Il n’y a rien d’optimiste pour l’avenir des juifs en Belgique, par Yana Grinshpun

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L’universitaire, membre du Réseau de recherche contre le racisme et l’antisémitisme, dénonce le sort des juifs belges, pris entre l’islamisme, le rexisme et le silence des institutions.

Il y a quelque temps, j’ai été contactée, en ma qualité de membre du réseau RRA (Réseau de recherche contre le racisme et l’antisémitisme), par Fadila Maaroufi, co-fondatrice du Café Laïque à Bruxelles, pratiquement la seule personne publique en Belgique qui combat l’islam radical et la haine antijuive et qui mène ce combat au risque de sa vie. Mme Maaroufi m’a fourni les témoignages de plusieurs familles juives belges, qui, abandonnées par les institutions, ignorées par les médias, réduites au silence par le consensus politique, se sont tournées vers elle pour trouver du réconfort mais aussi un refuge au sein de son établissement, d’ores et déjà visé par les intégristes de tout bord. Cela serait cocasse si ce n’était pas tragique.

J’ai eu l’occasion de recueillir directement les témoignages de ces familles. Leurs récits, étayés par les documents officiels des institutions qui les abandonnent ouvertement, ne présagent rien d’optimiste pour l’avenir des juifs en Belgique, mais aussi pour le sort d’agnostiques, d’athées et autres laïcs qui n’osent plus ouvrir la bouche de peur de perdre leur travail, de rester sans revenus et de faire objet de campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux de la part d’islamistes et de leurs alliés d’extrême gauche. Force est d’ajouter que les juifs demeurent toujours la cible de l’extrême droite belge qui semble n’avoir rien renié de ses traditions rexistes (le rexisme est un mouvement politique d’inspiration catholique, fondé par Léon Degrelle, qui s’est allié avec le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale).

Le constat des spécialistes est sans appel au sujet des institutions belges et leur déni total de l’antisémitisme. Selon l’étude menée par les universitaires belges Joël Kotek et Joël Tournemenne pour la Fondation Jean-Jaurès : « En Belgique, aucune étude scientifique n’a été menée sur la question de l’antisémitisme en milieu scolaire. Il est vrai que cette question est depuis 1945 un angle mort en Belgique. Le sujet ne divise pas, il est tout simplement passé sous silence, tant par le monde politique que médiatique et académique. La tuerie qui a frappé le Musée juif de Bruxelles en 2014 n’a rien changé, elle n’a provoqué aucune prise de conscience particulière. Pourtant, les responsables politiques comme les journalistes savent qu’à ce jour seuls les lieux spécifiquement juifs – y compris les crèches, les écoles et les mouvements de jeunesse – sont l’objet d’une surveillance militaire quotidienne et que des élèves supposés juifs ont été l’objet de harcèlement ». L’unique média belge qui s’est fait l’écho de cette étude est  La Libre . En 2018, Yohan Benizri, le président du Comité de coordination des organisations juives en Belgique a dénoncé non seulement le déni, mais le « refus explicite de dénoncer l’antisémitisme ».

À titre d’exemple, voici deux cas significatifs. Claude (1), un garçon juif, athée, parle de ses origines dans l’école catholique où il suit sa scolarité. Il devient immédiatement la cible des attaques antisémites de certains de ses camarades. En le voyant, ils demandent « alors ça gaze? », font le salut nazi lorsqu’ils le croisent, diffusent des chants nazis sur les smartphones dans la cour de l’école. Au lieu de dire « Degrelle (2) sors de cette cour! » l’établissement scolaire catholique « recommande » aux parents de « changer d’école » dans « l’intérêt de l’élève ». Précisons que l’école s’est déclarée « inclusive », mais manifestement dans le style de Saint Paul avant Vatican II, c’est-à-dire pour tous, sauf pour les juifs.

Les parents de Claude trouvent une école non-confessionnelle dans un beau quartier de Bruxelles, où la mixité sociale est garantie. Et le calvaire recommence, mais cette fois-ci les divertissements antisémites prennent une allure désormais familière, plus familière que celle de l’extrême droite. Dans cette nouvelle école non-confessionnelle, la grosse majorité des élèves est d’obédience musulmane. Dès que les élèves apprennent que Claude est juif, « le sale juif » lui est collé à la peau tout de suite. Les parents se plaignent, Claude aussi, mais l’école doit considérer que c’est une expression normale. Après tout, la très savante sociologue indigéniste française, Nacira Guénif a déjà expliqué publiquement que « espèce de juif » ne signifie pas la haine de juif. En dehors de l’école, Claude est souvent poursuivi par ses « camarades », insulté, interpellé comme « juif, juif, juif »….

Mais ce n’est pas tout. Claude, hormis le crime d’être né juif, est un athée convaincu. Et il ne le cache pas, en critiquant ouvertement la religion, en fait, toutes les religions, dans le contexte du cours de… citoyenneté. Des élèves présents en cours lui lancent alors en présence de l’enseignant : « On va te convertir, enfant du diable, mécréant, tu vas brûler en enfer ». Mais Claude ne se laisse pas faire, il insiste : « la religion c’est la connerie millénaire ». Que fait l’enseignant lors de cet échange ? Il dit que ce n’est pas bien de critiquer les religions. Un éducateur spécialisé menace Claude « d’avoir des problèmes avec la justice s’il continuait à critiquer la religion ». Un élève menace de faire venir son père « pour apprendre la laïcité à Claude ». Claude est sanctionné par l’école pour ses propos avec une explication délirante, pour nous, les Français : il a donné son avis sur la religion malgré les « remarques de son éducatrice ». Il est alors renvoyé de l’école pour quelques jours. Les parents de ce garçon finissent par le déscolariser, car ils ont peur pour son intégrité physique et psychique.

