Tourisme en Israël, la traversée du désert

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Depuis l’attaque du Hamas et le début de la guerre dans la bande de Gaza, les touristes ont déserté la région. Si la saison hivernale est perdue, Jérusalem et Bethléem élaborent, en espérant une paix prochaine, des plans pour faire revenir les visiteurs.

En ces temps de guerre, et contre toute attente, nombre d’hôtels affichent complet à Tel-Aviv comme à Jérusalem. A l’image du Dan Panorama, élégante bâtisse à la façade de pierres claires au cœur du quartier central de Réhavia, dans la Ville sainte. A l’intérieur toutefois, les résidents ne sont pas les touristes habituels venus du monde entier pour la saison hivernale. Il s’agit de familles évacuées des kibboutz du sud d’Israël, après la tuerie perpétrée par le Hamas le 7 octobre. Ou d’habitants du nord de l’Etat, partis pour éviter le feu de roquettes tirées par le mouvement islamiste Hezbollah depuis le sud du Liban.

Au total, 200 000 personnes sont hébergées dans la plupart des grandes villes du pays. Pour chacun de ces séjours, le budget israélien règle l’addition sur la base d’une convention conclue avec les hôtels. L’ambassadeur Peleg Lewi, en poste durant plusieurs années en Amérique du Sud puis en Asie et aujourd’hui conseiller du ministre du Tourisme Haim Katz, fait les comptes: «Le coût est de 250 millions d’euros par mois. Les hôtels ont vraiment joué le jeu et ont même fourni des vêtements. Ceux des évacués avaient une odeur de mort.» Seuls deux établissements haut de gamme ont refusé de prendre part au mouvement. Ils ont été immédiatement mis au ban de l’association des hôteliers d’Israël.

Terminal de Ben-Gourion désert

Sans cette présence, pas vraiment attendue, la plupart des établissements israéliens afficheraient de très faibles taux de remplissage, compte tenu de l’absence manifeste de touristes depuis le 7 octobre. Avant cette date, la saison s’annonçait plutôt prometteuse: «Nous avions prévu 4,5 millions de visiteurs soit plus qu’en 2019. Au lendemain de la tragédie, nous sommes passées de 150 000 clients à moins de 10 000. Ce secteur économique a perdu 90 % de ses recettes», détaille Peleg Lewi. Or le tourisme, en Israël, représente 3 % du produit intérieur brut (PIB) et fait vivre directement ou indirectement 300 000 salariés. Il a généré, en 2022, 3,6 milliards d’euros de recettes.

Première conséquence de la guerre dans la bande de Gaza, Israël n’est plus desservi que par trois compagnies aériennes locales: El Al, Arkia et Israir, ce qui freine significativement les possibilités de tous ceux qui auraient des velléités de voyage pour cette destination. La quasi-totalité des transporteurs européens et américains ont cessé leurs vols vers Tel-Aviv quelques jours après le 7 octobre. Le groupe Lufthansa (Swiss International Air Lines, Austrian Airlines) a annoncé une reprise des liaisons le 8 janvier et Air France, le 22 janvier. Pour l’heure, le terminal 3 de l’aéroport Ben-Gourion, principal point d’arrivée des visiteurs internationaux, est aujourd’hui désert. Pas un client dans l’agora centrale où sont regroupés les magasins de produits détaxés et, signe qui ne trompe pas, point de file d’attente devant les machines qui délivrent automatiquement un visa de séjour imprimé sur un rectangle de papier bleu pastel.

Quant au tarmac, il regorge d’espaces de stationnement disponibles. Et pour cause: pas un seul gros-porteur d’American Airlines, Air France ou British Airways en vue. Un haut fonctionnaire du ministère des Transports précise les principales raisons de cette décision: «La situation sécuritaire crée deux contraintes pour les opérateurs aériens: les assureurs augmentent leurs prix quand ils ne refusent pas carrément de couvrir la destination Israël et les équipages refusent de dormir sur place.» Etonnamment, quelques rares compagnies ont malgré tout poursuivi leur desserte: Flydubai et Etihad Airways. Sans doute faut-il y voir une décision politique liée aux accords d’Abraham signés entre Israël et plusieurs pays du Golfe. Ces deux transporteurs ont en effet l’Etat – les Emirats arabes unis, donc – comme actionnaire majeur.

En revanche, Turkish Airlines, la principale compagnie étrangère à destination et au départ de Tel-Aviv, a stoppé ses cinquante vols hebdomadaires après une valse-hésitation. Une décision qui vaut baromètre des relations israélo-turques à la fois agitées et changeantes sur le tempo «je t’aime moi non plus». On pourrait alors penser que le principal transporteur israélien, El Al, récupère une partie du marché. Mais un bon nombre de ses pilotes est mobilisé par l’armée de l’air. Le programme de vols ne peut donc pas être effectué intégralement.

