Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses : outragé mais pas brisé

Abonnez-vous à la newsletter

L’édile LR de la commune du Val-de-Marne, Vincent Jeanbrun, a été profondément heurté par l’attaque ultraviolente de son domicile le 1er juillet.

Quand il ferme les yeux, Vincent Jeanbrun revoit les flammes, la furie et la panique. Une nuit d’horreur, «un trauma», dont il peine à retracer le déroulé exact. Il lui faut aller chercher loin dans sa mémoire pour que surgisse un détail, puis un autre. La scène a tout d’un scénario de film. Un samedi soir d’été «plutôt calme», début juillet. Lui, à la mairie, sa femme et ses enfants, à la maison. A 1 h 30 du matin, son téléphone sonne. Sa femme à l’autre bout du fil. Il décroche. «Salut ma chérie, ça va ?» Il n’imagine pas ce qui se passe à quelques rues de là. Son domicile pris pour cible, le portail défoncé, une voiture-bélier en feu, des tirs de mortiers en rafale. La famille obligée de filer en courant. Dans sa fuite, son épouse se blesse à la jambe. Direction l’hôpital. «Et là, immense sentiment d’impuissance. Je ne suis pas médecin, je ne suis pas psychologue. J’ai l’impression de ne pas pouvoir leur être utile, alors que je sais que c’est à cause de moi. Si ce n’était pas la famille du maire, on ne se serait jamais fait attaquer», dit-il.

Un instant, Vincent Jeanbrun songe à «tout arrêter». «Ma famille passe avant tout le reste.» En plein plâtrage, sa femme, conseillère municipale et élue départementale, monte au créneau : «Hors de question. Si on arrête la politique, c’est parce qu’on l’aura décidé, mais certainement pas parce qu’on a peur. Tu as une chose à faire : faire en sorte que ça n’arrive plus.» Lui, avec le recul : «J’aurais aimé graver ce discours, je ne sais plus tout ce qu’elle m’a dit, mais c’était réconfortant, lumineux. J’ai un déclic et je me dis on y va.» Une attaque ultraviolente qui lui vaut une médiatisation soudaine et «des milliers» d’invitations sur les plateaux télé. Le dimanche soir au 20 heures de TF1, le lendemain matin sur BFM ou sur CNews, le surlendemain à la une du Point ou du Parisien. A chaque fois pour appeler au «sursaut» et regretter que «notre République et ses serviteurs soient menacés». Son nom et son visage deviennent symbole des violences contre les élus.

Une semaine plus tard, il reçoit dans un local de la mairie, au pied de l’immeuble où il a grandi, quartier Lallier. Comme dans un jeu de Lego, les tours se tiennent droites les unes à côté des autres. Il se lève, regarde par la fenêtre et dit : «Je suis né là, au 17e étage !» A L’Haÿ-les-Roses, commune populaire du Val-de-Marne, le bitume n’a pas refroidi, les traces des révoltes urbaines sont encore visibles. Tout de suite, une question vient : qui a vraiment attaqué le domicile du maire ? L’opération semble avoir été préparée avec un tel degré de professionnalisme, façon commando, que la piste de «l’émeute» ne s’impose pas naturellement. Une enquête a été ouverte par le parquet de Créteil pour «tentative d’assassinat» et permettra d’éclaircir les motivations réelles des assaillants.

L’homme, à la carrure de rugbyman, aux épaules larges et à la mâchoire serrée, n’en reste pas moins un politique chevronné. Quand il est arrivé à l’hôtel de ville en 2014, avec sa casquette de plus jeune maire d’une ville de plus de 30 000 habitants, il s’est tout de suite fixé comme priorité «la lutte contre la délinquance et les trafics de drogue». «La drogue générant des moyens hallucinants, les dealers avaient la capacité d’acheter et de menacer les habitants. Les gardiens d’immeuble, menacés de mort quotidiennement, ne pouvaient plus habiter sur place. De nouveau, le gardien vit sur place. Les gens ont repris confiance, il y a une République prête à venir les aider.»

