Stéphane Plaza fait régner «un climat de peur» dans son royaume professionnel

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Menaces de licenciement abusif, management toxique, egotrip… Après les accusations de trois femmes visant l’animateur star de M6 pour violences conjugales, «Libération» a enquêté sur son comportement au travail. Un portrait bien loin de son image publique.

«Je suis à 80 % comme on me voit à l’écran. Les autres 20 %, ce sont mes failles…» En février 2019, Stéphane Plaza évolue au firmament lorsqu’il livre dans la presse ce ratio introspectif. En juin de cette année-là, il détrône pour la première fois l’hyper populaire médecin Michel Cymès au classement des animateurs préférés des Français par TV Magazine. A la télé, la star de la chaîne M6, à la tête d’une palanquée d’émissions consacrées à l’immobilier, dont l’originel et iconique Recherche appartement ou maison (première diffusion en 2006), apparaît empathique, gouailleur et gaffeur. Toujours là pour aider l’autre. Bref, tellement sympa. Mais Stéphane Plaza est-il vraiment comme il le dit une fois les caméras éteintes ? Quatre ans et demi plus tard, c’est un tout autre portrait qui se dessine.

Le tableau a commencé à se craqueler le 21 septembre avec la publication d’une enquête réalisée par Mediapart révélant que trois anciennes compagnes de l’homme de 53 ans l’accusent de violences conjugales. Les faits, désormais devant la justice depuis l’ouverture d’une enquête préliminaire et les plaintes déposées par deux d’entre elles, sont en total décalage avec l’image publique que ce dernier a patiemment construite depuis près de vingt ans. Pour son avocate, Me Hélène Plumet, cette enquête ne contient que les «allégations de trois femmes qui se sont liguées contre lui pour lui porter préjudice par tous les moyens». Auprès de Mediapart, elle a argumenté qu’il s’agissait de faits relevant de la «vie privée» de son client.

«S’il apprend que je vous ai parlé, je crains pour ma vie»

Libération (à qui ni Me Plumet ni Stéphane Plaza n’ont souhaité donner suite) s’est plongé dans l’univers professionnel de l’animateur. Pendant un mois, nous avons interrogé des collaborateurs, actuels et anciens, à tous les stades de la hiérarchie et dans tous les secteurs occupés par un Plaza cumulard. Salarié de M6, dont les émissions sont réalisées par Réservoir Prod, société qui évolue sous le pavillon du puissant groupe audiovisuel Mediawan, il est aussi comédien pour des prime-times diffusés sur la chaîne, dans des pièces de théâtre et réalise des chroniques pour RTL, où il participe également aux Grosses Têtes de son ami Laurent Ruquier. Sans parler de son monumental réseau d’agences immobilières (plus de 600 en France), cofondé en 2014 et dont M6 est devenu actionnaire majoritaire début 2022.

Qu’ils l’aient donc croisé ici ou là, qu’ils soient puissants ou plus vulnérables, sur le devant de la scène ou dans les coulisses, qu’ils soient hommes ou femmes, personne n’a souhaité s’exprimer sans la promesse de respecter l’anonymat. Après s’être confiée longuement, une de nos sources fait même marche arrière, comme tétanisée par la peur : «S’il apprend que je vous ai parlé, je crains pour ma vie. Il est capable de me faire du mal.»

Une crainte qui fait écho à ce que l’une des femmes accusant Plaza de violences conjugales a rapporté, selon nos informations, à la justice. Cette dernière raconte dans sa plainte qu’un soir son compagnon est rentré après avoir consulté une voyante qui lui aurait mis en tête qu’elle voyait d’autres hommes. «Je te préviens, je vais te buter si tu me trompes», l’a alors menacée Plaza selon elle. La même ajoute, toujours dans sa plainte : «Il me disait que je si le quittais, il se suiciderait, qu’il sauterait de son balcon, que je porterais ça toute ma vie». Deux autres femmes présentes dans le dossier judiciaire racontent des faits similaires, entre pression psychologique et chantage au suicide.

«Complètement agité du bocal»

Grâce aux témoignages recueillis par Libération, mais également à des pièces figurant dans le dossier judiciaire et à des captures d’écran de conversation WhatsApp entre Stéphane Plaza et certains protagonistes que nous avons pu consulter, c’est le portrait d’un homme habité par un sentiment de toute-puissance qui se dessine.

«Il manque de surmoi. Comme il n’a pas conscience de sa façon d’être, il déborde régulièrement», psychologise aimablement un collaborateur ponctuel. Stéphane Plaza est le plus souvent décrit comme «exubérant», «extravagant» voire «complètement agité du bocal», faisant «beaucoup de bruit» et «de grands gestes théâtraux». Une personnalité qui cherche à s’imposer partout, en toutes circonstances. Qui parle fort, rit fort, passe certains coups de fil sur haut-parleur, même s’il est en train de recadrer son interlocuteur. «Il est très sûr de lui et se sent intouchable», résume un collaborateur.