«En colère contre le Hamas et Israël»

Tel-Aviv, Jérusalem, tout comme Eilat, la station balnéaire située au bord de la mer Rouge, ont donc tiré un trait sur la saison hivernale 2023. Les entreprises de tourisme, dès lors qu’elles ont perdu plus de 25 % de leur chiffre d’affaires, peuvent espérer un soutien de l’Etat, fléché à partir du budget additionnel de 7,5 milliards d’euros adopté la semaine dernière par le Parlement, afin de couvrir les dépenses liées aux deux mois de guerre. Une sorte de «quoi qu’il en coûte» version israélienne. Et pour la saison estivale à venir, nombre de questions se posent: où en sera le conflit ? Si accalmie il y a, les hôtels occupés de manière permanente par les familles évacuées, ou fermés durant plusieurs mois, auront besoin de travaux. Sans compter qu’une partie non négligeable des équipes de travail est composée de salariés non israéliens, dont beaucoup ont quitté Israël après le 7 octobre.

En territoire palestinien, le tourisme est également en berne. Bethléem en est une illustration. Habituellement, au mois de décembre, les 78 hôtels de la ville de 36 000 habitants (qui aurait vu naître d’abord le roi David, puis Jésus) affichent complet. Soit près de 12 000 visiteurs, pour l’essentiel des pèlerins, venus des cinq continents pour assister à une messe à la basilique de la Nativité et effectuer un tour des principaux sites du christianisme dans la région, comme Acre. Dans son vaste bureau meublé en bois d’olivier, Samir Hazboun, président de la chambre de commerce et d’industrie, s’arme d’un verre de puissant café turc et sort ses registres : «En 2019, nous avons reçu 3 millions de touristes. Pour le mois de novembre 2023, nous avons commercialisé 118 nuits d’hôtels, pas une de plus.» La plupart des établissements sont fermés.

Dans le grand hall de marbre gris du Bethlehem Hotel, le propriétaire des lieux, Elias Arja, tourne en rond. Au lendemain du 7 octobre, toutes les réservations ont été annulées et les soixante chambres sont vides depuis. Il exploite, avec ses frères, trois autres établissements, fermés eux aussi. Leurs 70 salariés ont été renvoyés chez eux et le chef d’entreprise fait ses comptes : «Je perds 20 000 dollars [plus de 18 000 euros, ndlr] par jour, ce qui fera un manque à gagner de 2 millions de dollars à la fin de la saison. Nous allons commencer par demander l’annulation du paiement des taxes locales.» Sur les raisons de son infortune, il évite la langue de bois et fait preuve d’un pragmatisme assez partagé dans la région: «Je suis en colère contre le Hamas et Israël. Et pour l’avenir, deux Etats ou un seul Etat, c’est pareil pour moi, à condition d’avoir les mêmes droits que ceux qui ont le même passeport que moi.»

«Voyager en Israël est un signe de solidarité»

Le président de la chambre de commerce de Bethléem, issu, comme il le dit lui-même, «de la plus puissante famille de la ville», essaie de regarder l’avenir en songeant aux hôteliers qui ont des prêts à rembourser aux banques locales et pas de rentrées financières: «Israël a une économie puissante et si nous allions nos forces, nous pourrions être un exemple pour tout le Proche-Orient. Mais pour cela, il doit y avoir un cessez-le-feu. Quand les touristes viennent dans cette région, ça profite aux Jordaniens, aux Israéliens et aux Palestiniens.»

Dans les ruelles de la ville, où la plupart des marchands de souvenirs ont baissé le rideau faute de clients, les rares boutiques encore ouvertes sont un exemple intéressant de cette synthèse. On y trouve aussi bien des keffiehs aux damiers rouges ou noirs, symboles du militantisme palestinien, que des châles de prières requis pour les offices dans les synagogues et, bien entendu, des images pieuses et des sculptures de Jésus. En revanche, pour les habitants de Bethléem, le Qatar, de plus en plus présent dans les discussions comme dans les financements, ne semble pas en odeur de sainteté. Samir Hazboun durcit soudain le ton: «Nous n’avons besoin de personne», lâche-t-il sèchement.

A Jérusalem comme à Bethléem, on gamberge sur le meilleur moyen de faire revenir les visiteurs. Pour l’été, le choix de la destination de vacances se prendra à partir du mois de mars. Au ministère israélien du Tourisme, l’ambassadeur Lewi Peleg travaille sur un plan en trois étapes: «D’abord, faire revenir ceux pour qui voyager à destination d’Israël est un signe de solidarité : les communautés juives et évangélistes. Ensuite, ceux qui éprouvent un intérêt culturel pour la région sans y être liés de manière affective. Enfin, travailler sur le come-back de ceux qui venaient auparavant. Tout le monde connaît Israël en bien ou en mal. Certains vont vouloir venir voir.»

Samir Hazboun, le président de la chambre de commerce de Bethléem, est sur une stratégie similaire: «Notre prochain rendez-vous est en septembre 2024. Nous allons mener des actions fortes auprès des églises afin qu’elles demandent à leurs pèlerins de revenir.» Sera-t-il pour autant entendu ? Devant son café aux senteurs de fleur d’oranger, il esquisse un sourire: «Nous proposons des plans, mais nous ne sommes pas décisionnaires. Dans cette région, si vous n’êtes pas optimiste, vous ne pouvez tout simplement pas y vivre.»