André Bercoff, le complotisme à micro ouvert

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Sur Sud Radio, le journaliste de 82 ans, proche de la mitterrandie et désormais converti aux thèses radicales, accueille sans contradictions les invités de l’extrême droite et de la complosphère.

Ici, Renaud Camus peut déblatérer pendant de longues minutes sur le pseudo «grand remplacement» ; le climatosceptique Christian Gérondeau assurer que «la température de la terre baisse» ; le désinformateur venu de l’extrême droite et complotiste pro-russe Slobodan Despot affirmer sans contradiction que c’est «l’Occident» qui fait la guerre à la Russie en Ukraine… Bienvenue chez André Bercoff qui, sur Sud Radio depuis 2016 du lundi au vendredi de 12 h 30 à 14 heures, déroule le tapis rouge à toutes les obsessions de l’extrême droite et de la complosphère. Ses invités en disent long sur la trajectoire de cette figure qui, à 82 ans, tire les audiences de la radio populiste du milliardaire Christian Latouche.

«Il sait très bien ce qu’il fait», glisse un collaborateur de Sud Radio qui précise qu’il «aime beaucoup André», mais exige néanmoins l’anonymat, comme la quasi-totalité nos interlocuteurs sur ce sujet. Tous racontent le même «jouisseur» adepte des palaces, des bons repas, du bon vin. Un octogénaire qui aime faire la fête et jouit de sa notoriété retrouvée, lui l’ancienne étoile du journalisme passé par l’ExpressLibéle Nouvel Observateur et le Monde, avant PlayboyLui et Valeurs Actuelles. Fut un temps où Bercoff, «grande gueule intello-poujadiste» comme l’écrivait le Monde en 2017 était de gauche. Gosse de Beyrouth, fils de bolchevik, proche de la bande d’Hara-Kiri, proche de la mitterrandie. Assez pour monter, avec un certain François Hollande, cet étonnant coup fourré : publier sous pseudo un livre attribué à un ponte de la droite en guerre contre son camp. Bercoff ? Un «ami de quarante ans», dit aussi Jacques Attali à l’Express, tout en assurant désormais «combattre [ses] idées».

«Jean-Marie Trump»

Car André Bercoff a tourné casaque, plus brutalement que d’autres figures ayant progressivement glissé de la gauche à la droite dure. Disparu un peu des radars politiques, il réapparaît en 2007 auprès d’un Sarkozy en campagne. Surtout, à partir des années 2010, il fréquente un Robert Ménard déjà d’extrême droite, les ultra-islamophobes Pierre Cassen et Christine Tasin, ou encore Fabrice Robert, leader du Bloc identitaire (dont le groupe aujourd’hui dissous Génération identitaire était le mouvement de jeunesse). En 2015, il signe pour Valeurs Actuelles une complaisante interview de Bachar al-Assad ; et en 2016, de Donald Trump – «ce qui nous manque en France c’est Jean-Marie Trump !» dira-t-il. A la même époque, il continue à s’exprimer sur des sites de la fachosphère comme Riposte laïque ou la webtélé identitaire TV Libertés. Depuis quelques semaines, il officie sur Omerta, le média pro-russe dirigé par Régis Le Sommier, ancien journaliste de Paris Match connecté avec l’extrême droite.

En 2018, Bercoff se lance dans une aventure «déjà profondément complotiste», résume un collègue : dévoiler la soi-disant «affaire» Mamoudou Gassama, du nom de ce jeune sans-papiers malien qui a sauvé de la mort un enfant suspendu à son balcon, en escaladant la façade de l’immeuble. La France s’enthousiasme pour cet acte de bravoure, récompensé par Emmanuel Macron d’une décoration et d’une naturalisation. Seul Bercoff remet en cause cette «version officielle», dédiant une émission entière à la supposée «supercherie». Ses intervenants s’accordent pour dire qu’«autre chose» se joue dans l’histoire : «Redorer le blason de je ne sais qui.»

