Israël : 40 élus français ont fait un voyage sur fond de tensions politiques

Abonnez-vous à la newsletter

Le Consistoire israélite a embarqué 40 politiques français pour une visite en Israël qui ne s’est pas déroulé sans embûche.

Il y a le maire, Salim Jaber, Arabe musulman, qui vante sa municipalité, Abou Gosh, « ville de paix et de coexistence » : « Nous ne sommes pas des cousins, mais des frères au niveau de nos croyances », dit-il. Il y a le père bénédictin Louis-Marie ­Coudray, résident du monastère Sainte-Marie-de la-Résurrection, installé ici depuis 1900, qui s’insurge contre « tous les discours qui parlent d’apartheid » à propos de l’État hébreu. Et il y a Élie Korchia, président du Consistoire israélite de France, principale institution religieuse des juifs de l’Hexagone, qui pointe lui aussi le « mensonge éhonté selon lequel l’État d’Israël peut se comporter comme un régime d’apartheid ». Dans son viseur : la proposition de loi déposée en juillet par 38 députés Insoumis, communistes et écologistes assimilant Israël à un « régime d’apartheid ». Et, plus largement, les prises de position de la gauche radicale à l’égard d’Israël : « Ce que nous vivons aujourd’hui est la démonstration que ce message est sans fondement », conclut-il.

Les trois hommes étaient réunis mardi, dans le gymnase de cette ville arabe, pour l’une des étapes de la convention organisée en Israël par le Consistoire : 170 dirigeants de communautés venus de tout le pays, accompagnés de 40 élus – députés, sénateur, maire et conseillers départementaux ou régionaux, pour la plupart venus de territoires où réside une importante communauté – pour un voyage pédagogique, du mémorial Yad Vashem au Centre Peres pour la paix et l’innovation de Tel-Aviv, du mur des ­Lamentations au site archéologique de Bet Guvrin. « Il était important d’être accompagnés des élus, explique Élie Korchia. Quand on parle d’anti­sionisme, on ne peut pas se contenter de marteler que c’est le nouveau visage de l’antisémitisme. » La preuve par l’exemple, donc. Et ce matin-là, ce moment de coexistence œcuménique a porté ses fruits. Le maire (LR) du 17e arrondissement, Geoffroy Boulard, en témoigne : « Il y a un grand écart entre la vision très simpliste d’Israël que nous avons en France et la réalité. Il faut venir ici pour vivre ces moments. »

Israël, régime apartheid ?

« L’objectif premier est de nous réunir, avait posé Élie Korchia lors de la soirée d’ouverture. Nous sommes dans une période où tout divise, en France comme en Israël.» Étonnant parallélisme des formes : les deux pays ont en commun une situation politique extrêmement tendue, entre une réforme très majoritairement impopulaire, un gouvernement qui passe en force et une mobilisation de la population. Importante en France, contre la réforme des retraites. Inédite en Israël, où le gouvernement de ­Benyamin Netanyahou, le plus à droite de l’Histoire, s’apprête à mettre fin à l’indépendance de la Cour suprême et affronte des manifestations massives. Tout au long du voyage, les élus français, à distance, ont surveillé comme le lait sur le feu les développements de la bataille des retraites. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui devait faire le déplacement, a d’ailleurs dû annuler sa venue.

À Jérusalem, le maire de la ville, Moshe Lion, s’était montré lénifiant : « Ne croyez pas qu’en Israël il y a des conflits entre droite et gauche ; bientôt, le peuple sera réuni », a-t‑il assuré. Non sans moquer au passage les tombereaux d’ordures qui s’amoncellent à Paris… Des politiques français de droite l’entourent pour la photo. Pas ceux de gauche : les choix politiques du maire, soutenu par les orthodoxes, ne sont pas de leur goût. « Ce n’est pas un grand démocrate », tacle un élu. Premier adjoint d’Anne Hidalgo à Paris, Emmanuel Grégoire avait préféré participer, la veille, à une manifestation contre le gouvernement Netanyahou au côté du maire de Tel-Aviv. S’il dit nourrir « beaucoup de sympathie pour l’ancrage républicain de la communauté juive de France », l’élu socialiste entend aussi « discuter sans tabou de la situation politique en Israël, perturbante et dans une grande confusion ».

