En Israël, le succès des petits vignerons fait des émules

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Ces dernières années, la production viticole a connu une forte montée en gamme dans le pays. Sur les hauteurs de Jérusalem, la première appellation « Judean Hills », collines de Judée, a vu le jour en 2022.

Le vin en Israël est une histoire très ancienne, certes, mais chaotique, avec de longues périodes de léthargie et des sursauts, liés au passé complexe et aux conflits successifs des dernières décennies. Si on trouve, comme dans le Liban voisin, des traces de production bien avant notre ère, comme en attestent des ruines de pressoirs de plus de 2 000 ans, l’arrivée de l’islam en Palestine a fait dormir la vigne pendant des siècles.

Et s’il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour voir le vignoble se structurer sur l’impulsion du baron James de Rothschild (1792-1868), cet élan est vite anéanti par le phylloxéra. Un rebond survient dans les années 1950 avec l’installation de viticulteurs d’Europe, imposant quelques grosses structures viticoles. Dernière étape, l’arrivée de petits domaines, d’abord à la fin des années 1980, puis surtout au tournant de l’année 2000, qui ont renouvelé la vigne.

Cette histoire donne un paysage viticole contrasté. D’un côté un « top cinq » des entreprises viticoles – Carmel, Barkan, Golan Heights, Teperberg et Binyamina –, qui accaparent 80 % de la production. De l’autre, quelque 300 domaines, pour beaucoup créés il y a à peine vingt ou trente ans. La production est à l’échelle d’un pays grand comme deux fois l’Ile-de-France : 8 000 hectares et 40 millions de bouteilles par an – la France en produit largement cent fois plus.

Le vignoble fuit les plaines chaudes aux sols secs pour les collines en altitude, en quête de températures fraîches. La majeure partie des vignes se trouvent dans le nord du pays, près de la frontière libanaise, où les hautes terres de Galilée sont balayées par les brises du mont Hermon. Pas loin, le plateau du Golan (territoire syrien occupé par Israël en 1967 et illégalement annexé en 1981) et ses montagnes riches en eau abritent quelques centaines d’hectares. Il existe aussi une poignée de domaines dans le sud, dans la région du Néguev, du moins là où la terre se situe entre 500 et 1 000 mètres d’altitude. Ceux-ci ont, en 2022, demandé une appellation afin de faire reconnaître la spécificité de leurs crus.

Et puis il y a les hauteurs de Jérusalem, au centre du pays. C’est là que se situe le foyer de la renaissance du vin en Israël. Tel un symbole, ses producteurs ont obtenu, en août 2020, la première appellation officielle du pays, Judean Hills (« collines de Judée »). On y trouve des vignerons passionnés à la tête de caves particulières de taille modeste, mais dont certaines ont acquis une aura internationale.

Le label casher incontournable

Parmi les pionniers du renouveau, Eli Ben Zaken, l’œil vif, cheveux blancs et barbe de patriarche, représente la figure de proue de cette aventure viticole avec son Domaine du Castel, planté sur une colline proche de Jérusalem. Un livre tout frais sorti en février lui est consacré, Domaine du Castel. The Biography (en anglais, non traduit) dans lequel le journaliste Adam S. Montefiore retrace l’épopée d’un vigneron et de sa propriété qui contribuent à la reconnaissance par-delà les frontières israéliennes.

Au début de ce printemps, comme il le fait régulièrement, Eli Ben Zaken déguste son millésime 2022, dont l’élevage est en cours dans des centaines de fûts de chêne français. Mais, contrairement aux vignerons ailleurs dans le monde, il n’a pas le droit de plonger sa pipette dans chaque barrique pour en goûter le contenu. Produisant du vin casher sans être religieux, il doit recourir à un homme habilité pour toute manipulation du vin – vinification, assemblage, dégustation… Ce qui ne l’empêche pas de couver son vin.

Au début de son aventure, en 1992, Eli Ben Zaken ne faisait pas certifier sa production casher. Il a changé d’avis après avoir vite constaté que c’était « indispensable » pour vendre les bouteilles. « On s’habitue aux conditions du vin casher », raconte, magnanime, le vigneron de 77 ans. Il ajoute néanmoins : « Etre casher n’est plus forcément obligatoire aujourd’hui car notre production commence à être reconnue pour sa qualité intrinsèque. »

La réputation du Domaine du Castel, qui produit plus de 400 000 bouteilles par an et qui est désormais géré par les enfants d’Eli Ben Zaken, a en effet passé les frontières d’Israël. Serena Sutcliffe, à la tête du département vins de Sotheby’s, à Londres, fut la première, en 1995, à s’enthousiasmer pour cette propriété et il est fréquent que ses crus reçoivent des notes supérieures à 90 sur 100 par la critique anglo-saxonne.

« Elaborer des vins qu’on aime »

L’autre vigneron phare des hauteurs de Jérusalem a pour nom Eran Pick, à la tête du Domaine Tzora. Il est le premier Israélien – le seul pour le moment – à avoir obtenu, en 2016, le titre de Master of Wine, diplôme britannique non universitaire mais très sélectif. Il explique sa philosophie : « On recherche davantage à exprimer notre terroir plutôt qu’un cépage, aussi nous ne faisons que des assemblages. Nous avons besoin de voir ce qui est bon pour nous, sans copier les autres vignobles. Ce qui est important est d’élaborer des vins qu’on aime, plus que de prouver qu’on est de bons techniciens. »

Les mots d’Eran Pick disent le pragmatisme et la modestie d’un œnologue formé en Californie et grand connaisseur des vins du monde. Aussi, ses 20 hectares ont-ils été savamment plantés, répartis en plusieurs parcelles orientées volontairement vers le nord, en pente, situées entre 500 et 700 mètres d’altitude. Comme toutes les vignes du pays, elles sont irriguées selon une gestion de l’eau exemplaire, grâce à la récupération des eaux pluviales et du recyclage des eaux usées.

