En Israël, l’inexorable descente aux enfers du Parti travailliste

Abonnez-vous à la newsletter

המחנה הציוני התיעציות בית הנשיא איתן כבל מרב מיכאלי עמר בר לב איילת נחמיאס אייל בן ראובן צילום: אורן בן חקון22/03/2015
Le 1er novembre 2022, les résultats des élections législatives en Israël consacraient la victoire du chef du Likoud Benyamin Netanyahou, allié à l’extrême droite. Et la décadence du parti travailliste, dernier parti de gauche d’Israël, qui ne recueille que quatre sièges.

Maître d’œuvre de la création en 1948 de l’État hébreu, de ses institutions, de son armée, de son modèle social sous l’impulsion de David Ben Gourion, le « père de la nation », et de personnalités marquantes tels Golda Meir, Shimon Peres ou Yitzhak Rabin, le parti travailliste est passé à deux doigts de disparaître corps et biens du Parlement lors des élections du 1er novembre. Une décadence qui semble inéluctable tant son message paraît inaudible.

Un chiffre dérisoire

Les faits sont sans appel. Merav Michaeli, la cheffe du parti n’a réussi à faire élire que 4 députés sur 120. Un chiffre dérisoire et surtout le pire score de ce mouvement. Lors de ses très riches heures, lorsqu’ils dirigeaient jusqu’à la fin des années 1970 tous les gouvernements, les travaillistes disposaient d’un groupe parlementaire qui dépassait le plus souvent les 40 députés. Mais depuis deux décennies, la formation ne cesse de s’étioler, avec parfois quelques brèves périodes de convalescence, avant de s’effondrer lors du dernier scrutin.

Merav Michaeli, une ancienne journaliste et ministre sortante des Transports, a pris les rênes de la direction du parti il y a trois ans en espérant susciter un élan, donner une nouvelle jeunesse à une formation à bout de souffle. Elle a joué à fond la carte du féminisme en promouvant par exemple l’écriture et les déclarations inclusives, « le seul succès à mettre à son actif », estimait avec une pointe de cruauté un éditorialiste. Mais cette stratégie n’a pas convaincu cette fois-ci.

Lors de la campagne électorale, le programme du parti est resté dans les limbes. Merav Michaeli a mené une campagne purement négative en se contentant d’agiter le spectre d’un retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou, ancien chef du gouvernement et leader de la droite, associé au Parti sioniste religieux, un parti suprémaciste, antiarabe, homophobe, partisan d’un État régi par les lois de la Torah. En fin de compte, cette formation d’extrémistes a fait élire 14 députés, soit plus de trois fois plus que les travaillistes. Une véritable humiliation.

Les raisons d’un naufrage

Or, Merav Michaeli porte, selon les médias, une très lourde responsabilité dans cette bérézina. Elle a rejeté malgré de multiples pressions au sein même de son parti l’idée de faire liste commune avec le Meretz, une formation plus à gauche qui a échoué de peu à faire élire le moindre député.

Cette alliance du « camp de la gauche » aurait pu changer la donne électorale et rendre beaucoup plus difficile la formation d’un gouvernement qui s’annonce comme le plus à droite et le plus religieux de l’histoire du pays.

Pis, la chef travailliste a refusé d’assumer la responsabilité de cette déconvenue de taille, ce qui a poussé le quotidien Haaretz, journal de référence et ultime bastion du progressisme, a appelé à sa démission immédiate dans un éditorial.

Plus inquiétant pour l’avenir : les erreurs tactiques politiciennes de Merav Michaeli ne sont pas les seules raisons qui expliquent son naufrage. Israël n’a pas résisté à la vague mondiale du populisme. Ceux qui osent encore se proclamer de gauche sont devenus une espèce en voie de disparition.

Une évolution qui s’explique notamment par les doutes concernant les chances de conclure un jour la paix avec les Palestiniens. Le parti travailliste sous la direction d’Yitzhak Rabin, avant son assassinat en 1995 par un fanatique d’extrême droite, avait conclu un accord d’autonomie avec Yasser Arafat. Mais ce processus de paix est ensuite tombé en panne.

Le mirage des accords de paix

Le scénario selon lequel un accord « historique », sous l’égide des États-Unis, permettrait un retrait de la plus grande partie des territoires conquis lors de la guerre de 1967 et aboutirait à une ère de calme et de prospérité, est devenu un mirage.

Le démantèlement des colonies israéliennes et le départ des militaires dans la bande de Gaza se sont au contraire traduits par l’arrivée au pouvoir du Hamas au détriment de son grand rival, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Les islamistes palestiniens se sont empressés de se servir de la bande de Gaza comme base de lancement de milliers de roquettes et obus de mortiers vers le territoire de l’État hébreu, tandis que l’armée israélienne imposait un blocus étouffant autour de cette région miséreuse.

Résultat : Benyamin Netanyahou pendant ses 12 années consécutives au pouvoir a repoussé la création d’un État palestinien aux calendes grecques. Les pourparlers entre Israël et les Palestiniens n’ont pas avancé d’un pouce. Merav Michaeli n’a évoqué la création d’un État palestinien que du bout des lèvres, sans exploiter sa position de ministre pour pousser à une reprise du dialogue avec l’Autorité palestinienne.

Aucun programme crédible

La démographie joue également contre les travaillistes. Les trois partis religieux, membres probables de la prochaine majorité, représentent une population dont le taux de natalité est très élevé, avec 6,5 enfants par femme contre 2,5 pour les « laïcs ». Or ces religieux conservateurs, repliés sur eux-mêmes, défenseurs sourcilleux de leur mode de vie, penchent de plus en plus comme leurs ouailles vers une droite dure. Leurs enfants de plus en plus nombreux ont également tendance à voter comme leurs parents.

Selon un récent sondage, 71 % des jeunes Israéliens de moins de 24 ans se définissent ainsi comme étant de droite, contre 11 % qui s’affichent « de gauche ».

Sur le front social, les travaillistes n’ont surtout présenté aucun programme crédible qui aurait pu convaincre le « petit peuple séfarade », les Juifs descendants d’immigrants orientaux qui forment le gros des classes populaires les plus défavorisées. Un manque qui donne des armes à la droite et aux ultranationalistes, qui présentent les travaillistes comme des membres de « l’élite » ashkénaze, les Juifs originaires d’Europe de l’Est.

Une réaction qui n’est pas totalement absurde. Les derniers bastions travaillistes sont concentrés dans les grandes villes comme Tel-Aviv, où les classes moyennes aisées sont largement majoritaires. L’époque où le parti, relayé par la toute-puissante centrale syndicale Histadrout, avait créé de toutes pièces un « socialisme à l’israélienne » avec ses kibboutz, la plus importante caisse d’assurance maladie, des hôpitaux, des coopératives… n’est plus désormais qu’un lointain souvenir, évoqué par des anciens en majorité à la retraite comme le « bon vieux temps ».

Source lavie