Allemagne: poussée d’antisémitisme sous l’effet du Covid

Abonnez-vous à la newsletter

Jamais, depuis la création d’un fichier fédéral de la police en 2001, autant de crimes et délits à caractère politique n’avaient été commis dans le pays que l’an dernier.

Yorai Feinberg a «capitulé». Ce Berlinois de 43 ans ne «veut plus dire un mot sur l’antisémitisme». Derrière la vitrine de son restaurant de spécialités proche-orientales, la menorah, le chandelier juif à sept branches, agit comme un chiffon rouge sur les antisémites de tous bords. En 2017, un Allemand d’une cinquantaine d’années lui avait lancé: «Retournez dans vos chambres à gaz!»

La condamnation de l’agresseur à sept mois de prison avec sursis et la nomination d’un procureur spécifiquement chargée de lutter contre la montée des actes d’antisémitisme dans la capitale n’ont pas eu l’effet escompté. Yorai Feinberg continue de subir menaces et injures. La haine redouble d’intensité après chaque interview dans la presse.

Soixante-dix-sept ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’antisémitisme reste ancré dans la société allemande. Selon une enquête d’opinion menée auprès d’un échantillon de 1025 personnes par l’institut de sondage Allenbach pour l’American Jewish Committee (AJC), 35 % des Allemands éprouvent du «ressentiment» à l’égard de la communauté juive. Un chiffre prouvant que l’antisémitisme «n’est pas seulement un problème des extrêmes politiques», déplore le directeur de l’AJC Berlin, Remko Leemhuis.

Racisme structurel

Contrairement à la France, où les attentats antisémites sont l’apanage des islamistes, les actes de violence sont le fait, en Allemagne, des néonazis. Des lettres runiques «SS» et des écrits antisémites et antimusulmans ont été retrouvés jeudi à l’aube dans la chambre d’un adolescent de 16 ans préparant une attaque à coups de bombes à clous contre un lycée d’Essen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. À Halle, à l’autre bout du pays, seule la vigilance du personnel de sécurité et la résistance de la porte en bois de la synagogue avaient empêché un attentat, lors de la fête de Yom Kippour de 2019. Le terroriste «de souche» s’est dit persuadé d’une conspiration juive mondiale. À l’instar du père de famille assassin de son épouse et de leurs 3 enfants en grande banlieue de Berlin, en décembre dernier. Le crime de l’opposant radical à la vaccination souligne à quel point la pandémie a fait souffler un vent de violence sur le pays.

Jamais, depuis la création d’un fichier fédéral de la police en 2001, autant de crimes et délits à caractère politique n’avaient été commis en Allemagne que l’an dernier. La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, qui a fait de la lutte contre l’extrémisme de droite une priorité, a noté lors d’une conférence de presse, qu’«environ la moitié des faits antisémites commis étaient en rapport avec le Covid-19». Des agressions spécifiques en hausse de 29 % en 2021. 84 % de ces 3035 crimes et délits sont attribuables à l’extrême droite, selon les statistiques officielles. Un chiffre et une méthode relativisés par Simone Rodan-Benzaquen, directrice du bureau Europe de l’AJC qui a grandi en Allemagne: «Quand l’auteur d’une croix gammée n’est pas clairement identifié, c’est attribué à l’extrême droite. C’est probable dans l’est du pays, plus discutable pour l’ouest».

L’antisémitisme islamiste, qui propage ouvertement la haine contre les Juifs et l’État d’Israël, est également frappant selon l’étude de l’AJC. Elle établit une corrélation entre la fréquentation d’une mosquée et les préjugés antisémites: 63 % des musulmans interrogés disent avoir une mauvaise ou très mauvaise image de l’État hébreu (23 % dans la population totale). «Bien sûr qu’il est permis de critiquer Israël! commente Remko Leemhuis, tant que ce n’est pas obsessionnel et associé à d’autres préjugés.» «80 % de mes emmerdements proviennent des étrangers», soulignait le restaurateur Feinberg, lors d’une précédente interview.

Parmi les électeurs d’extrême droite de l’AfD, 48 % se disent convaincus que les Juifs exploitent la Shoah à leur propre avantage, soit 14 % de plus que l’ensemble de la population. «Un racisme structurel», constate Simone Rodan-Benzaquen. Des passagers d’un vol Lufthansa peuvent en témoigner. En transit à l’aéroport de Francfort le 4 mai, un groupe de juifs orthodoxes en provenance de New York s’est vu refuser l’embarquement sur le vol pour Budapest, au motif que certains d’entre eux avaient «mal porté leur masque». Une discrimination générale dont s’est excusée la compagnie aérienne.