Pour Cohn-Bendit, les riches mélenchonistes sont aussi cons que les autres

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Soutenir Mélenchon, c’est être prêt à sacrifier l’idée de liberté. Daniel Cohn-Bendit ne mâche pas ses mots pour pourfendre l’illusion que représente le chef des Insoumis, lequel à ses yeux reste un trotskiste autoritaire et méchant.

Le Point : Que des Français d’un niveau social plutôt élevé soutiennent Jean-Luc Mélenchon, est-ce pour vous une contradiction ?

Daniel Cohn-Bendit : C’est la poursuite d’une vieille tradition en France. Une partie de l’intelligentsia a toujours rêvé d’une société plus juste, plus égalitaire. C’est un mirage, qu’en ce moment Jean-Luc Mélenchon capte. Comme quand Sartre disait : « Les communistes, c’est la paix. » À l’époque, Sartre aussi s’enfonçait dans un mirage, en passant du côté de l’URSS, pas des États-Unis. Ce rêve d’une société plus juste et plus égalitaire a toujours existé en France, depuis 1945. Et, pour assouvir ce rêve, on est prêt à sacrifier l’idée de liberté et de démocratie. C’est un drame.

Mélenchon est un ennemi de la démocratie ?

On ne peut pas dire qu’il incarne une idée de démocratie libérale, apaisée. Comme lorsque Aragon s’exclamait : « Vive le Guépéou ! » Pour moi, qu’on érige en symbole d’une France plus juste quelqu’un qui proclame « vive le Venezuela » ou « vive Castro », c’est une défaite de la pensée. Comme Aragon était une défaite de la pensée. Comme Sartre était une défaite de la pensée. Le summum de la bêtise en 1968 était que, pour lutter contre l’autoritarisme réel, la société fermée que représentait le régime de De Gaulle, on lui opposait la révolution culturelle chinoise. Avec Mélenchon, c’est la même chose : il a toujours représenté la tendance la plus autoritaire du trotskisme. Trotskiste un jour, trotskiste toujours !

Que des riches soutiennent Mélenchon, c’est paradoxal, ils vont à l’encontre de leurs intérêts ?

Pourquoi voulez-vous que des riches soient moins cons que les autres ? Il y a bien eu des banquiers qui ont soutenu Hitler. Attention, je ne dis pas que Mélenchon, c’est Hitler… Je veux dire que ces riches votent Mélenchon non parce qu’ils croient qu’il va arriver au pouvoir, mais parce qu’ils expriment la nécessité d’une société plus juste et plus égalitaire, et Mélenchon est le signifiant de cela.

Mais ce genre de mirage, vous aussi y avez succombé, en 1968 ?

Oui, j’ai participé à un mirage, mais ce mirage était libertaire. Les libertaires ont toujours été pour les losers de l’Histoire. Ça, c’était mon mirage. Mais je n’ai jamais été subjugué par l’autoritarisme, le totalitarisme. J’ai toujours été anticommuniste.

Si vous aviez 20 ans aujourd’hui, vous ne seriez pas mélenchoniste ?

Certainement pas. À 20 ans, je n’ai pas rejoint les trotskistes ou les maoïstes. Je comprends cette envie de combattre le capitalisme tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Mais ne pas voir que Mélenchon défend une vision illibérale comme Orban ou le régime du Venezuela, c’est fou ! Mélenchon a la tchatche. Mais comme Jacques Duclos, qui avait recueilli 21,3 % des suffrages contre de Gaulle au premier tour de la présidentielle de 1969, et qui avait failli être qualifié pour le second. Des tas de bourgeois le suivaient et, pourtant, il incarnait le stalinisme.

Que pensez-vous du personnage Jean-Luc Mélenchon ?

Je déteste ce genre d’homme politique parce qu’il n’a aucune empathie pour les gens, tout tourne autour de sa personne. Il se voit comme un Lider Maximo. Autour de lui, je retrouve les profils de doux rêveurs intellectuels. Les gens suivent leurs envies sans comprendre, sans vouloir comprendre qui il est vraiment. La méchanceté en politique me révolte toujours. J’en ai marre de cela. Moi, j’ai joué avec l’ironie, jamais avec la méchanceté. C’est pourquoi en 1968 le préfet Grimaud m’a toujours défendu. Parfois, j’exagère, mais pas au point de Mélenchon.

Cette fascination pour Mélenchon se nourrit de l’absence de présidentiables à gauche ?

Bien entendu. Si demain Laurent Berger déclare qu’il est candidat à la présidentielle, la moitié de ceux qui soutiennent Mélenchon le suivront, et un tiers de ceux qui ont soutenu Macron. C’est pourquoi l’erreur fondamentale d’Emmanuel Macron est son incapacité à trouver un accord avec le réformisme de gauche.

Propos recueillis par Jérôme Cordelier

Source lepoint