Daniel Dahan, le grand rabbin de Lyon : « On ne baissera pas la tête »

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Deux ans après son intronisation comme grand rabbin de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Daniel Dahan revient sur ce que les massacres du 7 octobre ont changé au sein de la communauté juive locale. Qui vient tout juste de célébrer sa propre Fête des Lumières, Hanouka, du 7 au 15 décembre.

Hanouka, une fête plutôt joyeuse d’habitude, vient de se dérouler, du 7 au 15 décembre. Dans une ambiance rendue sombre par les récents événements, on imagine…
Daniel Dahan : « Bien sûr. C’est vrai que c’est une fête joyeuse, c’est pour cela qu’elle est très populaire. Dans les milieux même moins pratiquants, le fait d’allumer des lumières tous les soirs, de consommer des beignets frits dans l’huile, de donner des cadeaux aux enfants, de chanter… c’est fun ! Cette année, j’ai vu des images, en Israël, où l’on a allumé des candélabres de Hanouka pour des otages qui sont encore retenus. Car l’idée, c’est qu’il y a toujours de l’espoir.

Comment avez-vous perçu le geste d’Emmanuel Macron, critiqué ensuite, d’avoir été présent à l’allumage à l’Élysée d’une bougie pour cette fête juive des lumières ?
Il appartient au président d’être responsable de ses actes. Il est majeur et vacciné. Dans la communauté, j’ai entendu des pour et des contre… Balle au centre !

Comment se porte la communauté juive de la région de Lyon ?
Ça va ! Il n’y a pas le choix. Vous savez, dans l’ADN du peuple juif, il y a cette notion, non pas de fatalisme, mais… il faut aller de l’avant ! 2 000 ans d’exil, ça forge les consciences et un certain nombre de réflexes qui font qu’on ne se laisse pas aller.

Ce qu’on appelle aujourd’hui la résilience ?
Oui. D’ailleurs, ce n’est pas anodin que celui qui a inventé le concept soit Boris Cyrulnik. Enfant caché à Bordeaux pendant la guerre et qui s’est reconstruit après l’extermination de sa famille dans les camps de la mort.

Qu’est-ce qui a changé au quotidien depuis le 7  octobre ?
Depuis cette date, le nombre de demandes de certificats de judaïcité a enflé. Ils ont pour principal but l’Alyah, le départ en Israël. Et non pas nécessairement “le retour” : les juifs de France sont français. Et j’ai envie de dire, désespérément, follement, terriblement français. Mon frère aîné et ma petite sœur ont fait leur Alyah il y a plus de 30 ans. Un choix réfléchi. Mais ils parlent, lisent, pensent et gueulent en français même s’ils sont aujourd’hui parfaitement israéliens.

Aujourd’hui, ce sont des décisions prises davantage sous le coup de l’émotion ?
C’est clair que le 7 octobre a été le déclic, peut-être pour des gens chez qui ça tourbillonnait déjà dans la tête. Des familles avec de jeunes enfants décident de partir car elles se disent : “Nous ne sommes plus en sécurité en France.” Et ça, c’est terrible.

Ça veut dire que, quelque part, c’est la faillite de la République. En deux mois au niveau national, les actes antisémites sont quatre ou cinq fois plus élevés que sur toute l’année 2022. C’est démentiel.

Et au niveau local ?
J’entends, on me rapporte des choses. Il y a des faits compliqués. La synagogue de la Duchère a été taguée avec des inscriptions en arabe. C’est le réveil de la bête immonde. Même à moi, on me demande d’être plus prudent, de faire attention quand je marche…

À un moment donné, il y avait beaucoup de regards haineux dans la rue. J’ai l’impression que ça s’est un peu calmé, en espérant que ça va durer. On vit dans un climat d’inquiétude, mais on ne baissera pas la tête. On doit pouvoir vivre ensemble en faisant fi de ce qui nous divise et en prenant en compte ce qui nous unit : la République.

Comment les actions d’Israël envers le Hamas sont-elles perçues ? 
Dans la communauté juive ? Comme parfaitement légitimes. Même chez les gens de gauche en Israël. Mais une guerre, ce n’est jamais simple. Qu’il y ait des victimes civiles et innocentes, c’est certain, et on le déplore. Qui pourrait ne pas le déplorer ? Ce ne serait pas humain.

