Le fondateur de la deuxième plus grande banque suisse était antisémite

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Un groupe d’historiens et l’artiste Pipilotti Rist veulent renommer une place de Saint-Gall qui porte le nom du fondateur de la banque, F.W. Raiffeisen. Ils accusent ce dernier d’antisémitisme.

Le nom «Raiffeisen» a une odeur de champs, de travail honnête et de tradition rurale. En Suisse, le logo de la banque a longtemps représenté trois épis. Après l’intégration de Credit Suisse par UBS, la «Raiffeisen» est le deuxième plus grand groupe bancaire de Suisse.

Le nombre de clients n’a pas cessé de croître. Même lorsqu’il est apparu que son patron de longue date déclarait ses visites dans des clubs de strip-tease sur ses notes de frais et qu’il a été condamné pour gestion déloyale et abus de confiance.

Le nom apparemment indestructible de la banque est cependant sujet à critique: son fondateur allemand, le réformateur social Friedrich Wilhelm Raiffeisen, n’était pas seulement un bienfaiteur, mais aussi un antisémite convaincu. C’est ce que révèle une nouvelle biographie. C’est pourquoi une place de la ville de Saint-Gall portant le nom du fondateur de la banque doit désormais être rebaptisée, afin de mettre fin à «l’oubli» de l’histoire concernant les positions de Raiffeisen. C’est ce que demande un groupe d’historien-nes, dont Stefan Keller, de politicien-nes, dont Paul Rechsteiner et d’organisateur-trices d’expositions comme Hanno Loewy, directeur du Musée juif de Hohenems, ainsi que l’artiste Pipilotti Rist.

La place portera désormais le nom de la juive orthodoxe Recha Sternbuch. Elle organisa à partir de 1938 des transports de réfugiés juifs vers Saint-Gall. Plus tard, elle fit venir en Suisse 1200 juifs du camp de concentration de Theresienstadt.

Un bienfaiteur antisémite

Les caisses Raiffeisen tirent leur origine de la campagne, ce qui est inhabituel pour une banque. Au 19e siècle, elles ont été créées pour soutenir les familles paysannes démunies en leur accordant des crédits. Elles prêtaient de l’argent pour l’achat de semences, que l’on pouvait ensuite rembourser à des conditions modérées. La devise était «Un pour tous, tous pour un». On se réunissait régulièrement dans le village pour des assemblées générales. Il en a été ainsi jusqu’au 20e siècle.

Aujourd’hui encore, la banque n’appartient pas à des actionnaires, mais à des coopérateurs et des coopératrices, soit deux millions de sociétaires en Suisse en 2022. La première association de caisses de prêt en Suisse a ouvert ses portes en 1899 à Bichelsee, en Thurgovie. Aujourd’hui, le pays compte plus de 800 succursales Raiffeisen. À titre de comparaison, UBS en a à peine 200.

En 2018, lorsque le scandale concernant l’ancien patron Pierin Vinzenz a été rendu public, l’historien Hans Fässler a lui aussi reproché à la banque d’avoir son fondateur comme modèle. Il en a collé un nouveau sur le panneau de la «Raiffeisenplatz» de Saint-Gall: «Friedrich Wilhelm Raiffeisen se retournerait dans sa tombe s’il savait ce que l’on a fait de sa banque».

Fässler est aujourd’hui encore client de la Raiffeisen et, depuis peu, sociétaire. «L’idée de base actuelle d’une banque coopérative qui, de plus, ne prend pas d’engagements à l’étranger, me semble toujours aussi convaincante». Il aimerait malgré tout en changer l’enseigne.

En effet, en tant qu’historien, le rapport entre «l’idée coopérative d’entraide et de solidarité et l’intention douteuse de retirer des mains des juifs, considérés comme dangereux et trompeurs, les opérations financières dans les zones rurales» lui semble un peu courte. Il estime à ce propos que l’époque de la création des banques Raiffeisen suisses devrait également être examinée de plus près.

