Le cinéaste se confie, à l’occasion de la sortie de son 49e long métrage, «Rifkin’s Festival», une comédie délicieuse et enlevée tournée à San Sebastián, en Espagne. Rencontre.
Il nous reçoit dans son salon new-yorkais, en visioconférence. D’abord affaissé dans son canapé marron encadré de bibliothèques, Woody Allen, 86 ans, se redresse vite. « Je n’ai jamais attrapé le Covid : avec ma femme, on est restés cachés sous notre lit pendant deux ans », lâche-t-il.
Avec esprit et sincérité, le cinéaste évoque le délicieux « Rifkin’s Festival », son quarante-neuvième long-métrage en tant que réalisateur, en salles ce mercredi 13 juillet, dans lequel un prof de cinéma suit au Festival international du film de San Sebastián sa femme, qu’il soupçonne d’être amoureuse d’un réalisateur français (interprété par Louis Garrel).
Woody Allen nous parle aussi de sa venue prochaine à Paris pour tourner, et de son boycott par une partie du monde du cinéma, en raison des accusations d’attouchements sexuels de sa fille Dylan Farrow.
« Rifkin’s festival » sort enfin en France, trois ans après son tournage. Cela vous réjouit ?
Woody Allen. La pandémie a été un obstacle terrible pour le cinéma. Quand le film est sorti en Espagne, les cinémas ont fermé une semaine plus tard. Cela a été pareil en Italie. Je suis ravi que le film voie enfin le jour en France, d’autant que certains des réalisateurs à qui j’y rends hommage sont français.
Lorsqu’il rêve, votre personnage principal Mort Rifkin se projette dans des films cultes (« Jules et Jim », « Un Homme et une femme », « Citizen Kane », « Huit et demi », « À Bout De souffle »…). Ce sont ces longs-métrages qui vous ont le plus marqué ?
IIs m’ont beaucoup influencé et ont influencé le cinéma en général. Quand j’étais jeune, je savais que je voulais faire du cinéma, mais je ne connaissais que le cinéma américain. Et puis, j’ai découvert le néoréalisme de Fellini, Truffaut, Godard… Quand « Un Homme et une femme » est sorti aux États-Unis, il a reçu un accueil immense : tout le monde en parlait, jouait sa musique. « Les Quatre cents coups » et « À Bout de souffle » ont aussi été des chocs énormes. On n’avait jamais vu ça : le cinéma s’affranchissait soudain des préoccupations commerciales des films américains, il devenait sans limites.
Pourquoi avoir tourné « Rifkin’s Festival » en Espagne ?
J’ai écrit le film aux États-Unis, mais il a été financé par des Espagnols et la condition était que je réalise en Espagne. J’avais déjà tourné à Barcelone et à Oviedo. J’ai pensé à Madrid, que j’adore, mais j’ai choisi San Sebastián, où le temps est plus doux. C’est aussi une ville magnifique et la nourriture y est probablement la meilleure au monde. Alors, je suis rentré à New York et j’ai réécrit le scénario.
Le film se déroule pendant le festival de cinéma de San Sebastián. Vous l’aimez particulièrement ?
Quand j’ai commencé à faire du cinéma, je n’aimais pas les festivals : il y avait trop de glamour, d’agitation, et je n’aimais pas l’idée qu’on dise d’un film qu’il était le meilleur. Des années après, je suis allé à Cannes pour faire plaisir à un producteur et j’ai été impressionné par le public, son enthousiasme, son amour et sa connaissance du cinéma. C’était très excitant de montrer son film à ces spectateurs-là. Alors, j’ai commencé à aller dans tous les festivals. Et ma femme et moi, on a aimé visiter Cannes, Venise et San Sebastián.
Vous connaissiez Louis Garrel avant de lui proposer un rôle ?
J’avais vu le film de Bertolucci (« les Innocents ») et son avant-dernier film (« la Croisade ») : c’est un acteur merveilleux et un très bon réalisateur. J’étais tellement content quand j’ai su qu’il parlait anglais ! Il connaît les films, il est intelligent… J’ai adoré travailler avec lui.
Vous aviez déjà fait tourner Marion Cotillard, Léa Seydoux ou Carla Bruni dans « Midnight in Paris ». Les acteurs français ont-ils quelque chose de spécial ?
