Institut médico légal de Tel-Aviv : « On travaille, et on pleure en même temps »

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Depuis les attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre, les médecins légistes de l’institut médico-légal de Tel-Aviv travaillent à l’ientification des victimes.

En Israël, des familles attendent toujours de récupérer ou de retrouver les corps de leurs proches tués après les attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre. Des victimes qu’il faut d’abord identifier et qui se trouvent à l’institut médico-légal de Tel-Aviv. Les autorités y ont organisé une visite pour les journalistes. Pour montrer la cruauté de cette guerre, disent-ils, ils laissent les portes ouvertes : « Il faut tout voir pour rendre compte au monde de la barbarie« . Depuis le 7 octobre, les corps des victimes ne cessent de passer les portes battantes de l’institut médico-légal de Tel Aviv.

À l’intérieur, l’horreur absolue. Il y a d’abord ce décompte macabre : « Nous avons reçu 950 corps, détaille le docteur Chen Kugel, l’un des médecins légistes. Environ 550 ont été identifiés. Nous avons des corps qui ne sont pas identifiés parce qu’ils sont en décomposition, ou parce que nous n’avons pas de données ADN pour comparer avec des familles. » Avant de descendre au sous-sol, il veut d’abord nous montrer des photos. « Je vous préviens, ce sont des images difficiles à regarder. »

Sur l’écran apparaît un amas compact, calciné. « Ici, vous voyez deux colonnes vertébrales. Celle d’un adulte et celle d’un enfant, enlacés. Pardon… (Il sanglote.) Le lien en métal que vous voyez, un fil électrique, a servi à les attacher. Et ils sont morts brûlés, comme ça. »

Depuis plusieurs jours, maintenant, toute son équipe est plongée dans l’insoutenable : « On retrouve beaucoup de balles dans les corps, décrit le docteur Kugel. Beaucoup dans les mains, aussi, parce que les gens se sont protégés en les mettant devant leur visage pour se défendre. Quand on accomplit notre travail, d’habitude, on est détachés… Mais là, on sait ce qui s’est passé. C’est horrible. J’ai vu beaucoup de choses dans ma carrière, mais là, c’est d’une telle cruauté ! »

Dans les petits sacs blancs, les corps des enfants

Dans la cour près du camion frigorifique, des dizaines de grands sacs mortuaires noirs. Et un plus petit sac, blanc. C’est un enfant. Beaucoup hantent ainsi la morgue confirme le docteur Chen Kugel. Des petites victimes, de tout âge, mais aussi des femmes, des hommes, des vieillards.

La docteur Nurit Bublil dirige le laboratoire ADN de l’institut : « Nous continuerons les identifications jusqu’au dernier. Chaque Israélien, civil, soldat, touriste, n’importe qui. On essaiera de trouver qui sont toutes ces victimes. » Une mission qu’elle s’impose par respect pour les proches « Peut-être que ça nous prendra du temps, parce que certains cas sont plus difficiles que d’autres. Mais j’espère qu’on les rendra chacun à leur famille, pour qu’ils soient enterrés. » Elle poursuit dans un sanglot, elle aussi : « On les fera rentrer à la maison. C’est notre devoir. Des tas de gens travaillent ici jour et nuit, car nous savons que leurs familles les attendent », conclut-il.

Dans le couloir, l’odeur est insoutenable. Rien ne nous est caché. D’un côté, des cadavres, ou ce qu’il en reste, de l’autre, un enchevêtrement de chairs. Au deuxième étage, la docteure Miral Scheinfeld a les traits tirés. Elle travaille sur un petit fragment d’os. « On extrait l’ADN des os, parce que sur certains corps, c’est la seule chose qu’il reste. On compare ensuite avec la base de données ADN des familles« , commence-t-elle, avant de vouloir expliquer ses cernes : « Je suis très fatiguée. Je travaille ici 15 heures par jour. Mon mari aussi, il est légiste. Des fois, on a besoin de prendre un break. Alors on s’enlace, on pleure et on continue. »

Des volontaires venus de tout le pays en renfort

Pour épauler l’équipe des sept médecins légistes épuisés, des volontaires sont venus en renfort : radiologues, anthropologues, de tout le pays et de l’étranger. Une trentaine au total, comme le docteur Guilard, spécialiste ADN : « C’est difficile de rester à la maison et de ne rien faire pour aider ces familles en deuil et qui ne savent pas ce qui est arrivé à leurs proches. Donc c’est mieux d’être ici et de travailler. »

Il n’y a pas que des corps qui sont amenés à la morgue. Il y a des objets, aussi, retrouvés sur les lieux des tueries. Ils doivent être analysés, comme ce matelas pour enfant taché de sang. Ou encore ce paquet que le docteur Nurit Bublil a reçu il y a quelques jours : « J’ai ouvert l’enveloppe et dedans, il y avait un livre de cuisine. J’ai ce livre. Il était couvert de sang. Et là ça vous frappe : ça aurait pu être moi. » Une pause, et il continue. « C’était une célébration de la mort et ça fait mal. Ça me brûle la gorge. Ça, c’est un combat militaire ? (sanglots) Je ne crois pas. C’est inhumain. On travaille et on pleure en même temps. Mais on se relèvera. On ne peut plus se permettre de vivre près d’eux. Plus jamais. »

Tous ces médecins légistes éprouvés essayent aussi de récolter des preuves sur ces victimes. Mais beaucoup sont perdues à jamais, tant les corps sont suppliciés.

Farida Nouar