Sur le fond, tous sont d’accord : Israël n’est en rien comparable au régime discriminatoire qu’a connu l’Afrique du Sud. Michaël ­Delafosse, maire PS de ­Montpellier : « On aimerait tous que le processus de paix soit actif, mais on ne rend pas service à ses partisans en employant ces termes. » Philippe Goujon, maire (LR) du 15e arrondissement de Paris : « Ça contribue à la discorde nationale, ça dégrade le ciment entre les citoyens. » Constance Le Grip, députée ­Renaissance : « C’est extrêmement toxique pour la société française. Ça peut engendrer des actes antisémites violents, c’est un poison. » Mais, pas plus que des représentants du Rassemblement national, aucun élu Insoumis n’a été invité par le ­Consistoire. «  Ce sont eux qu’on aurait dû emmener, pour qu’ils viennent ici au lieu de hurler  », estime le grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui, après la proposition de loi de juillet, s’en était directement ému auprès du secrétaire national du PCF, Fabien Roussel.

Un incident diplomatique

«Vous aussi, vous avez des gens dans la rue ! » Boaz Bismuth, député du Likoud (droite), est passé par la place de la Concorde, à Paris, quelques jours avant. Il l’assure : « Vous avez quelque chose en commun avec nous ! » Et d’asséner, visant l’opposition israélienne : « Ceux qui nous accusent d’aller vers une dictature n’acceptent la démocratie qu’à une seule condition : qu’ils gagnent ! » Dans un amphithéâtre de la ­Knesset, la tempétueuse Assemblée nationale, les prises de parole des élus israéliens se succèdent devant la délégation française studieuse. Jusqu’à ce que deux membres du gouvernement provoquent un incident diplomatique : Ofir Sofer, ministre (Parti sioniste religieux, extrême droite) de l’Immigration et de l’Intégration, et Amichai Chikli, ministre (Likoud) des Affaires de la diaspora, lancent un vibrant appel aux 400 000 juifs de France à faire l’Alyah, et à s’installer dans le pays. La Hatikvah, l’hymne israélien, retentit. Comme un seul homme, élus et représentants du Consistoire se lèvent et répliquent en entonnant une vibrante Marseillaise.

Après coup, les Français ne décolèrent pas. « Ce sont des goujats absolus, s’agace un rabbin français. Ils ne nous ont même pas proposé de chanter notre hymne national. » Dans son « discours de dirigeant français, fier et heureux d’être en France », Élie ­Korchia a tenu à remettre fermement les pendules à l’heure : « La communauté juive est attachée à son pays, où nous continuerons à bâtir pour nos enfants et nos petits-enfants. » Les élus français, eux, digèrent mal. « Ça me blesse et ça m’agace », dit Emmanuel Grégoire. « J’ai été choqué, appuie Michaël Delafosse. Ce n’est pas possible. »

La veille, en visite à Paris, le ministre israélien des Finances (extrême droite), Bezalel Smotrich, avait suscité un tollé en déclarant : « Il n’y a pas de Palestiniens, il y a juste des Arabes. » Propos « indignes » et « irresponsables » pour le Quai d’Orsay. Et contre-productifs au vu du message qu’entend faire passer le Consistoire. «  C’est d’autant plus préoccupant que cela trouve un écho dans un certain nombre de partis, chez nous, qui disent : regardez, nous avions raison, le gouvernement israélien opprime le peuple palestinien », déplore Arnaud Ngatcha, adjoint à la maire de Paris chargé des relations internationales.

« C’est un pays qui a besoin de compromis et qui a du mal à le trouver », résume, diplomate, Élie Korchia. La formule pourrait s’appliquer à la France… Tout comme celle ­d’Emmanuel Grégoire : « Il existe une forme de cécité faite dans les bulles autour du pouvoir. » France, Israël, mêmes combats ? La ressemblance s’arrête là, selon un diplomate français : « Les enjeux sont différents : en Israël, la réforme de la Cour suprême modifie fondamentalement le pays. » Jeudi, jour de mobilisation en France, la fin du programme a été écourtée pour permettre à la délégation de repartir, alors que la route vers l’aéroport était bloquée par des protestataires désireux d’empêcher Benyamin Netanyahou de décoller pour Londres et que des manifestations se déroulaient dans plusieurs endroits de Tel-Aviv et du pays.

David Revault d’Allonnes

Source lejdd