Pourquoi le magazine d’extrême droite «Rivarol» est progressivement chassé des rayons des supermarchés

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Après Carrefour, c’est au tour d’un magasin Intermarché de retirer de ses étalages le journal d’extrême droite, qui n’est plus considéré comme un «titre de presse d’information politique et générale» depuis plus d’un an.

Après l’annonce l’été dernier de Carrefour, renonçant à proposer Rivarol à la vente, une autre enseigne de grande distribution vient de lui emboîter le pas : Intermarché. Alors que l’hebdomadaire d’extrême droite se nichait toujours dans le rayon presse d’un Intermarché de Niort (Deux-Sèvres), le supermarché a fait savoir le 5 septembre, dans les pages du journal régional la Nouvelle République, qu’il s’engageait à ne plus commander ce titre.

A la différence de Carrefour, qui a pris une décision au niveau national, cette initiative d’Intermarché est locale et émane de la directrice du rayon presse, avec le blanc-seing du directeur du magasin. Sans que la décision de retirer Rivarol ne s’inscrive, donc, dans une concertation avec l’ensemble du groupe Intermarché. De fait, répond le distributeur à CheckNews«Intermarché étant un réseau de points de vente indépendants, chaque patron de magasin est libre de vendre ou distribuer les produits de son choix».

La décision de l’établissement de Niort fait suite à une campagne menée en ligne, notamment par les Sleeping Giants, un collectif «de lutte contre le financement du discours de haine», en vue d’inciter les distributeurs à retirer Rivarol de leurs étalages. Le 19 juin, un utilisateur de X (ex-Twitter) avait ainsi interpellé Intermarché en ces termes : «Etes-vous au courant que le journal ouvertement raciste et antisémite est en vente dans votre supermarché à Niort dans le quartier du Pontreau ?» Deux mois plus tard, son message a été entendu. Ce dont se sont aussitôt félicités les Sleeping Giants, se réjouissant de cette «excellente nouvelle».

En se fendant d’un simple mail pour arrêter de vendre Rivarol, la responsable du rayon presse de l’Intermarché du Pontreau s’inscrivait-elle dans son bon droit ? Oui. Car la grande distribution n’est plus tenue – du fait d’une évolution légale survenue en 2019, puis d’une décision prise à la mi-2022 par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) – de distribuer ce journal, connu pour ses positions nationalistes, racistes, antisémites, négationnistes et homophobes.

Comme nous l’avions expliqué il y a un an dans notre article sur l’annonce de Carrefour, seule «la presse d’information politique et générale» fait, depuis octobre 2019, l’objet d’une obligation de distribution, prévue dans l’article 5 de la loi sur la distribution des journaux. Or justement, Rivarol n’est plus considéré comme un titre de presse d’information politique et générale, en vertu d’une décision de la CPPAP, commission rattachée au ministère de la Culture. Après s’être à nouveau penchée en mai 2022 sur l’agrément accordé à Rivarol, dans la foulée d’une ultime condamnation pour contestation de crime contre l’humanité du directeur du journal, l’instance a considéré «que la publication présente un défaut d’intérêt général et qu’elle ne peut plus demeurer inscrite sur ses registres». Ainsi, Rivarol ne figure pas dans la dernière version, publiée en juillet dernier, de la liste de publications d’information politique et générale tenue par la CPPAP. Et cette évolution implique que ce titre ne fasse plus partie de l’assortiment automatiquement envoyé aux points de vente, mais doive faire l’objet d’une demande expresse des revendeurs.

En raison des conséquences économiques pour l’hebdomadaire, la société éditrice de Rivarol a décidé de contester la décision de la CPPAP devant la justice administrative. Début juillet 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a dans un premier temps rejeté sa requête visant à obtenir en urgence la suspension de la décision, pour des motifs détaillés dans notre article d’août 2022. La décision de la CPPAP s’applique donc pleinement depuis ce jugement, sans que d’autres recours y fassent obstacle. D’ailleurs, l’éditeur de Rivarol avait également saisi le tribunal administratif sur le fond de l’affaire, espérant obtenir l’annulation de cette décision.

L’affaire a-t-elle été tranchée depuis ? «Le procès n’aura sans doute pas lieu, compte tenu des délais dans ce genre de dossiers, avant fin 2023 ou courant 2024», écrit le directeur de Rivarol sur le site du mouvement d’extrême droite Action française. Contacté, le tribunal administratif de Paris n’a pas pour l’instant été en mesure de nous donner la date de l’audience.

Depuis l’été 2022, outre Carrefour, d’autres distributeurs, pointés du doigt pour la présence d’exemplaires de Rivarol dans leurs magasins, se sont engagés à arrêter de vendre ce titre. L’enseigne de distribution de produits culturels et créatifs Cultura, interpellée par les Sleeping Giants sur X au mois de novembre suivant, avait répondu que «les journaux Rivarol ont bien été retirés de la vente […] sur l’ensemble de nos magasins». Relancée par CheckNews, l’enseigne explique avoir pris la décision, dès juillet 2022, «de demander à l’ensemble des magasins Cultura dotés d’un rayon presse de retirer le magazine Rivarol de la vente et de demander aux dépôts de presse qui constituent les assortiments à ne plus recevoir ce magazine». Comme «l’application de cette évolution est progressive […] il peut encore y avoir des livraisons automatiques de ce magazine par les dépôts de presse dans certains de nos magasins, qui ont bien pour directive de ne pas les mettre en rayon», précise Cultura.

Les membres du collectif avaient aussi sollicité par mail, à la fin de l’été 2022 toujours, les groupes Monoprix et Lagardère Travel Retail, la filiale de Lagardère détenant la chaîne Relay. Dans leurs réponses respectives, le premier distributeur faisait état de sa décision «de ne plus le commercialiser dans [ses] magasins», et le second insistait sur la diffusion de «messages nécessaires afin que cela soit bien effectif» dans son réseau de magasins. Sollicité par CheckNews, le groupe Monoprix confirme qu’il a «bien retiré le média de [ses] rayons depuis août 2022».

par Elsa de La Roche Saint-André