L’élu en a fait une marotte. Il raconte ces histoires d’habitants menacés, craignant de déposer plainte, obligés de déménager. «La loi du plus fort, ce n’est pas en faveur de l’honnête travailleur. Rétablir l’ordre dans les quartiers, on a réussi à peu près partout», se vante-t-il. L’un des moyens d’y arriver : l’installation de caméras dans les rues. Surtout, Vincent Jeanbrun compare la situation actuelle avec ce dont il se souvient enfant. «Un gars vendait du shit en bas de l’immeuble, mais il disait bonjour aux mamans et il leur tenait la porte. Il y avait de la débrouille, de l’entraide, on était tous dans la même galère. De l’espoir aussi, on voulait s’en sortir. Cet espoir n’existe plus aujourd’hui. Les gens sont résignés.» Il se dit vigilant dans ses prises de parole «à ne pas stigmatiser tout le monde. Il se passe aussi des choses fabuleuses ici».

D’un père chauffeur-livreur et d’une mère au foyer née en Italie, il a grandi dans ces fameuses tours marron hautes comme des champignons. Ses voyages réguliers de l’autre côté des Alpes, où vit une partie de sa famille côté maternel, lui font entrevoir un autre monde, loin du quotidien morne du quartier. «Au bout d’un moment, j’ai arrêté de raconter à mes cousins que je vivais ici, raconte Jeanbrun. Ils ne me croyaient pas. Les voitures ouvertes avec un cintre, les combats de chiens dans la rue… C’était impensable pour eux.» Bon élève à l’école, il se fait élire chaque année délégué de classe. «Jusqu’à la fin de la première, je me suis baladé sans effort», explique-t-il. Une performance qu’il doit à des parents soucieux de le voir réussir. «Mon père m’a donné le goût de la lecture. C’est le plus beau cadeau qu’il m’ait fait après la vie.» Il y a un principe auquel il s’est accroché toute sa jeunesse : «Le quartier, on y est attaché mais le but, c’est d’en sortir.» Après des études en classe prépa et en école de commerce, il dirige une association d’insertion professionnelle.

La politique, devenue sa seule activité aujourd’hui, vient après. A la maison, le sujet n’est pas abordé, les parents sont peu politisés. Le séisme du 21 avril 2002 agira comme un électrochoc pour celui qui organise une grande marche pour s’opposer à la présence de l’extrême droite au second tour de la présidentielle. «Le Pen serre les fesses, on arrive à toute vitesse !», hurle le lycéen. Friand d’émissions politiques depuis tout gamin , il prend sa carte à l’UMP en 2004. Aujourd’hui, porte-parole des Républicains, il est proche de Valérie Pécresse, dont il a été l’assistant à l’Assemblée nationale. Elu au conseil régional d’Ile-de-France, il la côtoie au quotidien. «Il fait parfois de la politique politicienne, et ça n’est pas utile, regrette Jonathan Kienzlen, président du groupe socialiste à la région. Une sorte de macronisme de droite bon teint qui instrumentalise, dès qu’il le peut, les antagonismes avec LFI.»

Sa figure tutélaire demeure pourtant Jacques Chirac, héraut à ses yeux d’une «droite ouverte, généreuse, populaire». Il résume : «Pas de distance, pas de mépris de classe, il était au contact.» Vincent Jeanbrun cite aussi Nicolas Sarkozy, avec lequel il «grandit politiquement». «J’ai aimé le Sarko qui parlait vrai, tout son début de mandat m’a inspiré. C’était le seul à parler d’innovation et de start-up.» Il jure s’être «moins reconnu dans la période Buisson», du nom de ce théoricien de l’union des droites, proche de courants maurrassiens dans sa jeunesse. Vincent Jeanbrun s’arrête soudainement de parler, nous plante son regard bleu océan droit dans les yeux et lâche : «Ça fait deux heures qu’on parle, ça fait un bien fou. Vous facturez combien la séance, monsieur le psychologue ?»

5 mai 1984 Naissance à Paris.
Mars 2014 Elu maire de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne).
1er Juillet 2023 Attaque de son domicile.

par Marc Doineau