Sur le front du droit, l’armée de l’ombre de Tsahal

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Alors que les combats et les frappes ont repris entre Israël et le Hamas, une unité secrète composée de juristes s’active en secret.

Fréquemment accusé de crimes de guerre à Gaza, Israël doit également remporter la bataille de l’opinion publique mondiale contre le Hamas. Dans ce conflit « asymétrique » où, en apparence, l’un des acteurs est nettement plus puissant que l’autre, les deux parties partagent une volonté de destruction totale de l’adversaire. Cependant, le piège tendu à Israël est redoutable, car toute atteinte aux civils de Gaza remet en question la légitimité de la cause pour laquelle l’État hébreu se bat.

Confrontée au quotidien à ces questions de droit international ultra-pointues, Tsahal s’appuie sur une unité secrète, connue sous le nom de MAG (corps militaire israélien d’avocats généraux), pour mener ses opérations militaires en accord avec les lois israéliennes et internationales. Cette unité essentielle est intégrée à la chaîne de commandement sous la supervision du chef d’état-major des armées. C’est sur elle que, pour la planification et la préparation des opérations, repose l’intégralité des décisions de ce dernier d’autoriser ou non une offensive, à partir de l’analyse approfondie du droit international, des conventions et des traités reconnus par les grandes démocraties.

Le cœur de la matrice

Personne ou presque ne connaît son existence. Confidentiel-défense pour éviter les fuites car à la moindre indiscrétion, la stratégie militaire de Tsahal pourrait être compromise. Certains avocats membres de cette unité secrète nous guident dans les coulisses de ce département classé au plus haut niveau de secret-défense.

Militaires de carrière ou réservistes, ils sont une centaine d’avocats expérimentés de 45 ans en moyenne à avoir fait partie des forces spéciales dans leur jeunesse, ce qui leur confère une connaissance ultra-précieuse du terrain. Dans cette unité de choc, ces juristes de combat qui ont pour mission de justifier l’utilisation de la force conformément au droit de la guerre se basent sur deux concepts clés : la différenciation entre les terroristes du Hamas et la population civile de Gaza, ainsi que la proportionnalité dans la riposte. Chaque frappe portée dans la bande de Gaza est dès lors validée en amont par cette unité de choc de Tsahal.

Le cœur de la matrice se situe à Tel-Aviv dans le centre de commandement de la Kyria, ce bunker top secret. Le logo de leur unité représente le glaive et la balance. Le glaive comme incarnation de la force, mais aussi de l’aspect répressif de la Justice, représentée par la balance. Travaillant en collaboration avec les services secrets de Tsahal pour évaluer la légitimité militaire d’une cible, le MAG permet aux forces opérationnelles de manœuvrer sur le terrain en étant, en théorie, protégées par le droit international.

Les hauts gradés se retrouvent le plus souvent dans le Bor, le puits en hébreu. C’est dans l’un de ces bunkers souterrains dispersés sur tout le territoire que l’opération à l’intérieur de l’hôpital Schifa a été validée. Les membres du MAG ont conclu que bien que cet hôpital ait été initialement catégorisé comme une cible civile, l’autorisation de l’attaque a pu être accordée lorsque les services de renseignement de Tsahal ont éliminé la présomption d’immunité en identifiant la présence d’infrastructures terroristes.

La technique du « roof knocking »

Avant l’incursion militaire dans la bande de Gaza il y a un mois, l’unité juridique a imposé des conditions préalables comme le déplacement des civils vers le sud et l’obligation de prévenir les populations par divers moyens en adoptant la méthode du « roof knocking ». Cette technique implique l’utilisation de drones pour larguer des obus vides au-dessus des immeubles avant leur destruction, pour avertir ainsi les occupants. En prévenant d’éventuelles accusations de crime de guerre, ces avocats de l’ombre ont exigé que des avertissements en langue arabe soient diffusés aux populations gazaouies via des tracts, des SMS, voire des appels téléphoniques dans la zone ciblée.

Pour des raisons de secret-défense, voici un exemple théorique assez proche de la réalité d’une opération non validée, selon les avocats du MAG : « Si un général informait le service qu’il souhaitait faire exploser un immeuble pour éliminer un terroriste en visite chez sa maîtresse à une heure précise, l’unité juridique devrait examiner la situation. Elle demanderait des détails sur les occupants de l’immeuble pour déterminer s’il s’agit de civils ou de personnes impliquées dans des activités terroristes, et s’il y a des enfants. En fonction des réponses fournies par les services de renseignement, l’opération pourra être approuvée ou rejetée, voilà à quoi ressemble notre quotidien »

Israël fait face à une organisation terroriste qui vise sa destruction. En reprenant les combats vendredi, l’État hébreu poursuit aussi sa volonté d’éradiquer totalement le Hamas. Dans ce contexte, concilier le respect du droit international sans enfreindre les Conventions de Genève de 1949 représente un défi complexe. Accusé d’utiliser des civils comme boucliers humains et de se retrancher dans des infrastructures civiles, le Hamas transforme tout objectif militaire en une cible hybride. Cette situation complique considérablement la tâche des avocats du MAG qui ont le rôle délicat de faire respecter le droit international tout en protégeant la sécurité de leur propre pays.

Anne-Isabelle Tollet

Source lejdd