Le grand rabbin Haïm Korsia juge que «la laïcité, ce n’est pas l’athéisme»

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Emmanuel Macron a participé, jeudi 7 décembre, aux célébrations de la fête de Hanoukka. Pour Haïm Korsia, la cérémonie était «conforme» au principe de laïcité et le palais présidentiel n’est pas «un lieu neutralisé et sanctuarisé» comme une école.

«Tout ce qui affaiblit la laïcité affaiblit les juifs de France.» «C’est une faute politique impardonnable.» Voilà une polémique qui met d’accord le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Yonathan Arfi, et le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard. A deux jours de la date anniversaire du 9 décembre sur la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et l’Etat, une cérémonie religieuse a eu lieu ce jeudi 7 décembre au sein même de l’enceinte du palais de l’Elysée. En présence d’Emmanuel Macron, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a marqué le début de la fête juive de Hanoukka en allumant la première bougie du candélabre. Occasionnant une volée de critiques, à gauche comme à droite, sur la base d’une laïcité corrompue par le chef de l’Etat. «Tout ça a été fait en présence de tous les autres cultes qui étaient invités, qui étaient là et dans un esprit qui est celui de la République et de la concorde», s’est dédouané ce vendredi Emmanuel Macron. Une position que partage Haïm Korsia, qui se défend d’une atteinte à la loi de 1905. Pour lui, la polémique est vaine et même plus : il s’agit là, au moment où les juifs de France voient monter l’antisémitisme, d’un «symbole formidable».

Dans quel cadre cette cérémonie religieuse s’est-elle produite ?

Un cadre simple, c’était la remise du prix de la conférence des rabbins européens au président de la République pour son engagement dans la lutte contre l’antisémitisme et la défense des libertés religieuses. Et donc, à la fin, il a allumé une bougie de la mémoire que j’avais ramenée d’Auschwitz. Moi, j’ai pris cette bougie, j’ai allumé la première bougie de la fête de Hanoukka, qui n’a rien de religieuse puisque ce n’est pas une fête biblique. C’est conforme au principe de laïcité, le Président n’a pas allumé quoi que ce soit, j’ai allumé cela conformément à la laïcité, qui est la défense de la liberté de pratique religieuse et la neutralité de l’Etat. Donc tout a été respecté, l’Elysée n’étant pas une école, c’est-à-dire un lieu neutralisé, protégé, sanctuarisé. C’est à peu près du même niveau que la chapelle qui a eu cours longtemps à l’Elysée, ou le Noël de l’Elysée qui a cours jusqu’à nos jours. Il n’y a rien de particulier. Maintenant, je comprends qu’on pose la question, mais ça dit beaucoup sur une société qui s’offusque qu’on allume des lumières au pays des Lumières, cela me stupéfie, et peut-être aussi d’une société qui confond la laïcité avec l’athéisme, c’est-à-dire l’oblitération radicale du fait religieux.

Donc la cérémonie s’est déroulée comme prévu, les choses ne se sont pas faites sur le moment.

Non, on avait anticipé. Je vais vous dire, les polémiques, en France, on adore ça. Mais les images disent symboliquement à l’ensemble de celles et ceux qui se demandent s’ils ont encore une place visible dans la société, celles et ceux qui doivent enlever les mézouzotes, la kippa, qui doivent s’anonymiser : «C’est pas vrai, ne vous anonymisez pas, vous êtes des enfants de la République. La preuve, la République reconnaît ce que vous êtes. Elle vous permet de vivre ce que vous êtes.» Pour moi, le symbole est formidable.

Ça, c’est ce que vous pensez qu’Emmanuel Macron a voulu faire ?

Ecoutez, je lui demande [s’il peut allumer la bougie]. Je vois bien qu’autour de lui, ça discute… C’est normal. Mais il y a un principe fondamental qui est la liberté de pratique religieuse, c’est ça la laïcité. Si on veut comprendre autrement, qu’on change la loi. Mais pour l’instant, c’est ça la règle. Et j’espère que ça restera la règle parce que c’est l’un des trésors de la France que d’avoir ce principe de laïcité. Je signale à toutes fins utiles que le chancelier allemand, Olaf Scholz, a allumé la bougie de Hanoukka jeudi sans problème, et l’Etat allemand est neutre. En Amérique, ça se fait tout le temps, partout ça se fait. N’importe quel maire de n’importe quelle ville allume les bougies de Hanoukka avec sa communauté juive locale.

Ce n’est pas ce que pense une grande partie de la classe politique, à gauche comme à droite, ni le Crif ou certains rabbins.

D’abord, ce n’est pas la première fois, il y a déjà eu un allumage à l’Elysée, j’y étais. Mais, surtout, le bonheur procuré par cette idée que, non, les juifs n’ont pas à s’anonymiser dans notre société, ça… c’est exactement le cœur de ce qu’est la laïcité. L’Etat, la Nation, a besoin de vous dans ce que vous êtes. Après, chacun comprendra comme il veut. La polémique s’estompera. L’image, pour ceux qui en avaient besoin, restera.

Oui, mais le Crif estime quand même que…

…Mais je ne regarde pas ce que disent les uns et les autres. Est-ce que j’ai besoin que tel rabbin ou tel président d’institution ou d’association m’explique ce que c’est la laïcité ? Cela fait 118 ans qu’on vit dans un système formidable. On finit par comprendre que ce n’est pas l’athéisme, malgré ceux qui le souhaiteraient.

par Romain Boulho