Le portrait : Caroline Eliacheff, du genre tenace

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La pédopsychiatre et psychanalyste, fille de Françoise Giroud et analysée par Lacan, qui dénonce une mode du changement de sexe chez les adolescents, se retrouve traitée de «transphobe».

C’est devenu un lieu commun : une femme en vue est forcément puissante et féministe. Puissante et féministe, celle qui a eu quatre enfants de trois hommes différents, dont le premier à 16 ans, écrit de nombreux livres et les scénarios de trois films de Claude Chabrol, dirigé pendant trente ans un centre médico-psychologique (CMP) en banlieue, celle qui fait face, depuis la parution de la Fabrique de l’enfant transgenreoù elle met en garde contre l’administration de traitements irréversibles à des mineursà une violente campagne l’accusant de «transphobie», l’est assurément. Mais ce serait vulgaire de le revendiquer. On n’est pas la fille de Françoise Giroud, qui fut secrétaire d’Etat à la Condition féminine, pour rien.

Brushing impeccable, maquillage léger, Caroline Eliacheff a 75 ans, douze petits-enfants et huit arrière-petits-enfants. Elle en paraît dix de moins. «Tant mieux, mais c’est du boulot !» concède en riant celle qui compare le vieillissement à une «transition», semblable à celle que l’on vit à l’adolescence. «L’idée n’est pas de rester jeune, mais d’accepter cette transformation.» Le contraire serait déraisonnable, transhumaniste. La thérapeute a cependant un élixir secret : la danse. La barre est fixée au mur de son cabinet, niché au cœur de Saint-Germain-des-Prés. Elle n’y reçoit plus que des analystes, dans le cadre de ce qu’on appelle la «supervision». Les téléspectateurs dEn thérapie savent qu’un psy a aussi besoin de se confier. Il y a d’ailleurs du Carole Bouquet chez Caroline Eliacheff, une réserve, un chic parisien qui confine à la froideur. Mais n’empêche pas l’humour, et un toupet certain. Comme lorsqu’on lui demande si elle est mariée à Marin Karmitz, le fondateur des salles de cinéma MK2, son compagnon depuis 1975 : «Nous sommes en union libre, c’est-à-dire que nous devons renouveler notre pacte volontairement.» Ou, question plus saugrenue encore, s’ils ont un compte commun. «Franchement, ça ne me viendrait pas à l’idée ! Si demain nous voulons nous quitter, ça ne va pas changer mon train de vie.» On devine au luxe qui l’entoure, à ses bijoux ou à sa collection de tableaux – dont une œuvre de son amie Annette Messager – qu’il est plutôt élevé.

«L’indépendance, c’est l’indépendance financière», lui serinait sa mère. A 16 ans, bien décidée à devenir analyste, elle téléphone à Lacan pour lui demander la marche à suivre. «Faites médecine !» lui intime le célèbre thérapeute, qui raccroche aussi sec. Va pour la blouse blanche, spécialité psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. A 20 ans, elle s’allonge sur le divan du 5, rue de Lille. Y reste sept ans, le temps de régler «quelques petits problèmes». Quelle mère était Françoise Giroud ? A en croire la typologie qu’elle a établie dans Mères-filles, une relation à trois, la fondatrice de l’Express appartenait à la catégorie «plus femme que mère». De celles qui s’incarnent dans le parfum qu’elles laissent dans leur sillage (Vol de nuit pour Françoise, l’Heure bleue pour Caroline). «Elle n’était pas là pour m’embrasser le soir, mais elle a toujours été là quand j’en avais besoin», la défend sa fille.

C’est par son fils aîné, devenu rabbin, que l’ex-communiante a découvert sa judéité. Une origine que Giroud, née Gourdji, taisait farouchement, craignant le retour de l’antisémitisme. La mère de Rav Eliacheff n’est pas devenue croyante pour autant. «Dans le judaïsme, l’important, c’est l’étude. On ne vous demande pas de croire en Dieu.»

Quel regard porte-t-on sur #MeToo quand on est arrière-grand-mère ? «Ce n’est pas tant la parole qui s’est libérée que l’écoute qui a changéLa question est de savoir ce qu’on fait de l’écoute, car le fait de parler n’est pas forcément thérapeutique. Il faut un cadre pour être écouté, et les réseaux sociaux ne sont pas le meilleur. Il y a aussi des excès qu’il faut dénoncer. Mais #MeToo est un mouvement, et il faut s’appuyer sur le mot “mouvement”.» Mariée à 15 ans à l’acteur Robert Hossein, qui avait plus du double de son âge, a-t-elle jamais songé à dire «moi aussi» ? «Non seulement je ne suis pas une victime, s’offusque l’autrice du prémonitoire Temps des victimes (2007), mais ce n’était pas un mariage arrangé : c’était une histoire d’amour ! On était en 1963, mais on a vécu ça sans aucune contrainte. Avant d’être mariés, on est partis en Espagne, on partageait la même chambre dans un grand hôtel. Aujourd’hui, il serait en taule

Dans la grande pièce bureau attenante à son cabinet, une bibliothèque remplie jusqu’au plafond toise de hautes fenêtres. Les œuvres de Françoise Dolto, sa mère spirituelle, côtoient celles de la comtesse de Ségur, à laquelle Caroline Eliacheff a consacré une (auto)-biographie. Un prétexte aussi pour parler de la maltraitance parentale, qu’elle consiste à priver d’amour – ou à en donner trop. «Si un enfant doit être considéré comme un sujet digne de respect, son humanisation passe par des interdits structurants. Comment les faire respecter sans autoritarisme ni violence, tel est le défi», écrit la clinicienne. L’air de rien, on est au cœur du sujet qui lui vaut de recevoir des «seaux de merde» – au sens propre – depuis qu’elle a entamé, avec la professeure Céline Masson, une tournée de conférences pour promouvoir leur livre.