Un autre témoignage est frappant : dans une autre école belge, un garçon juif est « converti » par ses camarades dans la cour de l’école. Les connaisseurs savent que l’islam est une religion inclusive, elle est destinée à tout le monde, et tout juif serait un musulman qui s’ignore. La solution élégante a été trouvée par un élève charitable, qui, pour épargner à son camarade de classe l’enfer promis aux juifs, l’a « converti » en « muslim », en prononçant les paroles de la chahada (profession de foi) à sa place. On pourrait en sourire, après tout, les enfants s’amusent. Mais cet événement est un signe absolu et très naïf de l’intolérance, l’intolérance islamique à l’égard de l’altérité, comme de la peur de l’islam qu’éprouvent les établissements scolaires belges. L’institution scolaire en a tellement peur qu’elle préfère éloigner un juif de l’école pour ne pas troubler la paix et le respect « des religions ». J’insiste : le problème est qu’il s’agit non pas de la coexistence « des religions » mais de la soumission totale aux exigences islamiques par la peur. La peur qui oblige à faire quelques sacrifices, notamment celui des juifs. Après tout, en les sacrifiant, en taisant ce qui leur arrive, en fermant les yeux sur les insultes antisémites, on fait d’une pierre deux coups : on satisfait les vieux antisémites de souche, style Léon Degrelle, et on croit amadouer les musulmans. Les Belges ne connaissent pas la blague arménienne : « préservons nos Juifs ! » (parce qu’après les Juifs vient toujours le tour des autres, l’histoire l’a bien montré sans jamais se démentir).

L’antisémitisme musulman a modelé les comportements, comme naguère l’antisémitisme chrétien, et instillé la peur non seulement chez les juifs, mais surtout chez ceux qui doivent prendre des mesures fermes pour protéger les citoyens. Or, en Belgique, on n’aime pas parler d’antisémitisme, comme le montre l’étude de la Fondation Jean-Jaurès. Les juifs belges étouffent et l’establishment encourage et renforce vigoureusement cet étouffement parce qu’il est « islamophobe » dans le sens étymologique, c’est-à-dire, il a peur de l’islam. Comment expliquer autrement que les institutions belges soient si silencieuses sur l’antisémitisme décomplexé musulman qui prospère dans les écoles, dans la rue, dans les universités? Comment expliquer les mesures punitives, entreprises contre un élève athée par la direction de son école, lorsqu’il critique la religion? Pourquoi est-il puni? Parce qu’il faut respecter les religions, dixit la lettre adressée aux parents de ce garçon. En langue belge, « respecter » cela veut dire se taire, ne pas faire preuve d’esprit critique, s’écraser dans la « neutralité » moutonnière faussement consensuelle. L’école non-confessionnelle belge, dont on parle ici, s’est donnée pour tâche d’élever des jeunes dépourvus de toute capacité de raisonnement analytique. « Sale athée », « enfant du diable », « sale juif », telles sont des insultes qu’un lycéen critiquant la religion dans une école non-confessionnelle a dû essuyer. Et aucune voix ne s’est élevée pour prendre sa défense ou en la défense de la liberté de critiquer la religion.

L’institution a peur, peur de dire, peur de penser, peur d’interroger l’altérité, celle de l’islam notamment, de ses fondements, de son rejet de l’Autre, de ses certitudes, de sa force et de son aspiration à l’universalité. Elle a peur de cet Autre qui lui, le sait très bien, et qui peut faire ce que bon lui semble: mimer les conversions forcées, exiger la viande halal dans les cantines, interdire toute critique de ses pratiques, car l’institution a peur. L’institution se dérobe, esquive sa responsabilité en croyant « avoir la paix », mais ce qu’elle ne comprend pas, c’est que chaque acte de lâcheté comme celui d’exclure un juif pour « son bien-être » n’est qu’un signe de plus de sa propre faiblesse, de son incapacité à gérer la situation en imposant la loi commune. La Belgique est un pays de silence consensuel. Et cela commence à se savoir partout. Et pourtant, ce ne sont pas les avertissements qui manquent, les plaintes qui sont déposées, les ouvrages qui sont écrits sur la chute de l’humanisme européen et l’exposition de ses juifs à la vindicte islamiste. Qu’attendent les institutions belges? Que les tous les juifs quittent leur sol de peur d’être agressés quotidiennement, comme ce fut le cas dans les pays arabes durant treize siècles, et pendant vingt siècles en Europe? Qu’ils se convertissent à l’islam, par la magie d’un rituel décrété par un élève musulman? Cela arrivera peut-être, les juifs s’en iront, une Fadila Maaroufi ne suffira pas pour les soutenir, mais les Belges seront les suivants sur la liste.

1) Le prénom a été changé

2) Léon Degrelle est le fondateur du mouvement rexiste en Belgique. SS-Obersturmbannführer et Volksführer der Wallonen, il termine sa vie paisiblement en Espagne en 1994, sans être inquiété.

Yana Grinshpun est linguiste et maître de conférences à l’Université Paris III- Sorbonne-Nouvelle. Elle est également co-fondatrice de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires

Source lexpress