’Edouard Philippe et candidat malheureux à la mairie de Paris, Mayada Boulos, directrice de la communication de Jean Castex à Matignon. Il surfe lui aussi sur la vague macroniste à la fin du quinquennat Hollande.

En amont des élections législatives de 2017, au moment d’examiner la dixième circonscription des Hauts-de-Seine, l’un des copilotes de la commission d’investiture d’En marche, Stéphane Séjourné, quitte la salle sans un mot. Pour parer au conflit d’intérêts, son compagnon, Gabriel Attal, est investi en son absence. Son élection face au protégé du maire d’Issy-les-Moulineaux, André Santini, lui vaut d’abord une haine tenace du baron des Hauts-de-Seine. A la recherche d’une permanence parlementaire à Issy-les-Moulineaux, il doit s’affubler d’un bonnet et de lunettes de soleil pour visiter des locaux sans attirer l’attention du maire. Les deux finiront par nouer un accord aux municipales de 2020, Attal soutenant la réélection de Santini.

En 2017, dès son entrée à l’Assemblée, le jeune député joue la triangulation en enchaînant les provocations destinées à son camp d’origine. Il appelle, en avril 2018, à «sortir ce pays de la gréviculture» à l’approche d’une réforme de la SNCF qui supprime le statut des cheminots pour les nouveaux entrants. Gardant toujours un œil bienveillant sur lui, Touraine l’alerte sur le petit sourire crispé qu’il arbore sur les plateaux, et qui pourrait passer pour de l’arrogance. Il s’en débarrasse vite. A Bercy, il reprend, dans une version plus policée, les outrances d’un Laurent Wauquiez sur l’assistanat. «Il y a des gens qui bossent et n’en peuvent plus de se dire qu’on en protège d’autres qui ne bossent pas», serine le jeune ministre. Une conviction forgée, jure-t-il, par une rencontre dans le Tarn avec une employée de boulangerie payée à peine plus que le smic, se plaignant de vivre moins bien que sa voisine sans emploi. A moins que ce ne soit surtout une lecture cynique des études d’opinion qui inspire ses positionnements les plus droitiers. L’ex-socialiste sait que de nombreux électeurs de gauche souscrivent aussi à l’item «il y a trop d’assistanat en France»«Je crois qu’il n’y a quasiment plus de frontière gauche-droite là-dessus», assurait-il à Libération en décembre 2022. Encore un positionnement fait pour ravir le Président. Alors que les ailes gauche et droite de la majorité exacerbent leurs rivalités en vue de la guerre de succession à Emmanuel Macron, Attal professe sa foi dans la survie d’un «espace central».

«Aujourd’hui je suis là, demain je suis là»

En parallèle, le ministre tente de nouer une relation avec les Français et lève le voile sur des pans de sa vie privée. «Sans la procréation médicalement assistée, je ne serais pas là aujourd’hui», révèle en 2018 à Paris Match ce fils d’un producteur de cinéma. En 2019, il s’exprime sur son homosexualité et ses rêves de parentalité dans Libération. Il y répond aussi au harcèlement lancé par l’avocat Juan Branco, son ancien condisciple de la très bourgeoise Ecole alsacienne. Il répétera l’exercice en novembre 2023 devant une caméra de TF1 dans une séquence ultramédiatisée. L’occasion, aussi, de faire la retape de son plan contre le harcèlement scolaire, dont Brigitte Macron est une fervente supportrice. La célébrité a un revers, le harcèlement des journaux people, qui troublent désormais ses rares escapades privées. Les sites de Gala et Voici se sont fait une spécialité de multiplier les articles sur ses faits et gestes les plus anodins, signe qu’Attal fait de l’audience et attire l’attention du public au-delà des passionnés de politique.

Le jeune ministre a de l’appétit. Elu de Vanves (Hauts-de-Seine), il laisse dire qu’il lorgne la mairie de Paris en 2026, sans jamais l’assumer ou le nier publiquement. Lorsque sa nomination au ministère de l’Education nationale laisse penser qu’il devra remiser cette ambition, il prend soin de préciser qu’il n’en est rien. En privé, il «réfute l’idée que [sa] nomination à l’Education ferme complètement la porte». Voilà ses rivaux prévenus, à commencer par le ministre des Transports, Clément Beaune, lui aussi sur les rangs pour remplacer Anne Hidalgo. Désormais sommé de faire ses preuves à Matignon, Attal risque de devoir remiser une fois pour toutes ses ambitions pour Paris. Après tout, c’est pour une compétition plus lointaine, et plus ambitieuse, que le qualifie sa nouvelle stature de Premier ministre. Avant lui, Manuel Valls, François Fillon, Lionel Jospin, Alain Juppé, ont brigué l’Elysée. Edouard Philippe ne se cache pas de s’y préparer lui aussi.

Le 8 octobre, en plein campus de rentrée du parti Renaissance à Bordeaux, un sondage de l’Ifop pour le Journal du dimanche place Attal comme le candidat qui représenterait le mieux «le camp d’Emmanuel Macron à la prochaine présidentielle». Devant Edouard Philippe, ce qui, là encore, n’est pas pour déplaire au chef de l’Etat. Malgré les acclamations des militants, le ministre feint ce jour-là l’indifférence devant sa collègue Prisca Thévenot. «Aujourd’hui je suis là, demain je suis là», dit-il en orientant sa main vers le sol. Il aura 38 ans en 2027, un an de moins qu’Emmanuel Macron lors de son arrivée au pouvoir. Le genre de scénario digne de la série Baron noir, dont Attal a rencontré et conseillé les auteurs en 2016. A l’époque, il n’était qu’un simple conseiller ministériel. Un autre monde.

par Jean-Baptiste Daoulas

Source liberation

1 Comment

  1. la présence d’un pareil article dans… Libération, journal qui en son temps s’était dit d’extrême-gauche, en dit long sur la putréfaction où en était ce vieux pays gaulois à la date de 2024…

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