Elie Buzyn, père de l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn, considérait comme un devoir de témoigner de la Shoah, convaincu que ceux à qui il racontait l’horreur des camps allaient «devenir à leur tour des témoins. Des témoins des témoins».
Elie Buzyn, survivant de la Shoah, est mort lundi 23 mai à l’âge de 93 ans, a annoncé sa fille Agnès Buzyn à l’AFP. «Il est décédé ce matin. Il était entouré de sa famille», a déclaré Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé. «Il a fait un malaise hier (dimanche) soir juste après une conférence de témoignages, où il était avec des jeunes pour “passer le relais”, une conférence, qui a été très émouvante, très bouleversante, qui l’a beaucoup touché», a-t-elle ajouté. «Il a transmis le relais avec une constance et une détermination incroyable jusqu’au bout», a affirmé à l’AFP le grand rabbin Haïm Korsia.
Nous apprenons avec une grande tristesse le décès d’Elie Buzyn.
Né en 1929 à Lodz en Pologne, il avait vu son frère être exécuté sous ses yeux par les nazis en mars 1940. Enfermé avec sa famille dans le ghetto, il est déporté à Auschwitz avec ses parents et sa sœur en août 1944. pic.twitter.com/6k88Nx8dmS— Fondation Shoah (@Fondation_Shoah) May 23, 2022
Transmettre la mémoire
Longtemps, comme beaucoup de rescapés des camps, il s’est tu et n’a pas voulu retourner à Auschwitz. Puis Elie Buzyn s’est employé à transmettre la mémoire de la Shoah, appelant les jeunes à être «des témoins des témoins».
Une photo très émouvante. C’était hier soir. Élie Buzyn témoignait encore devant un groupe de jeunes. Comme des milliers de fois. Une dernière fois. @agnesbuzyn @Shoah_Memorial pic.twitter.com/JWMOYfDPVq
— Philippe Meyer (@philippemeyer92) May 23, 2022
Avec ses compagnons survivants de l’horreur, «épaves humaines dont on disait qu’elles allaient mettre vingt ans à mourir», le médecin s’était fait une promesse: «Tenir tant qu’on peut». Il y est parvenu au-delà de toute espérance, après avoir vécu plusieurs vies et survécu à plusieurs morts. D’abord celle de son frère Avram, fusillé en mars 1940 par les nazis pour dissuader toute tentative de fuite du ghetto juif de Lodz (Pologne), où la famille Buzyn avait été parquée. «En 1944, on savait vaguement que l’Armée soviétique arrivait par l’Est. Il y avait un petit espoir que ça se termine», confiait-il à l’AFP en 2015. «On nous a dit qu’on allait dans un autre camp de travail, où les conditions seraient bien meilleures».
La disparition du Docteur Élie BUZYN nous attriste.
C’est une part de notre Histoire qui nous quitte.
Cet infatigable témoin direct de la #shoa va nous manquer.
Sincères condoléances à toute sa famille @agnesbuzyn en mon nom et celui de @fsju et @FondationFJF pic.twitter.com/8oAhEmFJyS— Ariel Goldmann (@GOLDMANNAriel) May 23, 2022
Un voyage en wagons à bestiaux dans la chaleur de l’été 1944, suivie de l’arrivée sur les quais de tri du camp d’extermination de Birkenau (Auschwitz-II). «Quelques déportés nous recevaient. Je leur dois la survie. J’avais 15 ans. Ils m’ont lancé: “Dis que tu as 17-18 ans !”. Le SS m’a regardé, visiblement il ne m’a pas cru. Il m’a donné un coup de poing dans la poitrine pour éprouver ma résistance, je ne suis pas tombé». L’adolescent est jugé apte au travail forcé. Plus tard, «en 30 secondes», il a «su ce qui s’était passé» pour ses parents, assassinés dans les chambres à gaz.
