Quand le drapeau Palestinien s’invite pour la Coupe du monde au Qatar

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Dans les rues de Doha et aux abords des stades, des drapeaux palestiniens fleurissent. Une cause politique mise en avant par le pays organisateur et acceptée pour la première fois par la Fifa.

Majdi a vraiment cru qu’il allait passer un sale quart d’heure. Lorsqu’il a passé les grilles du stade Ahmed Bin Ali de Doha ce mardi 22 novembre, à l’occasion du match entre les Etats-Unis et le pays de Galles, deux policiers lui sont tombés dessus. « C’est sûr, c’est mon drapeau de la Palestine le problème. Ça cause toujours des problèmes », a alors pensé le Jordanien, keffieh sur la tête, au moment de lever les bras pour la fouille corporelle.

Mais cette fois-ci, Madji, qui s’est déjà fait confisquer « une bonne dizaine de fois » sa bannière noire, rouge, blanche et verte lors de déplacements à l’étranger, s’est fait peur pour rien. L’agent en rangers noirs l’autorise à passer et lui adresse même discrètement un pouce de solidarité. « Merci et bon match ». L’ingénieur trentenaire est tout étonné. « Ça fait presque bizarre de rentrer sans devoir négocier quoi que ce soit », lâche-t-il avant de filer retrouver ses copains dans la tribune derrière le but.

La Palestine, qui n’est pas présente sur les terrains au Qatar, est en revanche bien visible dans les tribunes depuis le coup d’envoi de la Coupe du monde 2022. Pas un match sans un rappel du conflit qui secoue le Proche-Orient depuis plus de 70 ans. On a ainsi pu voir une immense bannière pro-palestinienne déployée dans les gradins lors de Tunisie-Australie, un volontaire avec une écharpe aux couleurs palestiniennes accrochée à sa chaise haute avant France-Australie, un supporter qui se photographie dans le stade avec le maillot de l’équipe nationale ou encore des officiels qatariens avec un brassard en tribune présidentielle.

Une entorse au réglement de la Fifa

Lors de Croatie-Canada, un fan a même brandi un tee-shirt sur lequel était imprimée la photo de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh, tuée en mai dernier alors qu’elle couvrait une opération militaire israélienne en Cisjordanie occupée. Kamasteka, youtubeur saoudien extrêmement suivi sur les réseaux sociaux, a lui aussi fait le déplacement à Doha pour distribuer des drapeaux palestiniens à qui en veut.

Officiellement, la Fifa interdit tous les messages à connotation religieuse ou politique à l’occasion des compétitions qu’elle organise. C’est ainsi qu’elle a forcé plusieurs sélections européennes à laisser le brassard « One Love » au vestiaire.

Mais pour ce premier Mondial en terre arabo-musulmane, le président Gianni Infantino semble plus souple avec ses propres règles. Son meilleur coup ? Avoir conclu un accord pour que les supporters israéliens et palestiniens embarquent dans les mêmes avions depuis Tel Aviv pour se rendre dans l’émirat. « Le football a le pouvoir de rassembler les gens, il transcende toutes les frontières, traverse toutes les frontières et favorise l’unité comme rien d’autre », s’est même vanté, tout en lyrisme, l’Italo-Suisse. Et de fait, la présence palestinienne n’a jamais été aussi forte que lors de cette Coupe du monde chez le voisin qatarien. 

« Bien sûr que c’est politique »

Quand on le croise le jour d’Angleterre-Iran, Mouss, physique de catcheur, a justement avalé les quatre heures de vol depuis Jérusalem-Est le matin même. « C’est comme si on était sur la pelouse », chante-t-il, en resserrant un bon coup le drapeau palestinien qu’il porte façon robe depuis l’aéroport. « Vous ne pouvez pas savoir comme ça me rend heureux d’être ici. Ca me rend fier. Toutes les télés qui filment les matchs vont forcément passer les images des drapeaux palestiniens, c’est inespéré ».

A la porte d’à-côté, Mohammed, un Saoudien, ravi de cette exposition en mondovision, fait flotter son écharpe dans l’air moite de Doha : « Filmez-moi, filmez-moi, crie-t-il à la foule un peu surprise. Il faut mettre le plus de lumière possible sur la cause palestinienne. Il faut que tout le monde soit au courant de l’occupation qui se passe. » 

Ali, un Egyptien qui a immigré à Bristol, dans le sud de l’Angleterre, hausse les épaules. « Si c’est politique ? Bien sûr que c’est politique. J’étais en Russie il y a quatre ans, et ça, c’était impossible. Cette fois, au Qatar, la Palestine est là sans être là. Les Egyptiens, les Marocains, les Tunisiens, les Jordaniens et tous les autres… On est ensemble. C’est une marque de solidarité envers nos frères palestiniens », ajoute-t-il en rafistolant la barrette en plastique de son drapeau.