Face aux menaces, Eliacheff est droite dans ses bottines vernies. «Parce que je ne suis pas seule», explique celle qui mène la bataille au sein d’un réseau international de professionnels de l’enfance. «Nous ne nous intéressons qu’aux mineurs. Nous pensons que les modes de prise en charge actuels ne tiennent pas compte de la modification de la population qui se déclare trans : une majorité d’adolescentes, qui présentent des troubles psychopathologiques antérieurs, embrigadées par les réseaux sociaux. Nous pensons que la plupart de ces jeunes, au fond, ne sont pas trans.» Une vision que le pédopsychiatre Serge Hefez, auteur de Transitions. Réinventer le genre (Calmann-Lévy, 2020), considère comme réactionnaire : «Eliacheff et Masson partent du principe qu’une démarche de transidentité chez un jeune est une démarche pathologique qu’il convient de rectifier. C’est une thérapie de conversion sans le dire, et c’est exactement la position qu’on avait pour les jeunes homosexuels il y a trente ans, explique-t-il. La pédopsy se dit au contraire «effarée» par ceux de ses confrères «qui face à ces jeunes en souffrance les confortent dans leur auto-diagnostic sans interroger l’origine de leur mal-être. Ils n’ont comme argument à nous opposer que des accusations fallacieuses». Aurait-elle imaginé donner un jour une conférence sous protection policière ? Elle avait échappé à l’accusation d’«islamophobie» après avoir défendu une approche laïque dans l’affaire de la crèche Baby Loup : la voilà rattrapée par celle de «transphobie».

Politiquement, Caroline Eliacheff est orpheline de la gauche. Plus atteinte par cette campagne qu’elle ne veut bien l’avouer, elle lit pour se «changer les idées» – Proust, en ce moment – et potasse le thème de sa prochaine émission pour France Inter : «Les scènes de folie à l’Opéra.» Norma, Lucia di Lammermoor, Amina, l’héroïne de la Somnambule, de Bellini. Tout le contraire de celle qui continue d’avancer dans la vie d’un pas décidé, les yeux grands ouverts.

5 juin 1947 Naissance à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
1972-1980 Attachée de consultation à l’hôpital Necker.
1980-2013 Responsable du centre médico-psychologique d’Issy-les-Moulineaux.
2022 La Fabrique de l’enfant transgenre avec Céline Masson (l’Observatoire).

par Eve Szeftel

2 Comments

  1. Bonjour. Moi à 16 ans j’ai pas appelé Lacan mais je l’ai rencontré, dans le contexte d’un mariage (ce qui suit est authentique). Je ne le connaissais pas et je n’étais pas un de ses invités mais vu que j’avais vu sa photo dans le journal je l’ai reconnu, je l’ai salué, j’ai dit mon nom, et là aussitôt, alors que j’étais juste venu boire un verre à ma santé, le voilà qui me dit : « vous pouvez venir me voir quand vous voudrez », sic. Il n’a pas dit, que ce serait gratuit, c’était pas l’genre, mais il me faisait déjà là une insigne faveur vu qu’avec lui on faisait la queue si je peux dire, pendant six mois, rien que pour avoir un rendez-vous. Bref, et compte tenu de mes opinions politiques déjà très affirmées on avait dû lui dire à mon propos : « il a des problèmes ». Et c’est là que j’ai éprouvé une infinie jouissance car je me suis entendu lui répondre -et sans avoir donc pu préparer ma réponse : « oh, je vous remercie, je n’ai besoin de rien ». Bien entendu l’énoncé « je n’ai besoin de rien » n’aura pu et en langage lacanien qu’être interprété comme une DENEGATION mais je renonce à décrire le bienfait durable que j’ai éprouvé de cette situation.
    Bien des années plus tard le nom de Lacan est venu dans la conversation, avec un collègue. Je lui ai raconté ça sur le ton de l’anecdote mais j’ai eu droit à un hommage appuyé. Il m’a dit : « c’est bien toi, le plus malin : tu as réussi à obtenir une… psychanalyse gratuite avec Lacan » !

  2. une rencontre éphémère aussi mais qui m’a profondément marqué a été celle avec Cohn-Bendit auquel dans un train de banlieue je m’étais adressé sans le connaître (mais après tout, ce n’était pas la reine d’Angleterre) et pour lui reprocher une action publique amusante certes mais qui avait comporté un caractère de violence, de fait, contre quelqu’un de respectable. Là il m’a répondu en commençant par « Camarade » (terme quasi-méprisant vu le ton sentencieux) et en ajoutant une phrase si belle que je la reproduis en caractères gras, ce qui en plus est la moindre des choses vu qu’il a depuis acquis un caractère gras : IL Y A DES CHOSES QUE TU N’ENLEVERAS PAS A LA BOURGEOISIE AUTREMENT QUE PAR LA VIOLENCE. Sic. Purée, rien qu’à y repenser j’en chanterais un cantique si mes convictions ne me l’interdisaient… et si ce beauf réactionnaire n’était pas devenu si vilain !

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