«Tu ne sais pas qui je suis, je suis Stéphane Plaza»

Un besoin de s’imposer au point que la star cathodique n’hésite pas à forcer ceux qu’ils le croisent à faire un selfie avec lui, qu’ils soient des inconnus dans la rue ou qu’ils pèsent dans le milieu, comme cette agent d’artistes à qui il lance à chaque fois qu’il la voit : «Elle veut son petit selfie ? Elle veut son petit selfie ?» Et ce, malgré les «non» répétés de l’intéressée. A des passants, à des collaborateurs passagers sur les tournages, il lance à la volée : «Faites des photos ! Faites des photos !» Un témoin de ce cirque : «Il veut faire croire que les gens se jettent sur lui et que les femmes atterrissent sur lui, mais ça ne lui tombe pas du tout dessus comme ça. C’est lui qui provoque.»

En boucle, Stéphane Plaza répète les mêmes rengaines d’autocélébration. «Je suis l’animateur préféré des Français»«Je suis au top»«Je suis le numéro 1». Et lorsqu’il s’énerve, menaçant : «Tu ne sais pas qui je suis. Je suis Stéphane Plaza.» Conclusion d’un ancien collaborateur : «Il se prend pour le roi de l’immobilier, le roi de M6, le roi de la France.»

Un trip égotique sévère forcément pénible à vivre mais en rien répréhensible. En revanche, de nombreux témoignages décrivent un management toxique, un comportement qui pourrait confiner au harcèlement moral au travail, défini par le code pénal comme des «agissements répétés pouvant entraîner pour la personne qui les subit une dégradation de ses conditions de travail pouvant aboutir à une atteinte à ses droits et à sa dignité ou une altération de sa santé physique ou mentale ou une menace pour son évolution professionnelle».

A écouter nos interlocuteurs, Stéphane Plaza a l’habitude de menacer ceux qui travaillent pour lui de les renvoyer ou de les faire renvoyer. Parfois en face, parfois dans leur dos. «Les gens ne savent pas l’enfer derrière le décor. Tous ceux qui bossent pour lui vont un jour être punis. A la moindre contrariété, comme un retard par exemple, qu’on soit photographe, maquilleuse ou régisseur, on peut être écarté d’un tournage un jour ou plus», raconte un observateur. «Je l’ai vu parler à une assistante comme à une merde. Il lui disait : «Règle-moi ce problème, sinon t’es virée». Or, le problème en question était totalement anecdotique», rapporte une autre de nos sources.

Ainsi un jour, une petite main chargée de compiler les archives de ses émissions est priée de se dépêcher en ces termes : «Si tu ne me les retrouves pas dans les dix minutes, je vais te faire virer». Un autre, c’est ce salarié du groupe M6, un peu éberlué, qui s’entend dire : «Si tu ne viens pas me voir au théâtre, je vais dire à Nicolas de Tavernost [président du groupe M6] de te virer.» Un troisième, c’est un agent immobilier des Hauts-de-Seine qui présente lors d’un tournage un bien qui ne plaît pas à Plaza. «Il s’en est pris à lui, il ne voulait plus de lui sur les tournages», raconte la cliente en quête d’un toit, qui dit avoir été «mal à l’aise de cette réaction».

«Un forcing de malade»

Autre lieu, autre histoire. Même comportement abusif. La maison d’édition indépendante Jungle a édité une bande dessinée à la gloire de Stéphane Plaza. «Il était content de se retrouver en personnage de BD, c’est toujours satisfaisant», raconte un protagoniste de cette collaboration avec le groupe M6. Après la publication du troisième tome en 2020, Jungle veut tout arrêter. Plaza est furieux et enjoint l’équipe sur le projet de ne pas lâcher. «Ils étaient gentiment insistants», se souvient un salarié de la maison d’édition d’abord diplomate, qui se corrige : «Ils ont fait un forcing de malade.» Problème, la BD ne marche plus du tout, au point que le troisième tome n’a été distribué que dans les agences du groupe Plaza immobilier. Jungle ne cède pas. Et voilà Plaza qui, rebelote, cible deux coupables – qui n’y sont pour rien – et qu’il raconte à la cantonade vouloir faire virer.

Précisons qu’aucun des concernés n’a eu le sentiment qu’il pouvait s’agir d’une blague. Au mieux, ils ont relevé un ton faussement badin qui ne les a pas du tout fait rire. Au pire, ils ont perçu une réelle menace. Même si aucun n’a été renvoyé.