Dès les années 1880, les programmateurs de l’antisémitisme politique faisaient l’éloge des coopératives de consommation et de crédit en tant qu’«antisémitisme pratique» appliqué, qui restait moins dans la théorie mais s’attaquait directement à la prétendue domination des juifs dans les affaires financières.

Même les adeptes du national-socialisme ont célébré Raiffeisen comme l’un des leurs lors du cinquantième anniversaire de sa mort, en 1938 : «Il a été le premier à combattre le capitalisme usuraire juif. Il a libéré la paysannerie allemande des griffes des usuriers juifs», disait-on alors.

Un livre du sociologue Wilhelm Kaltenborn, paru en 2018, montre qu’il ne s’agissait pas seulement d’une appropriation. Raiffeisen ne voyait certes aucune raison de tuer les Juifs ou de les priver de leurs jeunes droits civiques, mais il estimait qu’une expulsion vers la Palestine était judicieuse.

En effet, il était lui aussi d’avis que les Juifs aspiraient à la domination de l’Europe depuis le Moyen Âge. Il a fait l’éloge de l’expulsion des Juifs d’Espagne à la fin du 15e siècle, car sinon l’or d’Amérique leur serait tombé dessus. Ainsi, la formation d’une «internationale dorée» aurait été au moins encore retardée. Mais, Raiffeisen en était convaincu, les Juifs contrôlaient la presse, le marché de l’argent et du bétail et craignaient le travail physique.

Un lieu de confrontation

Une grande partie de la place qui porte son nom à Saint-Gall est occupée par une œuvre d’art de Pipilotti Rist. L’aménagement de l’espace, construit en 2005, «ressemble à un morceau de ville recouvert de granulés de plastique, comme ceux que l’on trouve sur les terrains de sport.»

Ce devait être un espace de rencontre urbaine, mais aussi de débat démocratique. Une raison pour laquelle Pipilotti Rist s’engage aujourd’hui pour que la place soit rebaptisée:

«Il est important pour moi d’apporter ma contribution pour que nous puissions entretenir une culture du souvenir en tant que société. Cela implique pour moi de dire clairement, avec ce changement de nom, que je ne veux pas qu’une place que j’ai conçue soit associée à un antisémite».

À cela s’ajoute que le Stadtlounge jouxte directement une synagogue. Elle a été construite en 1881, l’année même où Friedrich Wilhelm Raiffeisen a théorisé sur la «question juive».

Batja Guggenheim-Ami, ancienne coprésidente de la communauté juive de Saint-Gall, demande également depuis 2021 que la place soit rebaptisée. Elle avait en tête le 50e anniversaire de la mort de Recha Sternbuch. Mais la ville n’a à ce jour pas donné suite à cette demande.

«Pour la communauté juive de Saint-Gall, le nouveau nom de la place sera synonyme de respect et de reconnaissance envers Recha Sternbuch. Sa mémoire sera une consolation pour ceux qui ont souffert des horreurs inconcevables d’une pensée inhumaine pendant l’Holocauste», déclare Batja Guggenheim-Ami.

Recha Sternbuch est née en 1905 en Pologne. Elle était la fille d’un rabbin orthodoxe. À partir de 1929, elle vit à Saint-Gall – son mari Isaac Sternbuch, citoyen de Bâle, y dirige une entreprise textile. En 1938, l’Autriche se rallie à l’Allemagne nazie et de plus en plus de Juifs en fuite arrivent à la frontière de la Suisse orientale. Recha Sternbuch fait régulièrement passer la frontière à des personnes fugitives avec sa voiture. La maison des Sternbuch devient un foyer temporaire pour elles.

En 1939, Sternbuch est accusée de trafic de migrants et migrantes et d’autres délits similaires. Mais elle ne se laisse pas décourager pour autant. Lorsque le couple s’installe à Montreux, il fonde une organisation d’aide qui soutient les juifs en fuite dans le monde entier.

Batja Guggenheim-Ami estime à ce sujet: «Elle a vécu et agi avec un courage et une véhémence infatigables selon ces attitudes éthiques fondamentales à l’époque du régime nazi car, comme le dit le judaïsme: ‘Qui sauve un homme, sauve un monde entier’».