Un bon filon pour les commerçants

La décision d’afficher ses origines dans un pays qui n’est pas le sien n’est pas évidente pour tous les Palestiniens croisés au Qatar. « Quand je suis arrivé à Doha et que j’ai vu les drapeaux palestiniens, je me suis dit : ‘Mais merde, qu’est-ce que ça fait là ? », admet Rachid, supporter belge qui a grandi dans la bande de Gaza. « Et puis j’ai compris. Si la Coupe du monde avait été dans un autre pays, je n’aurais pas pris ce drapeau. Mais là, le Qatar veut envoyer un message à tout le monde : il y a un pays, la Palestine, qui a le droit de vivre. Moi-même, j’ai vécu trois guerres, et ça fera bientôt quatre ans que je n’ai pas vu mes parents. »

Cet employé d’une ONG humanitaire basée à Liège a fini par dégoter un drapeau, qu’il met sur son maillot des Diables Rouges à chaque rencontre.  « Je vais applaudir Eden Hazard et Kevin De Bruyne mais je n’oublie pas mes racines. »

La nouvelle consigne ne semble cependant pas toujours passée. Lundi soir, Issa, un Libanais qui vit aux Etats-Unis, a raté les vingt premières minutes de Brésil-Suisse. « Possible que les taches de sang et le poing ont effarouché la sécurité du stade, les vigiles n’ont rien voulu savoir », peste-t-il après avoir récupéré son précieux sésame à la fin de la rencontre. Persuadé qu’il allait se faire pincer à l’aéroport de Tel Aviv, Mouss a d’ailleurs préféré laisser son drapeau dans sa chambre et en acheter un autre « de secours » au souk Wakif de Doha, là même où, vendredi, un groupe de jeunes a chanté « Libérez la Palestine ! »

Dans les allées d’échoppes, c’est le seul pays non qualifié pour la compétition qui figure dans les rayons. L’objet tant demandé se négocie entre 15 et 50 ryals (entre 3 et 13 euros). Nasser, qui a flairé le bon filon, va bientôt devoir repasser une commande. « Il m’en reste cinq, compte-t-il. Ce sont les gens des pays arabes qui me les achètent, pas les touristes occidentaux. » A quinze mètres, dans la ruelle d’à-côté, Hassen, un autre marchand, s’est lui aussi débrouillé pour proposer à ses clients un nouveau produit : des bijoux aux couleurs palestiniennes. 

Israël paie les pots cassés

Cet afflux de drapeaux palestiniens arrange tout le monde, ou presque. « Le Qatar travaille énormément son image », rappelle Raphaël Le Magoariec, expert en géopolitique du sport dans le Golfe et chercheur à l’université de Tours. « Il cherche à se situer au cœur du monde arabe. Et plaire aux sociétés arabes, ça passe par défendre la cause palestinienne. Le Qatar joue cette carte pour souder autour de lui cette communauté pendant le Mondial. ». « Le message, c’est : ‘La Palestine n’est pas sur le terrain mais dans les gradins’. Il y a la volonté de faire de ce Mondial un tremplin externe de communication. »

Mais pour quel résultat ? Dirar, rencontré au camp Fan Village Free Zone, a déjà eu des retours de sa famille : « C’est une petite démarche mais ça touche ceux qui sont restés au pays. C’est important de montrer l’unité du monde arabe sur cette question. » Rachid, qui a fui Gaza en 2013, lève les yeux au ciel : « Je ne sais pas qui va gagner dans cette histoire. En revanche, je sais parfaitement que ce n’est pas une écharpe ou un drapeau palestinien autorisé dans un stade de Coupe du monde qui va faire changer quoi que ce soit. »

Les soubresauts du métro font pendouiller l’accréditation Fifa que Khalin a attachée à la taille. Il est écrit « Palestine » dessus. Mais cet autre Gazaoui, dix ans plus jeune, n’est pas beaucoup plus optimiste : foot ou pas foot, « on ne vivra jamais en paix ensemble. Voilà la réponse. Je ne peux pas vivre en paix avec quelqu’un [Israël] qui a brisé ma vie et celle de mes concitoyens. »

Aux abords des stades, la cohabitation est d’ailleurs parfois tendue. Tal Shorrer, journaliste sportif pour la chaîne israélienne Channel 13 News, a été chahuté par des supporters pendant ses duplex. « Très vite, ils ont commencé à jurer, à chanter ‘Israel out’, en nous traitant de meurtriers, raconte-t-il. J’ai été bousculé alors que j’étais à l’antenne. » Il assure aussi avoir été la cible de propos antisémites. Un montage vidéo publié le 22 novembre sur Twitter montre également plusieurs spectateurs refusant de répondre aux questions d’un journaliste après avoir découvert qu’il travaillait pour un média israélien.

Par mesure de précaution, Israël, qui entretient des relations diplomatiques tendues avec le Qatar et ne dispose pas d’une ambassade à Doha, a été autorisé à tenir une permanence. Le ministère des Affaires étrangères israélien a, lui, demandé à ses citoyens actuellement dans le pays de se faire le plus discret possible.

La morale de cette histoire : les israéliens n’ont absolument rien à foutre au Qatar!

Raphaël Godet – Pierre Godon