Inceste et violences sexuelles faites aux enfant : le rapport

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Lancée en mars 2021, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) rend son rapport final vendredi. Elle propose 82 préconisations.

Un travail de longue haleine. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) publie son rapport final, vendredi 17 novembre, après trois ans de travaux. En 750 pages, elle revient sur la mission qui lui a été confiée par Emmanuel Macron après la publication remarquée, en janvier 2021, du livre de Camille Kouchner sur l’inceste, La Familia grande.

Dans ce rapport, la commission livre une analyse chiffrée des violences sexuelles visant les enfants, issue de 30 000 témoignages de victimes, mais aussi de la prise en compte d’études statistiques. Elle formule également 82 recommandations de politiques publiques pour mieux lutter contre le phénomène, dont sa pérennisation, alors que sa mission doit s’achever fin 2023. Voici un résumé de ses travaux.

Les violences sexuelles contre les mineurs sont fréquentes, et concernent surtout les filles

Le constat. Quelque 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, soit un enfant toutes les trois minutes. Au total, une personne sur 10 a été victime de violences sexuelles dans son enfance, soit 5,4 millions d’adultes. Huit victimes sur 10 (83%) s’étant confiées à la Ciivise sont des femmes. Les enfants en situation de handicap présentent un risque près de trois fois plus élevé d’être victimes de violences sexuelles. Les violences débutent à l’âge de 8 ans et demi en moyenne. Ces dernières sont majoritairement (86%) répétées et durent une fois sur deux (51%) plus d’un an.

Les préconisations. Pour mieux repérer les victimes, la Ciivise demande que les professionnels soient formés pour instaurer le questionnement systématique sur les violences sexuelles auprès des adultes et des enfants, notamment dans les situations de vulnérabilité (grossesse adolescente, tentative de suicide d’un mineur). Elle souhaite aussi l’organisation une grande campagne nationale de sensibilisation annuelle.

La commission préconise par ailleurs que l’effectivité de la mise en œuvre des deux rendez-vous de dépistage et de prévention à l’école primaire et au collège, annoncés par Emmanuel Macron en 2021, fasse l’objet d’une évaluation. Elle propose que ces rendez-vous soient plus fréquents et qu’ils concernent également les enfants et adolescents non scolarisés.

Les agresseurs sont en majorité des hommes de la famille

Le constat. Dans l’immense majorité des cas (97%), l’agresseur est un homme, souvent majeur (81%). Il s’agit surtout des pères (27%), des frères (19%), des oncles (13%), des amis des parents (8%) ou des voisins de la famille (5%). Plus l’agresseur est proche de l’enfant et plus les violences débutent tôt et durent longtemps.

Les témoignages recueillis permettent d’élaborer des procédés communs aux agresseurs : repérage et rapprochement de la victime, isolement de la victime – spatialement ou relationnellement –, dévalorisation de l’enfant, inversion de la culpabilité, instauration d’un climat de peur et demande à la victime du silence ou encore recrutement d’alliés pour dissuader l’enfant de prendre la parole.

Les préconisations. Pour prévenir les violences, la commission veut notamment renforcer le contrôle des antécédents via le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) en allongeant la durée de conservation des données, en permettant aux agents de la police judiciaire de le consulter ou en facilitant sa consultation en cas de recrutement pour une activité en contact avec les enfants.

Les conséquences des violences sur les victimes sont importantes

Le constat. Neuf victimes sur 10 (89%) ont développé des troubles associés au psychotraumatisme ou trouble de stress post-traumatique (TSPT). Une victime sur deux connaît par exemple un trouble alimentaire (47%) et des problèmes physiques (51%). Une victime sur trois (31%) est concernée par une addiction à l’alcool, à la drogue ou aux médicaments (surtout des hommes). Une victime sur quatre (24%) a eu recours à l’automutilation (surtout des femmes).

Les violences ont également des conséquences importantes sur la vie affective et sexuelle des victimes. Un tiers d’entre elles (31%) assurent par exemple avoir renoncé à toute forme de vie sexuelle. Enfin, il existe des effets importants sur la vie sociale et professionnelle. Six victimes sur 10 (62%) rapportent que les violences ont eu des conséquences négatives sur leurs relations sociales, comme la difficulté à nouer des liens avec autrui. Et quatre sur 10 (43%) déclarent avoir connu un impact professionnel négatif, en raison d’un manque de confiance en soi ou d’un rapport difficile à l’autorité par exemple.