Stimulées par la réussite des domaines du Castel et de Tzora, de nombreuses wineries ont fleuri en Israël à partir des années 1990. Elles sont une quarantaine aujourd’hui, animées par des vignerons souvent jeunes, formés aux Etats-Unis, en Italie ou en France, portant des idées novatrices et un savoir-faire précis, tirant le meilleur du climat méditerranéen. Ces propriétés produisent souvent moins de 100 000 bouteilles par an. C’est peu, mais assez pour donner une identité à un terroir et faire reconnaître l’appellation judean hills.

A la recherche d’une identité propre

Cette victoire des petits producteurs des collines de Jérusalem fait des émules ailleurs dans le pays. Pour le moment, les cépages plantés un peu partout sont internationaux, choisis en fonction des terres et des goûts des vignerons. Ainsi, Doron Rav Hon, qui s’est formé au lycée viticole de Beaune (Côte-d’Or), en Bourgogne, ne plante que du blanc bien connu ailleurs – chardonnay, sauvignon, chenin et rieslings.

Yair Haidu est un tout autre visage, et tout aussi important, du vin en Israël. A 40 ans, ce grand expert a créé, en 2020, à Tel-Aviv, la société Cheers, qui propose, entre autres, des expériences gustatives et culturelles. Il contribue, à sa façon, à transmettre la culture du vin à des Israéliens toujours plus demandeurs – la consommation moyenne est passée de 3 litres par an, dans les années 1980, à 7 litres par an aujourd’hui.

Selon Yair Haidu, l’enjeu pour les vignerons est de trouver, pour leurs crus, une identité propre, distincte de celles des vins d’autres pays. « Après les années 2000 marquées par la formation et l’éducation à la viticulture internationale, les années 2010 qui furent celles de la redécouverte de l’identité méditerranéenne des vins, s’ouvrent les années 2020 dont l’ambition est de trouver les terroirs et les cépages qui s’y adapteront le mieux afin d’élaborer des vins de plus en plus authentiques et personnels. »

Quatre cuvées pour découvrir les vins israéliens

Israël exporte à peine 14 % de ses vins, et la France figure en troisième place des pays destinataires après les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Majoritairement cantonnée au réseau d’enseignes casher, leur distribution est en train de s’élargir. Voici quelques vins « stars » et représentatifs de domaines récents (ils sont classés par ordre chronologique), que l’on peut acheter sur Internet.

Domaine du Castel, judean hills, « Grand Vin », rouge, 2020

Créé en 1992, le Domaine du Castel, pionnier de la viticulture contemporaine en Israël, s’est inspiré du bordeaux dans sa conception. C’est un style élégant, concentré et complexe que l’on retrouve dans ce « Grand Vin » issu de cépages girondins, cabernet sauvignon en tête, assemblé à du malbec, merlot et petit verdot. Mêlé de notes de fruits rouges et d’épices, l’ensemble, élevé pendant plus d’un an et demi, est gracieux, bien que très jeune. 84,90 €. Yavine.fr

Tzora Vineyards, judean hills, « Misty Hills », rouge, 2018

Créé en 1993, un an après le Domaine du Castel, Tzora Vineyards est désormais dirigé par Eran Pick, le seul Master of Wine d’Israël. Porte-drapeau du domaine, cette cuvée parcellaire « Misty Hills » est produite à partir de sa meilleure vigne qui se distingue par une présence remarquable de fossiles. En bouche s’exhalent des notes poivrées et épicées très expressives, dans une texture charnue, voire sensuelle. Un vin magnifique. 89,99 €. Mesvinscacher.com

Domaine Flam, « Classico », rouge, 2021

Fondé en 1998, le domaine Flam est familial, créé par les parents et repris par les deux enfants, Golan et Gilad. D’une grande personnalité, cette cuvée ne cache pas son inspiration italienne. Et pour cause, Golan, l’œnologue de la maison, a étudié, entre autres, dans la région du Chianti. Ses notes de petits fruits rouges et noirs se révèlent d’une gourmandise délicieuse, sans aucune lourdeur. Son allonge généreuse est remarquable. 32 €. Anavim.fr

Domaine Sphera, chardonnay, « White Concepts », blanc, 2021

Créé, en 2012, par Doron Rav Hon, ce domaine ne produit que du blanc. Comme les vins ne sont pas casher, le domaine peut ouvrir ses portes le samedi, jour de shabbat. Grâce à sa proposition de dégustation accompagnée d’une assiette de fromage, ainsi qu’à sa situation proche de Tel-Aviv, le domaine commercialise 45 % de sa production sur place. Très inspiré par le savoir-faire de la Bourgogne, où il a appris à faire du vin, le vigneron produit un chardonnay très raffiné, élégant, aux notes de fleurs blanches qui évoluent sur une texture dentelée. Nous conseillons aussi sa cuvée effervescente qui n’a rien à envier aux champagnes 27,07 €. Vivino.com