Eyal Shani ou l’énergie de Tel-Aviv à Paris

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Le chef star israélien Eyal Shani inaugurera HaSalon aux Puces de Saint-Ouen le 19 janvier. Rencontre en avant-première avec ce cuisinier à part.

«C’est le Brillat-Savarin israélien!» nous avait prévenue Annabelle Schachmes, journaliste et auteur spécialiste de la cuisine juive, à propos d’Eyal Shani, qui inaugurera le 19 janvier aux Puces de Saint-Ouen, à l’entrée du marché Paul Bert-Serpette, HaSalon, déclinaison de son restaurant phare ouvert à Tel-Aviv depuis 2008.

«Le public parisien doit s’attendre à être bousculé. C’est un chef avec une vraie singularité, à la base de toute une réflexion sur la cuisine israélienne d’aujourd’hui. Tous les jeunes chefs qui ouvrent des restaurants méditerranéens à Paris s’inspirent de lui, de ses associations, de ses techniques, parfois même sans le savoir! Il a décomplexé la cuisine israélienne, l’a rendue noble, a réinventé ses codes, en créant sa propre façon de cuisiner. Il a magnifié son terroir grâce à la compréhension parfaite qu’il en a donnée.» Avec un tel panégyrique, autant dire que notre curiosité, déjà aiguisée par une fréquentation régulière des trois restaurants Miznon parisiens, où l’on déguste des pitas moelleuses délicieusement garnies, était à son comble lorsque nous avons rencontré le chef de 64 ans – sweat-shirt et baskets – dans l’ancien Ma Cocotte designé par Starck, à quelques jours de l’ouverture.

Et l’on ne fut pas déçue! Tour à tour poétique et sibyllin, séducteur et provocant, parfois mystique, un poil mégalo et prodigue en phrases accrocheuses, il dispose à coup sûr d’un univers bien à lui. Mais aussi, bien qu’il jure se concentrer sur la dimension créative, d’un solide sens des affaires puisqu’il est à la tête avec son partenaire Good People d’une cinquantaine de tables dans le monde («je ne les compte pas»). Notre capitale occupe une place à part car c’est là qu’il a ouvert son premier restaurant hors d’Israël, Miznon, en 2013. «Paris m’a appris que je pouvais traduire toute une ville dans une pita. J’aime l’élégance des Français. La cuisine française est la reine mais elle a du mal à s’adapter au monde contemporain. Il est impossible pour les chefs étrangers de concurrencer ses classiques: la seule façon d’y parvenir est d’être soi-même.»

«J’ai dû créer un nouveau monde»

Eyal Shani est un autodidacte. Au terme de ses études de cinéma, alors que le secteur ne recrute pas, il part en voyage pendant un an. Une femme lui brise le cœur. Il rentre en Israël et s’isole dans une petite maison dans la forêt, loin de la civilisation. Il se lie toutefois d’amitié avec des chasseurs: un soir, ils font griller ensemble des porcs épics qu’ils dégustent arrosés de vin rouge. Shani s’endort à même le sol. «Le lendemain matin, je savais que je voulais devenir cuisinier. Il m’a fallu deux ans pour ouvrir mon premier restaurant, Oceanus, à Jérusalem. C’était le meilleur de tous, et pourtant je n’avais aucune connaissance, tout était ouvert à mes yeux, j’ai dû créer un nouveau monde.»

L’anecdote en dit long sur sa vision sans limite de la cuisine. La déclinaison parisienne de HaSalon (qui signifie «le salon»), opérée avec le Moma Group de Benjamin Patou (plus connu toutefois pour orchestrer des lieux festifs à gros volumes que pour le soin apporté aux assiettes sur la durée), est la sixième après Tel-Aviv, Ibiza, New York, Las Vegas et Miami. «Il y aura aussi Londres, l’année prochaine, et c’est tout. Seules les vraies capitales culturelles sont adaptées au concept», affirme-t-il avec sérieux. Le concept? «Travailler les meilleurs ingrédients, sourcés localement – à 99 % ici -, et comprendre profondément leur volonté, se connecter à leur être, les laisser nous envahir, comme lorsque l’on tombe amoureux. Le tout de mon point de vue israélien, avec lequel je me connecte à l’énergie des gens. Nous essayons de cacher notre qualité pour être plus accessible!»

Tout un programme, susceptible, selon lui, de décrocher une étoile au Guide Michelin. Mais alors à quoi ressemblera une soirée chez HaSalon? «Une cuisine ouverte. Des chefs concentrés. Il y aura du Bach, du Mozart, du Vivaldi au début du service, puis l’ambiance montera au fil de la soirée, avec un DJ vers 22 heures. Beaucoup de monde. Un dîner informel, différent de celui de la veille. Parfois, les clients ne comprendront pas. L’humeur sera circassienne. Et si la soirée ne se termine pas avec notre public dansant sur les tables, alors je n’aurais pas réussi à apporter du bonheur.»

L’huile d’olive, l’ingrédient fétiche du chef

Le lieu ouvrira pour 130 couverts trois soirs par semaine – du jeudi au samedi – et le week-end, au déjeuner. Cinq services seulement: «Notre façon de travailler brûle notre énergie et nécessite du repos. L’organisation de mes cuisines n’est pas pyramidale: pas question qu’il n’y ait qu’un seul cerveau qui travaille. Mes chefs ne sont pas des soldats, je veux qu’ils ressentent leur unicité. Je leur demande constamment de prendre des risques, la peur de l’échec décuple leur créativité.» Le menu – une trentaine de plats à la carte, facturés de 15 à 80 € – changera tous les jours selon le marché et l’inspiration, sous la direction de Jess Soussan, chef exécutive passée par Miznon et plusieurs adresses de Julien Sebbag. «J’explique aux cuisiniers les grandes lignes, les associations, à eux ensuite de créer avec les ingrédients qu’ils ont devant eux et qui les séduisent pendant le service.» Un grand comptoir en marbre a ainsi été installé, où trônent fruits et légumes à portée de main.

Sur la table se côtoieront purée de pommes de terre à l’huile d’olive – l’ingrédient fétiche du chef, qui en met absolument partout -, chou farci au chou, tartare de thon, anchois et caviar, côte de bœuf avec condiment tomate, piment vert et échalote, pigeon… Beaucoup de légumes mais aussi de belles pièces de viande et poisson rôties servies entières.

Avant de le quitter, on l’interroge au sujet de son influence sur la cuisine israélienne moderne, lui qui a inventé le chou-fleur brûlé entier, le service sur une feuille de papier plutôt qu’une assiette… «J’ai été le premier à cuisiner tant de choses en Israël et parfois dans le monde: l’huile d’olive, l’agneau, le carpaccio de poisson, le sashimi de tomate… Je suis allé très tôt cueillir des herbes et des fleurs sauvages. Car j’ai compris que je devais créer un nouveau langage. Ce dernier a poussé beaucoup d’Israéliens vers la cuisine. Et lorsque l’on cuisine, on ne fait pas la guerre.» De toutes ses inventions, la majeure à ses yeux est toute simple: couper en deux une tomate, presser ses «ovaires» et ajouter un peu d’huile d’olive. «Le club des sauces est très fermé. Celle-ci sublime tout: le poisson grillé, les steaks, le fromage… C’est comme si le soleil se couchait sur le plat.»