C’est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition du Docteur Elie Buzyn, défenseur émérite du devoir de mémoire et témoin précieux des atrocités de la Shoah. Nos pensées se tournent vers sa famille et ses proches. Que sa mémoire soit une bénédiction. pic.twitter.com/5Ukz0V5Z6z
— Ambassade d’Israël en France (@IsraelenFrance) May 23, 2022
«L’Europe était souillée»
Le 18 janvier 1945, devant la progression de l’Armée rouge, on lui intime l’ordre d’évacuer Auschwitz par une de ces «marches de la mort» où tout signe de défaillance est puni d’une balle dans la nuque. Après trois jours et deux nuits, les déplacés sont entassés dans un train vers Buchenwald. Elie y demeure jusqu’en avril 1945 parmi 900 orphelins. «Nous qui venions d’Europe de l’Est ne voulions pas retourner chez nous. Nous savions que nous n’y avions plus rien». «Pour mon oncle», chirurgien à l’hôpital Rothschild à Paris, «je pouvais entrer dans une vie normale. Je n’étais pas de cet avis. L’Europe était souillée pour moi».
Rescapé de la Shoah, militant à l’UEJF une fois revenu d’Auschwitz, Elie Buzyn a témoigné des dizaines de fois dans les Universités, faisant de générations d’étudiants des témoins de témoins.
Un géant nous a quitté cette nuit. Nos pensées pour sa famillehttps://t.co/9o03jL5BYP pic.twitter.com/OqTada78Fo— UEJF (@uejf) May 23, 2022
Confié parmi des centaines d’adolescents à l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) en France, importante organisation juive dont il sera plus tard un pilier, Elie Buzyn fera bien des détours avant de revenir s’installer à Paris: sept ans dans une Palestine encore sous mandat britannique puis érigée en État d’Israël, un nouveau passage dans l’Hexagone sans succès pendant ses études, deux ans dans un collège d’Oran (Algérie)…
Jusqu’aux derniers instants de sa vie, il aura mis toute son énergie à transmettre la mémoire pour faire des étudiants les témoins du témoins qu’il était.
Quelle tristesse d’apprendre le décès d’Elie Buzyn.
Je pense à sa famille, à ses proches, et pleure la mémoire d’un géant. pic.twitter.com/IAZjJybZmz— Samuel Lejoyeux (@SLejoyeux) May 23, 2022
En 1956, c’est le retour définitif en France, où il deviendra chirurgien orthopédique et épousera une psychanalyste de renom, Etty Buzyn (née Wrobel), spécialiste de la petite enfance.
DISPARITION. Elie Buzyn, l’un des derniers témoins français d’Auschwitz, est mort lundi à 93 ans. Le père de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn avait raconté sa vie à l’INA et la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Un témoignage exceptionnel. https://t.co/viqBKRnJBD pic.twitter.com/1SE4YVCjhy
— Ina.fr (@Inafr_officiel) May 23, 2022
«Témoins des témoins»
Elie Buzyn fera enlever chirurgicalement son tatouage de déporté, comme pour effacer ce traumatisme de sa mémoire. «Vous ne pouvez pas vivre si vous vivez avec ça tous les jours», dit-il. Un demi-siècle après le génocide, son fils âgé d’une vingtaine d’années lui dit: «Je veux aller à Auschwitz voir où mes grands-parents paternels ont disparu. Je comprends que ce soit trop dur pour toi. J’irai seul, avec un groupe». «Dans la minute je lui ai dit: “Si quelqu’un doit t’accompagner, c’est moi”», confiait le Dr Buzyn.
Disparition d’#ElieBuzyn
Né en Pologne, il est plongé adolescent dans l’enfer du ghetto de Lodz, puis déporté à Auschwitz où il perd ses parents. « On m’a demandé mon âge. J’ai dit 17 ans. Ils m’ont montré la fumée des cheminées et j’ai compris ». pic.twitter.com/i7oNM45Lzf— Akadem (@Akadem_Campus) May 23, 2022
Dès lors, il a considéré comme «un devoir» que de témoigner dans les écoles et à Auschwitz, avec les groupes conduits chaque année par le grand rabbin de France Haïm Korsia. Elie Buzyn y a emmené ses enfants, et plusieurs de ses huit petits-enfants, quand ils avaient passé l’âge de quinze ans. Il demeurait convaincu que tous ceux qu’il avait aidés à approcher l’horreur des camps allaient «devenir à leur tour des témoins. Des témoins des témoins».
« C’est le numéro de ta copine tatoué sur ton bras? » Elie Buzyn, alors jeune chirurgien survivant d’Auschwitz. « Pire encore, l’apitoiement de certains mandarins, qui eux savaient, et dont certains avaient été collabos… » #memoire pic.twitter.com/qscDNJdLDK
— Darius Rochebin (@DariusRochebin) May 23, 2022