A la direction du groupe M6, on affirme n’avoir jamais eu aucune remontée de la sorte. «Qu’il aille dire à Tavernost de virer quelqu’un ? Il n’oserait jamais aller au bout de cette démarche. Ce serait lunaire. Je rappelle que Stéphane Plaza ne serait rien sans lui», s’étrangle un cadre. L’un des concernés par ces menaces justifie ainsi cette ambiance d’omerta : «Plaza instaure un climat de peur. Il faut être parti pour parler. Sinon c’est trop risqué.»

Un enjeu financier considérable pour la direction de M6

Une enquête interne a été diligentée dans la foulée des révélations de Mediapart, menée par les ressources humaines (Réservoir Prod aussi a réalisé la sienne, par un cabinet extérieur cette fois), comme l’oblige le code du travail en pareil cas. Il s’agissait d’interroger tous ceux qui sont en contact avec lui. Beaucoup souhaitaient répondre sincèrement en évoquant les problèmes de comportement dont ils avaient été témoins, mais auraient fini par se rétracter en voyant que Plaza gardait le soutien total de la direction. Et qu’il était toujours programmé à l’antenne, et pas qu’un peu. Une soirée spéciale le 10 octobre, de 21 heures à minuit. Du Plaza non-stop : un inédit de Recherche appartement ou maison suivi dans la foulée d’un doc intimiste mettant en scène l’animateur et son père.

Pourquoi un tel soutien ? D’où qu’elle vienne au sein du groupe, la réponse est unanime : «Plaza est un actif pour la boîte.» Pas d’affect, du réalisme. Au-delà même des courbes d’audience ou des recettes publicitaires drainées par les shows de l’animateur, en étant propriétaire à 51 % du groupe Stéphane Plaza immobilier, M6 est face à un enjeu financier considérable. «Nicolas de Tavernost agit comme un patron de groupe industriel. Ce qui est important pour lui, c’est de sauver le business. Il y a un décalage entre son éthique personnelle d’être humain et ses décisions pour la boîte», explique un de ceux qui connaissent l’homme d’affaires. «La grande crainte, c’est la fuite des franchisés. Ceux qui vont dire “je vous paie pour avoir le nom de Stéphane Plaza sur ma vitrine, pas pour avoir le nom d’un type qui casse les doigts des dames”», admet-on à la direction.

Certes, l’immobilier va mal et les taux d’intérêt qui s’envolent pourraient tenter certains de profiter de ce bazar pour trouver un coupable idéal à l’effondrement de leur business. Mais un conseiller en communication qui s’est occupé d’un des multiples projets de Plaza conclut : «Ce sont des enjeux tentaculaires, mais lorsque tout ramène à la réputation d’une seule personne, c’est un modèle d’une fragilité considérable.»

«Certaines personnes étaient trop contentes de lui bourrer la gueule»

Surtout qu’en réalité, des alertes, il y en a eu. Stéphane Plaza admet lui-même publiquement et depuis un moment avoir un problème avec l’alcool. Sur son compte Instagram, dans des interviews, sur le plateau des Grosses Têtes, il livre le décompte de ses jours d’abstinence. «J’avais un alcool mondain. Un petit verre de rosé ça va, mais quand c’est tous les jours après le théâtre ou une vente ce n’est pas possible !» racontait-il par exemple en mai à Télé Câble Sat. D’après plusieurs témoignages, c’était plus que cela. Les plateaux de tournage étaient embués d’effluves d’alcool, du rosé, de la vodka, dont il fallait ravitailler régulièrement la loge. «Certaines personnes étaient trop contentes de lui bourrer la gueule, ça les plaçait au centre du jeu, et lui était trop content de boire», raconte un témoin qui n’a rien oublié ni de la drague insistante pratiquée par l’animateur sur certaines participantes de ses émissions, qui s’avérait parfois concluante, ni de ses sautes d’humeur.

L’ambiance hypersexualisée sur le plateau, encore une fois, Plaza lui-même l’a largement documentée. Un jour vêtu d’un simple tablier pour préparer un barbecue à des clientes sous l’œil des caméras, un autre totalement nu dansant au bord d’une piscine sur son compte Instagram. En février 2017, lorsque M6 diffuse en prime time l’émission Chasseurs d’appart : le choc des champions, le concentré de sexisme à l’antenne est tel que le show est épinglé jusqu’au plateau de Touche pas à mon poste, émission de Cyril Hanouna qui n’est pourtant déjà pas à l’époque un modèle de vertu. Lors de sa diffusion en Belgique quelques mois plus tard, le CSA belge ouvre une procédure à l’encontre de l’émission. Motif : «De nombreux passages du programme posent question en termes de sexisme et de représentation des femmes.» Défense de Plaza dans une interview au Parisien, en février 2017 ? «Les femmes sont les plus belles choses du monde.»

par Charlotte Chaffanjon