La Haggadah qui survécut à l’Inquisition, l’Holocauste et au siège de Sarajevo

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La Haggadah est un texte, aux versions infinies, lu à haute voix durant le rituel de la Seder, à l’occasion de Pessah. Les participants, autour d’une table, se racontent le récit vétérotestamentaire de l’Exode. L’un des plus anciens exemplaires qui nous est parvenu est La Haggadah de Sarajevo. Le manuscrit enluminé du XIVe siècle a miraculeusement traversé le temps, survivant à certains des plus terribles épisodes de l’Histoire européenne.

La Haggadah de Sarajevo est écrite à la main sur du cuir de veau blanchi, enluminé de cuivre et d’or. Elle comprend 142 feuilles de parchemin. Les 34 premiers présentent 69 miniatures de scènes clés de la Bible : de la Genèse à la mort de Moïse. Les quatre dernières n’ont en revanche pas de caractère biblique.

Les 50 feuillets suivants contiennent le texte de la Haggadah en hébreu, en écriture carrée médiévale de type espagnol, nous apprend Leora Bromberg, de la bibliothèque de livres rares Thomas Fisher de l’Université de Toronto.

Une ultime partie, ajoutée plus tard, propose des poèmes des Xe-XIIIe siècles, des auteurs Yehudah HaLevi, Yitzhak ben Yehudah ibn Ghiyyath HaLevi ou encore Salomon ibn Gabirol. Façonnée vers 1350 à Barcelone, la Haggadah porte les armoiries de deux familles éminentes de cette époque, mais sa provenance n’est pas précisément identifiée.

Aussi précieux que cet ouvrage fut pour ses propriétaires, les haggadahs sont avant tout destinées à un contexte festif, cotoyées, sur de grandes tablées, par de la nourriture et des boissons. La Haggadah de Sarajevo ne fait exception : pour preuve, les taches d’aliments et de vin rouge marquant ses pages…

Une histoire qui suit celle des juifs d’Europe

La première péripétie dans l’existence de ce manuscrit liturgique s’apparente au décret de l’Alhambra de 1492, qui provoqua l’expulsion des Juifs d’Espagne : un de ces infortunés fit sortir clandestinement le précieux volume. Un périple nimbé de mystères.

Il traverse l’époque médiévale en survivant à l’Inquisition : une note de 1609 retrouvée sur une des pages rappelle qu’aucun passage n’est susceptible de déranger l’Église.

D’autres notes des XVI-XVIIe siècles le situent dans le nord de l’Italie. Là encore, aucune mention d’un quelconque propriétaire. Au XIXe siècle, un certain Joseph Kohen le vend au Musée national de Sarajevo en 1894, d’où sa dénomination. On sait qu’il fut par la suite envoyé à Vienne où sa reliure médiévale est remplacée.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il échappe de justesse à la confiscation par le IIIe Reich des manuscrits précieux du Musée national de Sarajevo : son bibliothécaire en chef, le musulman Dervis Korkut, cacha la Haggadah dans ses vêtements ; et d’expliquer au haut fonctionnaire nazi missionné, Johann Fortner, qu’un autre officier allemand l’avait déjà récupéré…

Miracles à Sarajevo

Plusieurs récits racontent des versions différentes de la suite de l’histoire : soit Korkut l’aurait caché sous le plancher de sa maison, enterré sous un arbre, confié à un imam dans un village éloigné, ou encore dissimulé sur une étagère de la bibliothèque du musée. En tout cas, il réapparait finalement en 1945.

Les tribulations du manuscrit ne sont pas terminées : l’institution de la capitale bosniaque est saccagée à l’occasion du siège de Sarajevo de 1992. Les voleurs n’emportent par la Haggadah, l’estimant de peu de valeur… Déplacée dans un coffre-fort souterrain, elle survit, intacte, aux bombardements.

La Yougoslavie éclatée, le président de Bosnie remet la Haggadah aux dirigeants de la communauté juive lors d’un Seder en 1995. Peu après, l’un de ces responsables demande un soutien des Nations Unies, afin de la restaurer, mais aussi de lui offrir un cadre sécurisé et correctement climatisé à l’intérieur du musée de la capitale de Bosnie.

Il est aujourd’hui exposé à de rares occasions, comme «preuve physique de l’ouverture d’une société dans laquelle la peur de l’Autre n’a jamais été une maladie incurable ». Un certain nombre de fac-similés du document ont également été produits.

De son côté, l’UNESCO a ajouté le document à son Registre de la Mémoire du monde en 2017, « louant le courage du peuple qui, même dans les moments les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale, a apprécié son importance pour le patrimoine juif, ainsi que son incarnation de la diversité et de l’harmonie interculturelle ».

Le Prix Pulitzer 1995, Geraldine Brooks, offrit une place centrale à ce manuscrit et son histoire si romanesque, dans l’une de ces fictions, Le livre d’Hanna (trad. Anne Rabinovitch), paru chez Belfond en 2008.

Hocine Bouhadjera

Source actualitte