Israël : le Mossad face aux nouvelles technologies, par Danièle Kriegel

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David Barnea
Passeport biométrique, reconnaissance faciale… Le Mossad a de plus en plus de difficultés à faire face aux nouvelles contraintes imposées aux déplacements internationaux.

C’était il y a 11 ans, à Dubaï. Très précisément le 20 janvier 2010. Un responsable du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, est retrouvé mort dans sa chambre à l’hôtel Bustan al Rotana. On croit d’abord à une crise cardiaque. Mais l’autopsie révèle qu’il s’agit d’un assassinat. L’homme a été empoisonné. À la suite de quoi, la police de Dubaï procède à l’examen des images enregistrées par les caméras de surveillance. Un système installé par une société israélienne, bien que les deux pays n’aient pas à l’époque de relations diplomatiques. Quelques jours plus tard, au cours d’une conférence de presse, le chef de la police émirati va provoquer la stupeur.

Il révèle que le Mossad a commis ce meurtre et présente les images de 26 suspects, des espions israéliens déguisés en joueurs de tennis, en hommes d’affaires. Tous ayant utilisé des identités usurpées ou de faux passeports. Un véritable cataclysme pour l’agence israélienne qui, ce jour-là, comprend que c’est la fin d’une époque. Avec les nouvelles technologies, la reconnaissance faciale, les passeports biométriques, etc., l’implantation en pays étrangers d’agents israéliens (au Mossad, on n’utilise pas le terme d’espions, mais celui de combattants) va s’avérer de plus en plus difficile, voire quasiment impossible ; trop dangereuse, car trop facilement repérable.

Un fardeau pour l’agence

Il y a quelques jours, l’« affaire des tennismen », comme on l’a appelée en Israël, a refait surface, à l’occasion d’une information diffusée par divers médias : « Bet », le commandant de la division « Caesarea », l’unité chargée des opérations spéciales, aurait claqué la porte de l’organisation. Une démission intervenue après un échange houleux dans le bureau de celui qui, depuis juin dernier, est le patron de l’agence de renseignements israélienne, David Barnéa. Ce dernier aurait même dit à « Bet » que son département représentait un fardeau pour l’ensemble de l’agence. Résultat, l’adjoint de « Bet » et plusieurs autres membres de « Caesarea » ont, eux aussi, démissionné. D’où le buzz médiatique avec cette interrogation : « Que se passe-t-il au Mossad ? » De fait, depuis son entrée en fonction, il y a sept mois, David Barnéa a vu le départ de quatre responsables de division : Bet, bien sûr, mais aussi le chef de la branche « technologie », ceux de la lutte antiterroriste et de Tsomet, la division centrale chargée de la direction des agents, c’est-à-dire du renseignement humain, Humint.

Est-ce à dire que le très discret David Barnéa, un homme du sérail, a du mal avec ses équipes ? Non, m’a répondu, G. un ex-« combattant » du Mossad qui a gardé le contact avec l’agence : « L’époque d’Eli Cohen, cet espion israélien implanté à Damas, est révolue. Avec l’apparition du passeport biométrique, de la reconnaissance faciale et, depuis deux ans, des tests PCR qu’il faut effectuer avant de prendre l’avion, ce qui signifie que les traces ADN sont partout, les vieilles méthodes sont caduques. » Pourtant, selon G., il n’y a pas de quoi désespérer. À ses yeux, il n’existe pas de méthode aussi sophistiquée soit-elle qui ne puisse être contournée : « Quel est un des crimes les plus courants aujourd’hui dans le monde ? C’est le vol d’identité par un hackeur. Si les hackeurs peuvent le faire, je suppose que les agences d’un État, équipées de la technologie adéquate, peuvent aussi le faire ! Autrement dit, il n’est pas impossible de passer à l’action, mais c’est beaucoup plus coûteux et cela exige beaucoup plus de préparation… » Concernant la surveillance des cibles, notre ex-agent du renseignement se souvient des centaines d’heures passées à surveiller l’entrée d’un immeuble : « Aujourd’hui, deux clics sur l’Internet, et vous avez 90 % de vos informations… Les moyens changent, les technologies aussi. Le Mossad n’a pas le choix. Il doit s’adapter. Des divisions doivent être réformées, d’autres disparaître. Et c’est la tâche à laquelle s’est attelée David Barnéa. »

« Au Mossad, les réformes sont absolument nécessaires »

Expert en sécurité israélienne, le journaliste et écrivain Yossi Melman en est lui aussi convaincu : « Au Mossad, les réformes sont absolument nécessaires, notamment dans le contexte de l’affaire iranienne. Il y a belle lurette que ces changements auraient dû intervenir. C’était une des tâches assignées au prédécesseur de Barnéa, Yossi Cohen. Mais celui-ci ne voulait pas de remous en interne. Il voulait être un patron sympa. Alors, aujourd’hui, c’est Barnéa qui doit s’y coller. Or, le changement, ce n’est pas du goût de tout le monde. Et puis vous savez, quatre chefs de division qui partent, sur les vingt-cinq à trente que compte le Mossad, ce n’est pas franchement un tsunami ! »

Mais revenons à G. Quand on lui demande où vont ses préférences ? Aux anciennes méthodes, ce qu’il appelle en matière d’espionnage « l’époque de la cavalerie » ? Ou bien à celles du XXIe siècle – pour lui « l’ère des tanks » –, voici ce qu’il répond : « Côté romantisme, c’est vrai que l’époque de la cavalerie n’a pas son pareil. Déambuler sous une fausse identité dans les rues de Paris ou dans des déserts arabes ou encore au Danemark, c’était très chouette, très kif, plein d’adrénaline, mais aussi très dangereux. C’est fini tout cela. On est passé à autre chose. Le téléphone suffit aujourd’hui… » N’empêche, les souvenirs affleurent. Comme cette anecdote : « Un jour, j’étais en opération, quand un des agents avec qui je travaillais arrive en lançant : “Je suis mort.” Il venait d’apprendre que l’homme dont il avait usurpé l’identité était allé nager et s’était noyé. “Que fait-on ?” a-t-il demandé. “Oh”, lui a-t-on répondu, “jusqu’à ce qu’ils mettent les listes à jour, on a trois mois devant nous !” Alors, la fin d’une époque ? Non », répond G, avant de conclure : « Des espions, il y en aura toujours ! »

Danièle Kriegel