Ils sont formidables. Marion Cotillard est une très, très brillante et incroyable actrice, Léa Seydoux a été merveilleuse dans mon film et elle est en train de devenir une très grande star, ce qui ne me surprend pas. Il y a beaucoup d’acteurs européens géniaux. En Amérique, quand on a découvert Sophia Loren, Liv Ullmann, Yves Montand, Jean Gabin, Simone Signoret ou Belmondo, on était tellement impressionnés par leur niveau… D’ailleurs, quand j’ai travaillé en Espagne avec Javier Bardem et Penélope Cruz, ça a aussi été un rêve devenu réalité.
Catherine Deneuve a déclaré qu’elle adorerait travailler avec vous…
Je n’ai jamais eu de rôle qui lui corresponde, mais si c’était le cas, je serais très honoré de le lui proposer ! C’est vraiment une actrice iconique, en France et dans le monde. Elle n’est pas seulement belle, c’est une star de cinéma intéressante dans le meilleur sens du terme.
Aux États-Unis, « Rifkin’s Festival » est sorti dans très peu de salles et surtout en VOD. Est-ce que vous le regrettez ?
C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne sais pas si je veux continuer à faire des films. Avant, mes films sortaient dans plein de salles. Maintenant, quel que soit le réalisateur, les longs-métrages sont visibles pendant deux, quatre ou six semaines au cinéma et après en streaming. C’est décourageant. J’aimais aller au cinéma avec des amis dans une salle de 500 personnes pour rire devant un film des Marx Brothers ou de Charlie Chaplin. Quand on rentrait dans un cinéma en milieu de journée, c’était le seul endroit de la ville où il faisait sombre, on n’était plus dans la réalité. Maintenant, les gens restent chez eux devant un bel écran, voient un film de Spielberg ou de Scorsese en appuyant sur un bouton et peuvent faire une pause pour aller aux toilettes. C’est confortable, mais il n’y a plus de magie.
Après une longue enquête, en 1994, la justice américaine a décidé de ne pas vous poursuivre pour les accusations d’attouchements sexuels de votre fille Dylan Farrow. Pourtant, depuis que Dylan a réitéré ses accusations en 2018, certains acteurs et une partie de l’industrie du cinéma vous boycottent. Comment le vivez-vous ?
Je pense qu’ils ont tort. Ils font une erreur et un jour, j’espère, ils le comprendront. Je préférerais qu’ils ne fassent pas cette erreur, ils ne font pas une belle chose… Mais je fais toujours mes films, je fais mon travail.
Le mouvement #MeToo est-il est allé trop loin ?
À l’origine, cela a été un très bon mouvement, qui a eu des conséquences merveilleuses pour les femmes. Mais comme dans tout mouvement, que ce soit la démocratie, le communisme ou un autre, il y a toujours des gens qui commettent des abus : quand des personnes irresponsables ou pas assez intelligentes pour comprendre la complexité de ces questions le détournent, on aboutit à des fautes.
Vous avez encore beaucoup de projets de films, de pièces ou de livres ?
Oui. J’ai beaucoup, beaucoup d’idées et je ne vivrai pas assez longtemps pour les réaliser toutes : j’ai 86 ans, donc la moitié de ma vie est terminée ! Beaucoup de ces idées sont sur des petits bouts de papier et quand je tombe dessus, je me dis Mais à quoi pensais-je quand j’ai écrit cela ? avant de les jeter. Mais certaines feraient de bons films, de bonnes pièces ou de bons livres. Je viens de sortir aux États-Unis « Zero gravity », un ouvrage d’histoires drôles, qui étaient au départ des petits bouts de papier.
Vous allez bientôt tourner à Paris…
Oui, je prépare un film, lentement mais sûrement. J’espère pouvoir venir cet été. J’ai hâte : j’adore être à Paris. Je travaillerai uniquement avec des acteurs français. J’ai écrit le script il y a deux ans, avant la pandémie.
Votre personnage, Mort Rifkin, a de plus en plus en doutes à mesure que le temps passe. C’est votre cas aussi ?
Oui. J’ai beaucoup en commun avec Mort Rifkin. J’aurais pu l’interpréter d’ailleurs, même si je ne l’aurais pas fait aussi bien que Wallace Shawn. Comme Mort, je pense qu’il y a eu un âge d’or du cinéma. Comme lui, je voudrais faire un chef-d’œuvre qui semble ne jamais arriver. Comme lui, j’ai toujours eu des problèmes avec les relations personnelles… J’essaie de naviguer autant que possible dans la vie et ce qui m’a aidé pour l’essentiel, c’est la chance. J’ai eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de chance : si ça n’avait pas été le cas, je n’aurais pas eu une aussi belle vie.