D’un autre côté, comme le disait, je crois, Hannah Arendt, on ne peut pas reprocher aux Anglo-Américains d’avoir bombardé les villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale pour éradiquer le nazisme. Ou en Normandie, à Caen, Cherbourg, Saint-Nazaire, au Havre. Il y a eu de nombreuses victimes civiles françaises. Est-ce qu’on en veut aux Anglo-Américains ? C’est dramatique, mais je crains que les Israéliens n’aient pas le choix. Il s’agit d’éradiquer un mouvement terroriste qui a pour but la fin de l’État d’Israël et l’extermination des juifs.

Lors de notre premier entretien, il y a deux ans, vous vouliez vous concentrer sur la jeunesse, et créer une troisième école juive en région lyonnaise. Où en êtes-vous ?
L’école, c’est compliqué, mais ça reste dans un coin de la tête. Il faut trouver un lieu, à Lyon. Ce serait une école sous contrat, donc il faudrait assumer le traitement des enseignants car pendant les cinq premières années, l’État ne donne rien. Il faut donc trouver des fonds. Or en ce moment, la vie de la communauté est totalement bouleversée.

Vous aviez aussi lancé un prix Concorde et Solidarité pour promouvoir localement le dialogue entre les religions au niveau des jeunes. Où en est cette volonté de dialogue ?
Ça a volé en éclat. J’ai d’abord claqué la porte, en février, de Concorde et Solidarité (groupe de dialogue interconfessionnel avec la Mairie, NDLR) parce que j’estimais que la Mairie de Lyon n’avait pas joué son rôle*.

Et, depuis le 7 octobre, la situation est compliquée. On a eu un silence assourdissant de la part des responsables musulmans. Comme partout ailleurs, du reste. C’est quelque chose de blessant car aucun d’entre nous n’attendait une déclaration officielle pour condamner les exactions. Un simple SMS ou un coup de fil aurait été suffisant. Il n’y en a eu aucun.

Comment l’expliquez-vous ?
Dans le pire des cas, c’est de la complicité morale ; dans le meilleur des cas, c’est de la lâcheté. Le dialogue devra reprendre fatalement un jour ou l’autre, mais pour l’instant, on est en plein dans la crise, il faut laisser retomber les choses. Ensuite, il faudra qu’il y ait une explication de texte. On était dans l’émotion, maintenant nous sommes dans le temps long. »

Propos recueillis par David Gossart

Mon déjeuner avec Daniel Dahan

Daniel Dahan gardait un parfait souvenir de son premier entretien avec Tribune de Lyon, il y a deux ans. Il s’était tenu au Comptoir 43. Mais l’endroit, très couru, était aussi très bruyant. Pas idéal pour une interview… Le rabbin s’en est souvenu et nous a proposé un autre bon coin du 6e arrondissement : Le Raphaelo, où nous trouvons à l’étage une table éloignée du brouhaha.

« J’ai compris la leçon ! », sourit l’Annécien d’origine, qui arrive du Consistoire. Et repartira ensuite, à pied, profitant de la surprenante douceur de la mi-décembre pour rejoindre une maison de retraite villeurbannaise où il ira allumer un candélabre de Hanouka avec ses résidents juifs.

Un monde qui tourne rond

On aurait avant cela préféré pouvoir aborder avec lui des sujets plus légers pour la communauté, tels qu’ils les avaient posés à son menu fin 2021. Mais difficile de sortir longtemps de l’actualité tragique.

« Je connais des gens à Lyon et Villeurbanne qui ont de la famille parmi les otages, et j’ai une nièce qui habite en Israël, à Ashkelon, à sept kilomètres de Gaza. Elle m’a raconté son 7 octobre, la matinée dans la chambre forte, la fuite en voiture, les cadavres qui jonchaient les rues. L’horreur. » Mais « malgré tout, je continue à enseigner, essayer de créer des liens… Quand on s’était vus il y a deux ans, on sortait déjà de la Covid… J’aimerais bien vivre dans un monde qui tourne rond ! »

Or, l’antisémitisme a la peau dure, la méconnaissance de la religion juive aussi. Les amalgames l’agacent. Il en a des kyrielles d’exemples. « Un monsieur m’a dit un jour : “Oh ! j’ai déjà accosté chez vous.” J’ai joué l’andouille et j’ai dit : “Ah ! Au bord du lac d’Annecy ?””Euh non, à Haïfa”, m’a-t-il répondu. Mais ce n’est pas chez moi ! C’est pour ça que la création de l’Institut culturel du judaïsme par Alain Sebban est importante pour lutter contre l’antisémitisme par la connaissance. C’est fondamental. »

Un projet de voyage de solidarité en Israël mijote. « Alors j’irai. » Si le projet se confirme.

Source tribunedelyon