Ne pas se tromper de combat, par Jacques Attali

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Dans cette chronique Jacques Attali dénonce le silence des « manifestants » quand il s’agit de s’exprimer sur le réchauffement climatique, l’IA et autres mensonges du pouvoir.

L’Histoire, dans un siècle, (si Histoire il y a encore dans un siècle), retiendra qu’en 2023, en France, on s’est révolté contre un crime inacceptable commis par un personnel d’autorité, et qu’en conséquence, quelques milliers de voyous de circonstance, et de voyous professionnels, ont pillé des magasins, des mairies et des écoles.

Quelques jours à peine seulement, tous les médias n’en parlaient plus et dénonçaient le scandale du réchauffement climatique. A-t-on vu les mêmes jeunes, ou d’autres, en France ou ailleurs, manifester en masse pour dénoncer cet autre scandale ? Pour accuser les générations précédentes de leur laisser la perspective de vivre un enfer ? A-t-on vu des jeunes, en masse, descendre dans la rue, pour demander plus de lois contre le gaspillage, contre l’usage des énergies fossiles, du sucre artificiel, de toutes les drogues, pour la protection de l’eau et de la biodiversité ? Et si quelques-uns l’ont fait et le font, parfois débordés par des casseurs professionnels comme dans toutes manifestations d’aujourd’hui, on ne voit pas encore se structurer un vrai mouvement en faveur d’un autre mode de développement. Nulle part. Aucun dirigeant politique de haut niveau, nulle part dans le monde, n’a un tel programme. Et ceux qui prétendent l’avoir ont ruiné leurs discours en y ajoutant une pincée de populisme, une autre d’antisémitisme et une troisième d’incompétence.

De même, rien n’est fait pour dénoncer sérieusement les dévoiements effrayants à venir de l’intelligence artificielle et de la génétique. Pendant ce temps, on continue d’attirer la jeunesse vers des métiers faciles, rapportant beaucoup, dans l’économie de la mort, qu’il s’agisse des marchés de la drogue, de l’influence, et, de plus en plus, du sexe.

Et pourtant, on sait parfaitement ce qu’il faudrait faire au plus vite : organiser la transition de l’économie de la mort vers l’économie de la vie ; c’est-à-dire transformer toutes les entreprises produisant et utilisant des énergies fossiles, des sucres artificiels, des pesticides, et toutes autres formes de drogues et de poisons. Et pour cela, lancer un vaste programme d’énergies renouvelables, d’éducation, de prévention, de prise de conscience citoyenne. Et divers moratoires sur certaines dérives technologiques.

Le moment est venu, à l’échelle mondiale, de voir se construire un véritable mouvement sérieux, qui reprendrait ces idées. Sans cela, les dirigeants du monde continueront de mentir, de faire comme s’ils ne savaient pas, comme si personne ne les avait prévenus. Ils diront qu’on ne peut toucher à la voiture, à l’avion, au bateau, comme ils sont. Et que, s’il faut peut être évoluer un jour, il faut laisser le temps en décider.

C’est un mensonge. Il faut aller très vite. Il faut se mettre en économie de guerre. Et seule une colère saine de la jeunesse, qui risque vraiment de vivre ce cauchemar en ses années d’adulte, peut déclencher ce mouvement.

Viendra-t-il à temps ? On n’en prend pas le chemin.

j@attali.com

Source attali