Complotiste, André Bercoff ? L’homme a refusé de répondre à Libération. Ailleurs, il a nié le qualificatif, tout comme il conteste se rattacher à l’extrême droite. Pourtant les représentants des deux milieux (qui peuvent se confondre) trustent son émission. Depuis le 1er mars, les rares émissions qui n’ont pas vu intervenir l’un d’eux se concentrent sur la semaine du 13 au 17 mars… durant laquelle Bercoff était remplacé au micro. Contactée, l’Arcom confirme avoir lancé deux procédures contre Sud Radio ces dernières années, les deux relatives à des émissions de Bercoff : l’une suite à des «déclarations orientées délivrées à l’antenne, sans véritable contradiction» lors de séquences consacrées à la guerre en Ukraine diffusées les 10 mai et 29 juin 2022 ; l’autre, une mise en demeure, après que Bercoff a laissé Renaud Camus dérouler son discours raciste sur le pseudo «grand remplacement» en mars 2022, toujours sans contradiction et même «en approuvant une partie des propos tenus».

«Le diable de Sud Radio»

«André Bercoff, il est anticonformiste, c’est un poil à gratter, il apporte de la contradiction par rapport à un discours ambiant mainstream», balaie le directeur général de la radio, Patrick Roger. Circulez, il n’y a rien à voir. Des collègues sont plus sévères. «André Bercoff est un peu la star et le diable de Sud Radio, glisse une figure de l’antenne toujours sous couvert d’anonymat. Il fait de l’audience mais nous sommes nombreux à souffrir de ses pratiques. Il éclabousse l’image de la radio.» Si tous décrivent un «type sympa» et «cultivé», beaucoup le disent «capable de piquer d’énormes colères». On rapporte cette scène remontant à l’été dernier, peu avant l’arrivée à Sud Radio d’une autre vedette, Jean-Jacques Bourdin : «La direction a réuni tout le monde pour faire l’annonce et se féliciter de l’arrivée de quelqu’un qui allait booster les audiences. Vexé, André est parti.»

A Sud Radio, résume une autre source interne, «80 % des gens ne sont pas d’accord avec ce qu’il fait… mais c’est lui qui fait de l’audience. En télé ou à la radio on fait des choses bien ou des choses qui marchent, lui veut faire des choses qui marchent.» Et puis «il ne fait pas de l’information, son émission relève plutôt de ces talk-shows américains de libre antenne polémique». Son programme, où il prétend décrypter l’actualité, se pare pourtant des atours de l’information. Lui-même est régulièrement décrit comme journaliste, ce qu’il se garde bien de nier. D’ailleurs, après avoir été mis en cause par Jean-Jacques Bourdin lui-même pour ses pratiques à l’antenne, Bercoff, piqué au vif, a répondu par un édito invoquant la «contradiction», un des piliers de la méthode journalistique.

«Tout est permis»

Ce principe est pourtant absent de ses émissions, «alors que ses invités n’ont pas l’expertise qu’ils prétendent partager», dénonce un chercheur spécialiste des médias qui a tenu à rester anonyme. Pour se protéger : «Toute critique de Bercoff provoque souvent une vague de centaines, voire de milliers de messages d’insultes ou de dénigrement sur les réseaux sociaux», déplore-t-il. «C’est ironique de la part des fans d’un homme qui s’érige en défenseur de la liberté d’expression.»

Cette communauté est devenue «la clientèle» de Bercoff, dénoncent ses collègues interrogés. «Quand il passe à l’antenne, il enfile son habit de lumière.» Pour lui complaire, joue-t-il un rôle ? «Il se veut proche du peuple mais il fréquente les palaces, il invite des personnalités antivax mais lui-même est vacciné trois fois ! persifle un employé de Sud Radio. Pour lui, au nom de l’audience tout est permis.» Un de ses collègues juge «criminelle» sa participation à la diffusion du covido-complotisme pendant la pandémie. Mais «si les gens sont dérangés, personne ne les oblige à écouter, rétorque une autre de nos sources. Alexandra Henrion-Caude [complotiste qu’il a invitée début mars, ndlr] est en tête des ventes de livres et André ne devrait pas l’inviter ? On a vu ce que ça a donné, d’ostraciser l’extrême droite». Drôle d’argument pour s’autoriser, désormais, à ne plus faire parler qu’elle.

par Maxime Macé et Pierre Plottu