Les préconisations. La Ciivise veut garantir des soins spécialisés du psychotraumatisme aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance en mettant en œuvre un parcours de soins pris en charge à 100% par la Sécurité sociale. Elle demande aussi que les victimes fassent l’objet d’une meilleure réparation indemnitaire, au titre de la gravité des préjudices subis.

Quand elles parlent, les victimes ne sont pas protégées

Le constat. Seule une victime sur 10 révèle les violences au moment des faits (13%). Lorsque c’est le cas, 70% des enfants sont crus. Pourtant, près d’un enfant sur deux (45%) n’est pas mis en sécurité et ne bénéficie pas de soins une fois qu’il a parlé. Quand ils sont destinataires des révélations de l’enfant, près de six professionnels sur 10 ne le protègent pas. Pire, dans un quart des cas (27%), celui qui reçoit les révélations de l’enfant lui demande de ne pas en parler. Et dans un cas sur cinq (22%), il rend l’enfant responsable de son agression. Plus de six victimes sur 10 (63%) révèlent les violences plus de dix ans après les faits. Là encore, elles sont crues le plus souvent, mais le confident ne fait rien dans 40% des cas.

Les préconisations. La Ciivise souhaite renforcer les signalements des violences par les professionnels, notamment en instaurant une obligation de signalement par les médecins des enfants victimes de violences sexuelles. Pour inciter les professionnels à signaler de telles situations, elle veut garantir leur immunité disciplinaire, clarifier et unifier la chaîne hiérarchique du signalement, mais aussi systématiser les retours du parquet sur les alertes émises.

Pour mieux protéger les enfants, elle demande par ailleurs la création d’une ordonnance de sûreté de l’enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales (JAF) de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste vraisemblable. Elle souhaite aussi que les visites médiatisées, qui sont mises en place quand il y a eu une séparation entre enfant et parent par une décision de justice, soient suspendues dans le cas de violences sexuelles.

Le traitement judiciaire des violences aboutit peu

Le constat. La sous-révélation des violences est « massive », écrit la Ciivise, qui estime qu’une plainte n’est déposée que dans un cas sur cinq (19%). Plus l’enfant révèle rapidement les violences, plus il est probable qu’une plainte soit déposée. Les hommes portent moins plainte que les femmes, et ils le font plus tard.

Seule une plainte sur six pour viol ou agression sexuelle sur mineur aboutit à la condamnation de l’agresseur – une sur 10 en cas d’inceste. Lorsque les agresseurs sont condamnés, ils le sont à des peines « dérisoires », estime la Ciivise. Entre 2016 et 2020, 74% d’entre eux ont été condamnés à de l’emprisonnement ferme, et 21% à de l’emprisonnement avec sursis. En moyenne, les agresseurs condamnés pour viol sur mineur à de l’emprisonnement ferme écopent d’une peine de quatre ans.

Les préconisations. Pour améliorer le traitement judiciaire des violences, la Ciivise préconise de déclarer imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commis contre les enfants. Elle souhaite par ailleurs la création d’une infraction spécifique d’inceste et que soit reconnu le caractère incestueux des violences sexuelles lorsqu’elles sont commises par le cousin ou la cousine de la victime. Elle demande aussi de prioriser les enquêtes pour violences sexuelles sur mineurs et que les enquêtes pénales soient conduites par des policiers spécialisés. Les expertises judiciaires devront aussi être réalisées par des praticiens formés et spécialisés sur les violences sexuelles.


Si vous êtes un enfant en danger, si vous êtes une personne témoin ou soupçonnant des violences sexuelles faites à un enfant ou si vous souhaitez demander conseil, il existe un numéro national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger : le 119, ouvert 24h/24 et 7j/7. L’appel est gratuit et le numéro n’est pas visible sur les factures de téléphone.
Il est aussi possible d’envoyer un message écrit au 119 via le formulaire à remplir en ligne ou d’entrer en relation via un tchat en ligne : allo119.gouv.fr.
Pour les personnes sourdes et malentendantes, un dispositif spécifique est disponible sur le site  allo119.gouv.fr.

Mathilde Goupil