Les années 1930 ne sont pas de retour… à moins que ?

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Le chroniqueur de l’Express ironise sur la possible comparaison entre les années 1930 et la situation actuelle, entre nationalisme, guerre, protectionnisme et inflation.

Les nazis sont parmi nous. La crise revient. Les nationalismes gagnent du terrain. La guerre fait rage. Nous savons tous cela. Il est donc très étonnant que l’on n’ait pas entendu depuis quelque temps une voix autorisée s’exclamer : « Nous vivons dans les années 1930. » Ou alors, je n’ai pas été assez attentif.

C’est que le refrain est connu et alimente la chronique avec une régularité parfaite. On se souvient bien sûr du livre de Pascal Blanchard et Farid Abdelouahab, publié en 2017, Les Années 30. Et si l’histoire recommençait ? On se souvient aussi de l’excellent Récidive. 1938 de Michael Foessel, où l’auteur parcourait la presse de 1938 en quête de similitudes avec notre temps.

La parole politique n’est pas exempte de cette référence : Manuel Valls en 2014, Emmanuel Macron en 2018 firent part de leur étrange impression de revivre les années 1930. Souvent, ces analogies se sont concentrées sur tel ou tel aspect des années 1930, en particulier la montée des extrêmes et le péril de la guerre, sans aller tout au bout de la comparaison terme à terme, qui est évidemment impossible et conduirait à une impasse. C’est là que ce parallèle trouve sa plus grande limite, et prêterait presque à sourire.

Songez-y donc, dans les années 1930, on tremblait devant le péril rouge, qui a totalement disparu de nos sociétés. La gauche même radicale semble avoir déserté la doctrine du communisme révolutionnaire telle qu’elle prévalait alors dans la jeune URSS. On me signale néanmoins qu’elle prévaut aujourd’hui dans une Chine qui a retrouvé le goût raffiné des goulags et rappelle ses élites à la lecture de Marx.

Mais enfin, dans les années 1930, nous étions tout à fait à couteaux tirés avec les Allemands, qui nous considéraient avec morgue et que nous regardions avec mépris. Le couple franco-allemand nous épargne une telle tension au cœur de l’Europe. A moins, bien sûr, que l’égoïsme retrouvé de nos deux pays sous l’effet des mesures de crise ne persiste à éloigner nos deux nations et à les conforter dans la certitude que leur destin individuel se dessine en dehors du dialogue partagé.

Allons, au moins, la guerre est une illusion du passé, et elle ne menace plus la stabilité de notre continent. Du reste, il n’y a pas de Hitler en Europe aujourd’hui. Sauf, naturellement, lorsque cette guerre se passe suffisamment près de chez nous pour que nous en sentions sur notre nuque le souffle chaud et qu’un chef d’État estime de son droit de déporter des enfants, envoyer au massacre de jeunes appelés, bride les moyens d’information et bombarde les civils. Même l’Anschluss fut moins sanguinaire.

L’important, c’est qu’en France ne règne plus cette atmosphère pestilentielle d’antisémitisme politique qui corrompit fortement le climat public des années 1930 avant de trouver à s’exprimer pendant la Collaboration. Sauf si, bien sûr, on lit d’un œil attentif l’étude de la Fondapol qui atteste la persistance d’un antisémitisme notamment religieux, d’actes antisémites réguliers et nombreux, et d’une récupération politique invétérée de cet antisémitisme sous des formes diverses (parodie d’étoiles jaunes, absence de soutien public aux victimes d’actes antisémites, etc.).

Oui, mais enfin on n’en est plus au Protocole des sages de Sion, cette forgerie qui avait défrayé les chroniques et nourri les délires complotistes largement exploités par Hitler et les siens. Il est vrai qu’il faut, pour s’en convaincre, s’abstenir de se rendre trop souvent sur les réseaux sociaux et baisser les yeux devant ces figures aux longs nez et aux doigts crochus semblant prêts à dévorer la planète qui fleurissent même parfois sur les murs de nos villes, comme très récemment à Avignon.

Rassurez-vous. Les années 1930 étaient aussi celles d’une grande instabilité politique, due à des majorités parlementaires labiles obligeant les partis à des coalitions souvent fragiles. Hem, oui, ce n’est peut-être pas le meilleur exemple. Un peu comme de dire que dans les années 1930, tout le monde n’avait pas comme aujourd’hui l’électricité et le chauffage garantis. Ou bien que nous, au moins, ne connaissons pas une inflation galopante. Il faut le dire vite. Ou ne pas le dire du tout. Non, nous ne sommes pas dans les années 1930 du XXe siècle, vous dis-je. Non, nous sommes dans les années 2020 du XXIe siècle, et nous n’avons qu’à prier pour qu’elles ne soient pas pires.

La chronique de Sylvain Fort