Haïm Korsia appelle à défendre le droit « à la liberté religieuse »

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Haïm Korsia, invité par l’Institut Diderot, s’est exprimé ce lundi 3 octobre 2022 sur l’avenir des juifs français. Il pointe la hausse des actes antisémites en France et le risque du dévoiement de la laïcité.

« Quel avenir pour les juifs français ? » A la question posée ce lundi à Paris par l’Institut Diderot, laboratoire d’idées français fondé en 2009, Haïm Korsia répond par une autre : « Quel avenir pour la France ? » Car le destin des juifs est « lié à celui » du pays, appuie le grand rabbin de France réélu pour un mandat en juin 2021.

Le « génie unique de la France, poursuit-il, c’est qu’elle valorise un modèle d’unité, pas d’uniformité. Tous les mêmes, et pourtant tous différents ! » Les juifs, poursuit-il « incarnent, ce qui est à mon sens la part la plus lumineuse de la France : le respect et l’intégration de la diversité. Et chaque fois qu’elle refuse la diversité, elle se nie elle-même. »

« Dévoiement de la laïcité »

Après Roch Hachana, le grand rabbin évoque Yom Kippour, fête du grand pardon célébrée ce mercredi 5 octobre, un jour « spécial au cours duquel les juifs ne mangent pas, ne boivent pas, ne travaillent pas ». Pas question pour autant « d’en faire » un jour férié, reconnu comme tel, et inscrit au calendrier, cadre-t-il. « En revanche, que les juifs aient la liberté de pratiquer ce jour-là, s’ils le désirent, oui ! » Une liberté qui ne va pas de soi. Il cite en exemple les mots récemment prononcés par « un professeur d’université célèbre », en amphi : « Ceux qui ne seront pas là ce sera zéro. Sinon, vous n’avez qu’à passer vos examens en Israël ».

Principe de laïcité ? « Sous prétexte d’athéisme », et d’autonomie des universités, Haïm Korsia y voit au contraire la manifestation d’un « antisémitisme virulent » et le dévoiement de la laïcité. Quand certains « refusent d’envisager quoi que ce soit », considérant qu’elle est « en jeu », d’autres, souligne-t-il « conscients qu’il y va de la grandeur de notre République, acceptent de chercher des solutions de bon sens et non dérogatoires, et qu’en général on arrive à trouver ». Ce serait « le pire des scénarios que d’avoir à expliquer aux étudiants juifs de France qu’il vaut mieux aller étudier à Londres, New York, ou Tel Aviv, où l’on respecte les principes de liberté religieuse », poursuit-il. Un principe qu’il avait défendu, lors de son audition au Sénat, en février 2021, dans le cadre de l’examen du projet de loi confortant les principes de la République.

Droit à la « liberté religieuse »

« La liberté religieuse, conçue comme la possibilité d’exprimer librement et publiquement un acte de foi, doit être réaffirmée comme un droit, y compris dans le domaine de la pratique, à condition qu’elle ne contredise pas le credo républicain », écrit le grand rabbin de France dans son livre, Réinventer les aurores, paru aux éditions Fayard en 2020. La laïcité « est la construction d’un monde où chacun est accepté comme il est, où chacun respecte l’autre ». Or ce « principe est détourné de sa vocation lorsqu’il limite la liberté individuelle de celui qui veut concilier son engagement citoyen avec la foi ».

Heureux comme un juif en France questionne un membre de l’Institut Diderot reprenant le titre du livre du rabbin Yann Boissière (éd Tallandier) ? « Le 27 septembre 1791, la France a été le premier pays à accorder la pleine citoyenneté aux juifs », rappelle Haïm Korsia, qui tempère aussitôt. « Là où les Juifs ne peuvent plus vivre, leurs concitoyens ne le pourront bientôt plus non plus ».

589 actes antisémites en 2021

Un sondage IFOP, réalisé pour l’étude de la Fondapol et de l’American Jewish Committee parue en 2021, a confirmé qu’une majorité des Français évite de s’afficher comme juif, par crainte de représailles, le port de signe distinctif étant identifié comme un facteur de risque supplémentaire. En 2021, 589 actes antisémites ont été recensés, soit une augmentation de près de 75 % par rapport à l’année précédente, selon le dernier rapport sur l’antisémitisme en France réalisé par le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) et le ministère de l’Intérieur.

Depuis l’an 2000, près de 600 actes antisémites sont recensés en moyenne par an, soit 7 à 8 fois plus qu’avant. Paris, la Seine-Saint-Denis, le Rhône, les Bouches-du-Rhône les Hauts-de-Seine le Bas-Rhin et le Val d’Oise sont les départements les plus touchés.

Le grand rabbin de France cite Luc Ferry constatant, alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale, de 2002 à 2004, « qu’à part aux Pavillons-sous-Bois et Drancy, il n’y avait plus d’enfants juifs dans l’école publique en Seine-Saint-Denis. On n’a pas voulu entendre. Vingt ans plus tard, rien n’a été fait. » Il compte à ce jour « 35 000 jeunes dans les écoles juives en France », comptabilise le grand rabbin de France. La moitié n’y serait pas s’ils pouvaient aller sereinement dans des établissements publics. C’est terrible parce que cela veut dire que c’est un non-choix ».

3 500 Français nationalisés en Israël

En 2021, 3 500 Français ont choisi d’endosser la nationalité israélienne, selon le dernier selon les derniers chiffres de l’Alyah communiqués par l’Agence juive pour Israël. La France se place ainsi dans le trio de tête des pays d’où sont originaires les nouveaux citoyens, derrière La Russie (7 500), les États-Unis ( 4 000) et devant l’Ukraine (3 000). Un chiffre à pondérer, estime Haïm Korsia : « Certains s’installent en Israël, d’autres en reviennent. Si l’Alyah est choisie, je respecte et j’accompagne. En revanche, si c’est la manifestation d’une détresse, d’une sorte de fuite, alors c’est mauvais signe pour la société ». D’autant plus que, souligne-t-il, « le judaïsme n’a jamais voulu être mis à l’écart et a toujours cherché à faire société. Sa position naturelle est d’être au cœur des sociétés et à chercher la fraternité ».

Alan Le Bloa